Anne-Marie BonhommePeintre de l’immuable

Après une partie de sa vie partagée entre la religion et la vie civile, Anne-Marie Bonhomme s’installe à Vézelay pour continuer d’exercer en tant que peintre d’icônes.

À Vézelay, la peintre exerce l’un des plus vieux et rares métiers du monde : écrivain d’icônes. Une “mission” dont les codes demeurent inchangés depuis plus de deux-mille ans.

Au deuxième étage du 24, de la rue Saint- Pierre à Vézelay, l’atelier d’Anne-Marie Bonhomme, qui jouxte le local de l’association des amis des pèlerins, s’apparente davantage à une cellule monacale qu’à un atelier de peintre. Sur le palier, de drôles de plantes : « ce sont des légumes oubliés, des légumes perpétuels. J’en plante devant ma maison et j’ai installé un panneau “Servez-vous” ». L’éternité, chez Anne-Marie Bonhomme, c’est un concept devenu un métier. Penchée sur ses pupitres, cette artiste exerce depuis trente ans la profession d’iconographe ou Peintre d’icônes ou encore Écrivain d’icônes : « on ne regarde pas une icône comme une peinture. On la lit ! Ce qui est important n’est pas ce qu’elle montre, mais ce qu’elle raconte. Comme les vitraux, elle était là pour enseigner la catéchèse, l’histoire religieuse, à une époque où les gens ne savaient pas lire ». C’est donc à la manière des moines copistes du Moyen-âge que cette Belge reproduit inlassablement les mêmes tableaux : « nous ne sommes pas des créateurs. Nous n’inventons rien. L’icône possède des codes très précis depuis l’antiquité et les représentations sont immuables ».

UNE VOCATION MALGRÉ ELLE

C’est en Belgique qu’Anne-Marie Bonhomme a passé son enfance entre les travaux de la ferme et l’éducation religieuse. Celle dont sa mère disait qu’elle avait « 150 % d’esprit de contradiction » et qui rêvait d’autre chose que d’être « derrière les vaches » va pourtant y trouver sa vocation. Si elle rêve de suivre le chemin de sa sœur aînée et d’entrer au couvent, la réalité la rappelle vite à la raison : « je voulais faire des retraites mais il y avait trop de travail ». Un événement, « un appel de Dieu », va pourtant tout bouleverser. Sa mère, à qui elle explique que cette rencontre vient de former sa croyance lui rétorque : « Alors tout ce que j’ai fait n’a servi à rien ! ». Peu importe, Anne-Marie entre au couvent. Huit ans durant, dont deux au Chili, quelques mois en Afrique au cours desquels elle apprend à coller des icônes sur bois.

Au bout de huit ans, déçue par « ce monde en miniature », elle quitte le couvent, retourne à la vie civile et fait une retraite sur la découverte de l’icône. Convaincu par son talent, un prêtre l’embauche, et lui fait peindre durant plusieurs années différentes icônes : « tout de suite, tous ceux que je rencontrais m’ont encouragé à continuer alors que j’attendais que l’on me dise d’arrêter ! Ils me disaient que j’avais ce qui est nécessaire à celui qui peint, la prière ». Cette validation de l’Église en poche, c’est à Vézelay que son avenir va se jouer. En 1999, l’un de ses amis achète une maison et lui propose de lui laisser une pièce pour exposer ses “œuvres”. La rencontre avec le public est aussi immédiate que celle avec Vézelay : « quand je suis repartie de Vézelay, j’ai pleuré. J’avais l’impression de repartir de chez moi ». Un an plus tard, elle épouse le postier du bureau de Vézelay et s’installe définitivement sur la colline éternelle.

Si elle a définitivement cessé de chercher quelqu’un qui lui demanderait d’arrêter, elle continue cette activité qui « ne fait pas gagner sa vie ». Vieille de 2000 ans, la première icône, le Mandylion d’Edesse aurait été créée par Jesus-Christ qui, empêché de se déplacer en Syrie aurait fait parvenir l’empreinte de son visage au souverain pour le guérir de la lèpre. Elle serait donc acheiropoïète (« non-fait de la main de l’homme »). Depuis, si la discipline connaît un relent d’intérêt, notamment en Russie, patrie orthodoxe pour qui « la représentation du corps est très importante », la profession reste rare. Alors, dans son atelier, Anne-Marie continue de transmettre son savoir : « je reçois beaucoup de stagiaires. J’ai adopté une technique différente de la peinture traditionnelle. Je ne mélange pas les couleurs. J’utilise la transparence. C’est la méthode d’Ouspensky (Leonide Oupensky, 1902-1987, Ndlr) Je me considère comme l’une de ses petites-filles. Il est venu à l’icône par le communisme. Il les a d’abord détruites, adepte de la peinture profane, avant de les peindre et de devenir un iconologue réputé ».

CE PETIT PLUS…

Malgré la concurrence de l’industrie, Anne-Marie Bonhomme dit se sentir « pleinement équilibrée ». Une nécessité pour peindre, selon elle : « il n’y a pas de frustration à reproduire. Il y a un objectif : être fidèle à la représentation des saints ». Pas question donc de se prendre pour une créatrice : « je ne travaille pas pour faire du beau. Depuis 2.000 ans, nous reproduisons toujours les mêmes images. Mais quand quelqu’un commande une icône, il sait qu’il n’aura pas juste une image. Quand nous peignons, nous prions. C’est la prière que nous transmettons, pas une représentation ». Au-delà du mysticisme, la manufacture d’icônes répond aussi à une symbolique. Réalisée sur du bois recouvert d’une toile de lin, la planche est ensuite badigeonnée du “Levkas”, une préparation à base de blanc de Meudon et de colle de peau de lapin, puis Anne-Marie utilise la technique de la tempera à l’œuf – il en existe aussi à la graisse – un mélange de jaune d’oeuf auquel elle ajoute les pigments de couleur : « dans une icône que je réalise se trouvent tous les éléments de la terre : le végétal, l’animal et le minéral. C’est aussi cela qui fait leur particularité ». Très loin donc de l’image imprimée et collée sur du contre-plaqué produite par l’industrie.

À 64 ans, Anne-Marie Bonhomme poursuit cet apostolat qu’elle définit comme « transmettre par l’image une foi qui va bien au-delà de l’image. Je donne à travers la peinture ce que je connais de Dieu». À raison d’une vingtaine d’icônes réalisées par an ( le temps de travail pouvant aller de quinze heures pour un médaillon à plusieurs jours pour une planche plus imposante), sa petite entreprise justement nommée “La Maison de l’icône” ne connaît pas la crise. Celle qui attendait qu’on lui ordonne d’arrêter a aujourd’hui trois années de commandes devant elle…

Parcours

1956 Naissance en Belgique.
1980 Anne-Marie Bonhomme enre dans la communauté dominicaine missionnaire de Namur (Belgique).
1988 Elle retourne à la vie civile et se lance dans la peinture d’icônes.
2000 La jeune peintre s’installe à Vézelay.
2017 Anne-Marie Bonhomme crée “La Maison de l’icône”.