Pas de cession sans anticipation

Les chefs d’entreprise anticipent trop rarement sur les conditions dans lesquelles ils vont pouvoir céder leur structure. D’où l’intérêt d’avoir régulièrement recours à un conseil, comme l’explique Guillaume Martin, avocat associé au sein du cabinet dijonnais Légiconseils.

L’accompagnement sur la transmission ne démarre pas le jour où mon client a décidé de vendre son entreprise ». Ce constat, Guillaume Martin, avocat associé au sein du cabinet dijonnais Légiconseils n’est pas près de cesser de le rappeler. L’anticipation est en effet une donnée maîtresse de toute cession d’entreprise réussie. Face à la multitude d’options possibles, d’optimisations envisageables, mais aussi de pièges à éviter, seule la connaissance pointue de la législation peut permettre de prendre les bonnes décisions.

« La première question d’un client qui veut vendre son entreprise est toujours liée à la fiscalité, précise Guillaume Martin. Il veut savoir combien cela va lui coûter. Nous avons des régimes fiscaux qui évoluent dans le temps. Si on prend une personne qui a acheté son entreprise et qui la revend, elle va faire une plus-value raisonnable, mais celui qui aura créé son entreprise, au moment de la revendre, s’il l’a bien fait fructifier, il aura l’impression qu’on lui reprend une partie de son travail, alors que le taux de 30% qui s’applique peut être qualifié de très raisonnable ». Apparaît alors un sentiment confiscatoire réel.

«Dans le passé, poursuit-il, quand on vendait et qu’on faisait le détail de la fiscalité applicable, le client demandait comment il pouvait l’éviter. C’était possible en montant une société holding dans laquelle on apportait ses titres de société, juste avant la cession. Sur la plus-value qui en découlait, le législateur avait mis en place un sursis d’imposition par lequel on disait au vendeur que, le jour où il revendrait les titres de la société holding, il s’engageait à payer l’impôt par rapport à la valeur des titres de la société d’exploitation qu’il avait apporté. Prenons l’exemple de quelqu’un qui aurait constitué une société avec 1.000 euros de capital, et dont la valeur serait d’un million d’euros le jour de l’apport des titres. Cet apport fait, on constate une plus-value de 999.000 euros en sursis d’imposition. La holding vend et la personne se retrouve avec une “cash box” qui ne paye pas d’impôts. La personne place cet argent et se redistribue les revenus financiers qui auront ainsi été générés ».

CONTENTIEUX AVEC L’ADMINISTRATION

Le législateur a compris que, de ce fait, un grand nombre de plus-values n’étaient jamais taxées et se trouvaient purgées au moment de la donation. Ce type de situation s’est présentée jusqu’en 2012. Elle donnait lieu à des contentieux avec l’administration fiscale qui considérait qu’il y avait là une forme d’abus de droit. Elle avait toutefois beaucoup de difficultés à démontrer ce dernier. « Il a donc été décidé de changer la loi, constate Guillaume Martin, et là où l’on avait un sursis d’imposition qui s’appliquait dans tous les cas, on a remplacé ce sursis par un mécanisme de report d’imposition et celui-ci n’est aujourd’hui maintenu que dans l’hypothèse où la société holding conserve les titres pendant trois ans. La personne a donc une obligation de conservation des titres pendant trois ans et si la holding ne respecte pas cette obligation, la plus-value mise en report d’imposition se retrouve taxable. C’est pourquoi, aujourd’hui, en tant qu’avocat, j’ai l’obligation, dans le cadre de l’accompagnement de mes clients, d’anticiper la structuration, en leur proposant de réfléchir à la mise en interposition d’une société holding, de manière à pouvoir éviter la taxation future de la plus-value, ou, du moins, à choisir le moment de cette taxation. Il faut structurer la cession largement en amont, d’où l’intérêt pour nous d’avoir régulièrement des contacts avec les clients et de faire du suivi juridique. Cela permet de faire le point sur les projets du client, sur ses besoins, si nécessaire, l’alerter sur les problématiques de fiscalité qui peuvent se poser en cas de transmission ». Les dirigeants d’entreprise doivent donc être conscients qu’on peut utiliser un certain nombre de leviers afin d’optimiser la situation et disposer de quelque chose qui correspond plus à ce qu’ils souhaitent.

« Nos clients attendent de nous que nous les alertions sur l’intérêt, par exemple, de mettre en place un Plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco), ou sur leur statut social (s’il faut rester en SAS ou en SARL)… Il existe tellement d’outils et de mécanismes que le dirigeant d’entre- prise ne peut pas tous les connaître. Par ailleurs, lorsqu’on s’apprête à réaliser une partie de son patrimoine, il y a cette fameuse plus-value latente. Ne faut-il pas mieux donner à ses enfants avant de céder, plutôt que de faire l’inverse ? Donner une partie des titres avant de céder l’entreprise peut permettre de purger la plus-value sur la partie donnée aux enfants ». Là aussi des optimisations sont à faire, et là encore, il faut anticiper.