Partie de campagne

Il est l’heureux propriétaire du château de Saint-Martory, un lieu de villégiature unique, qui attire en Comminges des hôtes du monde entier.

Au cœur du Comminges, le château de Saint-Martory domine la Garonne. Bâti à la Renaissance, il est la propriété de Jean-François Delort, un ex-banquier d’affaires, passionné d’architecture et d’art contemporain. Aux commandes de ce paquebot de pierre, il en a fait en 20 ans un lieu de villégiature pour vacanciers aisés et cyclistes amateurs venus d’Australie, du Canada, de Nouvelle-Zélande, des États- Unis attirés par les cols pyrénéens, quand il ne sert pas d’écrin champêtre à des mariages et des séminaires d’entreprise. Une activité que la crise de la Covid a mise à l’arrêt. En attendant d’accueillir à nouveau jeunes mariés et CSP ++ en quête d’expériences inoubliables, le châtelain poursuit les travaux d’embellissement et de modernisation de ce patrimoine exceptionnel sauvé de la ruine par son père en 1991. Ce père à la « carrière incroyable », c’est Jean-Jacques Delort. Un homme qui « s’est fait tout seul, raconte son fils. Issu d’une famille très modeste originaire de l’Ariège, il est devenu le PDG du Printemps-Redoute », avant le rachat par François Pinault. Né à Toulouse, le grand patron a rêvé toute son enfance d’acquérir ce château. Mais lorsque le rêve devient réalité, l’édifice et ses dépendances sont en très mauvais état. Il ne commencera réellement les travaux de rénovation qu’en 1998, deux ans avant sa disparition. Pour Jean-François Delort, qui hérite d’un domaine de 40 ha, il y a quasiment tout à faire. « J’ai repris quelque chose qui ressemblait plus à un concept, explique-t-il. Mais ce bâtiment était tellement unique ! Le cachet d’un château Renaissance, ça n’a pas de prix. On ne peut pas reconstruire cela aujourd’hui. Et puis le contact avec la nature, ces lieux qui me rappelaient un peu mes grands-parents, l’Ariège, ont fait que, mon père étant parti, je me suis dit qu’il fallait avoir des racines quelque part. J’ai choisi de les avoir ici. »

Jean-François Delort, lui, a grandi à Paris, fait des études en finances et en fiscalité à Dauphine, puis Sciences Po. Son diplôme en poche, en 1994, il s’envole pour New York, rejoindre les équipes du Crédit Lyonnais puis de la Banque Lazard. Le jeune diplômé est à l’époque séduit par « cette efficacité, ce côté un peu nonchalant et cette capacité de travailler en équipe beaucoup plus développée que chez les Français » qu’ont les Américains. Mais au-delà du team spirit, d’autres choses l’attirent dans la Grosse Pomme. Depuis l’âge de 16 ou 18 ans, explique- t-il, « j’étais féru de banque, d’OPA hostiles, de M & A (fusions-acquisitions). J’adorais les histoires de junk bonds (obligations à haut risque, NDLR), inventées par Mickael Milken dans les années 80. Ces espèces d’aventuriers ou de corsaires de la finance moderne me fascinaient. » Un attrait qu’est bien loin de partager son père. « Il n’avait pas beaucoup d’atomes crochus avec la finance, reconnaît Jean-François Delort. C’est peut-être pour cela que j’aimais tant ça, parce qu’on essaie toujours de se démarquer de l’emprise paternelle ! »

Après le décès de son père, le banquier d’affaires intègre le bureau de Paris. « Je n’étais pas très heureux de travailler là et j’avais un peu de mal à conjuguer mes responsabilités professionnelles – une disponibilité sept jours sur sept, 18 heures par jour, des voyages tout le temps – et un château dont je devais m’occuper. Il était un peu, à l’époque, un passif », pour ne pas dire un boulet. Dans le même temps, ajoute Jean-François Delort, « j’avais l’impression que ma vie n’avait pas beaucoup de sens. J’avais fait le tour de la question. Mes motivations financières et l’excitation que j’éprouvais à 16 ans étaient retombées. »

En quête de « slow living », Jean-François Delort démissionne de la banque Lazard pour s’installer dans son château de Saint-Martory. « Je pense que certaines personnes ont été sidérées, parce qu’aucune ne l’avait fait avant moi ! On partait de Lazard pour aller prendre une direction à la Générale des Eaux, chez Peugeot, Suez ou on partait chez Rothschild, mais on ne démissionnait pas. »

Jean-François Delort entreprend de retaper le château « par cercles concentriques », meublant et redécorant l’édifice, créant une piscine, rénovant la métairie, nettoyant l’exploitation agricole, créant un parc, plantant des arbres – l’année suivante, la tempête Klaus jettera au sol 15 000 de ces arbres « qu’on a redressés au fil de week-ends de ripaille avec des copains venus de Paris ! », se souvient Jean-François Delort.

Mais malgré les attraits de la campagne, à cet homme qui a « la bougeotte », le temps semble un peu long. En 2002, pour s’occuper et se donner l’occasion de prendre l’avion pour Paris, il fonde La Poularde de Saint-Martory, un commerce de gros de « foie gras, magrets, volailles, agneau, gibier, qu’on trouvait ici dans les fermes » avec lesquels Jean-François Delort régale les clients des restaurateurs parisiens, « du trois étoiles Michelin au bistrot de quartier ». La petite boîte, qui génère 5 M€ de chiffre d’affaires par an, lui « permet d’être au contact de ce que j’aime aussi, la gastronomie. »

L’homme est assez fier de sa réussite « parce que, explique-t-il, je n’y connaissais rien. J’avais envie de créer une société. Cela me manquait, parce qu’au sein de la banque, on discute avec des Bernard Arnaud, des PDG de sociétés multinationales ; on fait des calculs sur la base de chiffres qui sont tellement énormes, que chaque virgule vaut des millions d’euros. Mais ce ne sont que des chiffres. Un banquier ne sait pas forcément qu’on paie les charges sociales le 15 du mois qui suit la fin du trimestre. Il y a vraiment deux visions de l’économie : une vision depuis 10 km de haut, celle du banquier d’affaires et la vision du chef d’entreprise qui doit gérer des problèmes sociaux, réglementaires, de faillite de certains de ses clients, de banques un peu fébriles. C’est un sacré challenge d’être à la tête d’une TPE/PME en France aujourd’hui. Et puis surtout, il n’y a pas de mode d’emploi ! »

A-t-il parfois des regrets ? « Je suis très content des choix que j’ai faits, assure-t-il. Je suis capitaine de mon navire et c’est à moi de faire en sorte que les choses avancent. Je gère mon emploi du temps et j’ai beaucoup de temps à consacrer à mes enfants, ce qui n’était pas le cas de mon père quand j’ai grandi. Ai-je fait les bons choix ? Je ne le saurai jamais. Ce qui est certain c’est que je suis beaucoup plus humain maintenant que quand j’étais banquier d’affaires ! »

Passionné de plongée sous marine, le chef d’entreprise garde un sac de voyage jamais très loin. Après avoir découvert l’Amérique du Sud, sac au dos une fois la porte de Lazard refermée, et remonté le continent d’Ushuaia à Caracas, il a posé ses valises au Brésil à deux reprises, et vécu également à Lisbonne, avec femme et enfants. Des deux côtés de l’Atlantique, il a gardé des activités d’aménageur là-bas et de rénovation urbaine ici, « ce qui me permet de conjuguer le côté économique et gagne-pain, avec ma passion pour l’architecture, la rénovation, la déco, le choix des matériaux. La boucle est bouclée », s’amuse-t-il.

Son château dans le Comminges reste cependant son plus « gros défi. Transformer Saint-Martory d’un centre de coûts en un centre de profits m’a pris 20 ans. La première année où nous avons été bénéficiaires, c’est en 2019, et j’étais assez fier de ça, parce que j’avais réussi à prouver qu’il était possible de bâtir un modèle économique différent », admet-il. Ni chambre d’hôte, ni hôtel de luxe, Jean-François Delort a trouvé « une solution hybride : c’est une maison privée que vous louez, sous forme de location saisonnière, mais on y ajoute tous les services que vous pourriez avoir dans le meilleur hôtel cinq étoiles de la Côte d’Azur. Un business model assez unique pour un lieu unique. » Pour réduire au maximum les coûts d’exploitation, il s’appuie aujourd’hui sur « une swat team », une petite équipe de choc qu’il recrute, forme et mobilise en fonction de ses besoins : mariages, séminaires, vacanciers et cyclistes amateurs du monde entier. Un sport dont il a saisi tout l’intérêt à l’issue d’une étape du tour de France, en 2015. « J’ai reçu un jour une demande d’une association américaine, l’USA Cycling et c’est ça qui m’a ouvert les yeux. Ces sportifs de haut niveau, même s’ils n’étaient que des amateurs, sont partis en voiture avec des guides, des masseurs pour faire le plateau de Beille avant l’étape du tour de France et passer l’après-midi à regarder l’arrivée dans les tribunes d’ASO. Et le soir, comme en descendant du plateau de Beille, il y avait beaucoup d’embouteillage, ils sont revenus avec quatre hélicoptères Écureuil. Je me suis dit qu’il y avait effectivement du potentiel dans le cyclisme ! »

Dans son château cinq fois centenaire, ce collectionneur accueille également des artistes tels son ami peintre et sculpteur Michel Battle ou Patrick Willocq, photojournaliste, avec lequel il a conçu une exposition sur les migrants qui a eu les honneurs d’un reportage sur Arte. « En 2017, ce thème me taraudait. Des migrants venaient d’arriver dans le village alors qu’on était en plein stress post-attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, des viols à Cologne… La télé ne cessait de faire l’amalgame. Ce que je voulais montrer, c’est que les migrants, qui s’étaient installés à Saint-Martory dans ce centre d’accueil nouvellement créé, en provoquant d’énormes remous dans le village, n’étaient pas les personnes qu’on nous décrivait à la télé : des violeurs, des voleurs ou des terroristes. J’avais envie de rétablir la vérité. On pouvait montrer ça au moyen de l’art. Parce que l’art permet de parler de tout », explique-t-il.

S’il ne sait pas de quoi il sera fait, Jean-François Delort prépare activement l’avenir, investissant dans un énorme poêle à bois, une super borne de recharge, etc., afin d’être prêt dès que ses hôtes pourront revenir… « Je me donne encore 20 ans de travail utile et après, si l’un de mes fils veut le récupérer, je ne veux surtout pas l’obliger. Mon rêve, c’est qu’on ait à terme l’équivalent d’un relais et château, avec un restaurant, pour essayer de courir après une étoile ou deux étoiles au Michelin. J’ai aussi envie planter des vignes… Bref encore pas mal de projets ! »