Arnaud ThersiquelParce qu’il le vaut bien

(Photo : Agnès Bergon)

Le Toulousain est le cofondateur et CEO d’At Home, une plateforme de services allant de l’hébergement au savoir, du réseau aux solutions de financements, qui, avec ses partenaires, vient de se voir confier par la Région, la gestion du tiers lieu de la future Cité des start-up à Montaudran.

Dans la petite salle de réunion de la rue des Marchands, Arnaud Thersiquel s’excuse d’avoir encore un peu de peinture bleue sur les mains. Le CEO d’At Home passe les derniers coups de pinceaux aux locaux plus vastes et mieux agencés du quartier Compans-Cafafarelli où toute la communauté s’apprête à déménager. Un nouveau bon en avant pour l’association créée en 2015, passée en quelques années d’une quinzaine de personnes à près de 40 entreprises et 400 collaborateurs aujourd’hui entre ses sites de Toulouse et Paris.

En pleine croissance, At Home enchaîne les projets : elle a été retenue avec ses partenaires Spring Lab, Emmanuelle Durand-Rodriguez et Esprit Pergo, pour concevoir, gérer et animer le tiers lieu de la future Cité des start-up, portée par la Région, qui occupera à l’horizon 2020 les anciennes Halles Latécoère. L’association, qui emploie aujourd’hui cinq salariés et réalise 1 M€ de volume d’activité – elle prévoit de double ces chiffres dès l’an prochain –, a également été retenue dans le cadre de l’appel à projet de Toulouse Métropole Dessine moi Toulouse pour gérer un espace de co-manufacturing dans les anciennes Halles Amouroux… Et encore, ce n’est qu’une étape. « Nous sommes en train de concevoir un lieu au cœur de la ville à disposition du citoyen où l’on puisse prendre un verre, découvrir les maquettes des grands projets de sa ville, interpeller son élu au sujet des problématiques de son quartier », explique Arnaud Thersiquel. En quelque sorte recréer une agora, afin d’offrir au citoyen une expérience nouvelle, parce que, poursuit-il « c’est ce qui nous manque : nous vivons à travers Facebook, nous allons au café du coin boire un verre avec nos amis… mais nous ne confrontons pas vraiment nos idées ».

Échanger, c’est justement ce que font en permanence Arnaud Thersiquel et les membres de sa tribu d’At Home, une communauté d’entrepreneurs qu’il a cofondée il y a quatre ans, née d’un besoin commun d’héberger leurs activités et de partager entre startuppeurs pour grandir ensemble. À l’époque, le Toulousain qui n’a que 26 ans, se remet du naufrage de sa première entreprise, Ateliers Tersi, créée trois ans plus tôt, dont il ne garde aucune amertume. « J’avais la sensation d’avoir tout donné, d’avoir atteint le moment de rupture physique et mentale. Pendant six mois, l’impression que le corps implose : des problèmes de santé et l’incapacité de retrouver une énergie, dus au surmenage. C’était du non-stop, tous les soirs, tous les week-ends… Aucun regret donc, juste la sensation d’avoir fait le maximum. Pour rien au monde je recommencerais ce rythme-là qui était inhumain ».

En 2013, Arnaud Thersiquel vient tout juste de boucler son master en management qu’il a passé en alternance à TBS et Thales Avionics avec le projet de devenir contrôleur de gestion. « C’était très intéressant, se souvient-il, mais je me suis rendu compte que je n’avais pas réellement la volonté de rentrer dans une grande entreprise. Je me posais réellement la question de ce que je valais. Quelle est ma vraie valeur ? Qu’est ce que j’apporte ? On dit habituellement que, sur le plan professionnel, la valeur d’une personne c’est son salaire. Moi, j’étais incapable de dire que je valais x milliers d’euros paran. Je me suis demandé ce que j’étais capable de créer. Tout est parti de là, de cette question: qu’est ce que je vaux? et de ce refus de rentrer dans un grand groupe pour disparaître dans une masse ».

Arnaud Thersiquel décline l’offre d’embauche de Thales : « je me suis dit que l’entrepreneuriat pouvait être une piste intéressante. Cela me taraudait depuis longtemps ». De fait, le Toulousain se replonge dans l’histoire familiale : un grand-père entrepreneur à la tête de Myma, une marque et un fabricant de chaussures installé dans le quartier des Minimes à Toulouse, qui au plus fort de son activité comptait « une quarantaine de magasins et fabriquait mille paires par jour, détaille Arnaud Thersiquel. La marque a chaussé les Toulousaines, les jeunes actives des années 60 aux années 2000 ».

Passionné par « la belle matière, le beau cuir, le beau geste, l’aspect artisanal de la chaussure », l’ex-étudiant étudie le marché. « Je me suis rendu compte qu’il manquait ce lien entre la créativité des artistes français et le monde de la chaussure, un artisanat séculaire qui était en train de se perdre ». À la tête d’Ateliers Tersi qui ambitionne d’accompagner des artistes tout au long du processus créatif jusqu’à la fabrication du produit, il travaille avec une designeuse industrielle Matali Crasset, l’écrivaine Marie Desplechin, Gontran Cherrier, artisan boulanger, ou encore Rudy Ricciotti, architecte du MuCem. Une belle expérience même si elle s’est soldée par une cessation de paiement faute d’avoir pu lever des fonds, et l’a conduit au bord de l’épuisement. « J’ai eu la chance, très tôt, à travers ça, de rencontrer des gens avec des personnalités incroyables, des gens très marqués », assure-t-il. Il apprend aussi la ténacité, à « ne jamais lâcher l’affaire ! »

En même temps en 2015, « nous étions plusieurs à sortir de l’incubateur de TBS, TBSeeds, et cherchions un lieu pour nous héberger. On ne trouvait rien à notre idée. On voulait de l’échange, de la bienveillance, partager des instants de vie. Nous avons décidé de prendre un petit appartement et de partager le loyer ».

L’aventure d’At Home a démarré comme ça, dans 200 m2 situés place de la Bourse. En six mois, l’association passe de 15 personnes hébergées en avril 2015 à 55 en décembre. « Tout de suite, malgré nous, on a subi cette hypercroissance, explique Arnaud Thersiquel : on avait besoin d’échanger nos compétences, on a fait nos premières conférences. Au bout de la quatrième, les gens s’installaient dans le couloir parce qu’il n’y avait pas assez de place… ». Les banques et les collectivités suivent le mouvement. Arnaud Montebourg, puis Nathalie Kosciusko-Morizet pointent aussi le bout de leur nez. « L’un des facteurs déterminants pour la suite d’At Home, analyse Arnaud Thersiquel, c’est qu’on n’a jamais regardé la concurrence. Et aujourd’hui, chaque fois que je rencontre des créateurs ou que je m’exprime devant des étudiants, je leur dis systématiquement : “arrêtez de bench-marker, d’étudier la concurrence. Étudier la concurrence, c’est ne pas innover, ne pas s’écouter, ne pas créer. C’est niveler son concept en fonction des autres, pour se retrouver dans une moyenne”… »

Les besoins continuent de grandir. L’association s’installe dans près de 900 m2 rue des Marchands, puis rue du Languedoc, ouvre un espace à Paris. « C’est presque irrationnel de dire ça, mais en fait, on s’est tout le temps regardé le nombril pour se demander : qu’est ce qu’il nous faut ? Qu’est-ce qui marche ou ne marche pas ? », s’amuse le CEO d’At Home. À peine six mois après l’ouverture à Paris, la structure atteint l’équilibre financier. Elle se structure, recrute mais garde sa singularité que le Toulousain résume : « en premier l’esprit de famille, la volonté de partager. On n’est pas dans des postures du type : “je suis le plus fort”… Dans At Home, il n’y a pas de faux-semblant. Et puis, on a le culte de la croissance : pas l’hypercroissance avec des levées de fonds monstrueuses, mais une croissance raisonnée. Selon nous, il faut en permanence avancer, structurer, créer de la valeur. On veut mettre nos entreprises dans une posture de développement et de structuration financière, humaine… » . Sans prendre la grosse tête. « Je dis souvent à mes équipes qu’il ne faut pas oublier d’où l’on vient ; qu’on a beaucoup bricolé au début ; qu’on a fait avec peu de moyens. Et ce n’est pas parce qu’on a aujourd’hui de gros projets structurants qu’il faut oublier ça. Je crois beaucoup à la notion de frugalité. Comment peut-on faire mieux avec toujours moins de moyens ? La question n’est pas de réduire à chaque fois les budgets mais de voir comment on peut faire par nous-mêmes, comment on peut fixer le prix juste, éviter une dépense qui serait excessive. De quoi a-t-on besoin ? Qu’est ce qui est essentiel ? ».

S’interroger, échanger, partager, progresser, c’est le credo du CEO. « C’est le fil rouge entre ces lieux : comment en partant des start-up, on élargit aux PME et ETI à Montaudran et aux artisans à Amouroux, en appliquant simplement des méthodes de travail similaires à des communautés différentes ».

Parcours

1990 Naissance à Toulouse.
2010 Après un IUT, intègre une licence en gestion, parcours management à Toulouse School of Management (TSM), ex IAE.
2013 Obtient un master Business administration, management and operations à Toulouse Business School (TBS) en alternance chez Thales Avionics.
2013 Crée Ateliers Tersi, éditeur de souliers inspirés.
2015 Cofondateur et CEO de l'association At Home.
2019 Avec ses partenaires, At Home se voit confier la conception, la gestion et l'animation du tiers lieu de la Cité des start-up.