Pourquoi voit-on plus facilement les choses en négatif qu’en positif ? Inverser cette tendance naturelle est possible, avec un peu d’entraînement.
L’heure n’a jamais été aussi manichéenne. Je suis AVEC lui, ou CONTRE lui… Si je ne fais pas BIEN, je fais MAL. Ce qui n’est pas NOIR est forcément BLANC. En politique, en amitié, en sport, en management, en estime de soi, tout semble porter à croire que la nuance n’existe pas ou plutôt n’a pas lieu d’être. Ou plus précisément qu’elle serait l’apanage des « sans avis ou sans conviction », des faibles, des mous, des petits. « On » se plaît, consciemment ou non, à opposer le bien et le mal, le blanc et le noir, le bon et le mauvais, le gentil et le méchant, le fort et le faible… C’est l’un ou l’autre, 100% ou 0%, pas 25, ni 50, ni 75 %… Avec ce type d’analyse à la serpe, qui ne laisse pas place à la nuance, on comprend mieux les perceptions, les ressentis de chacun d’entre nous. « J’ai une passion qui me remplit beaucoup, une belle famille, une semaine de vacances qui s’annonce chouette mais… un dernier rendez-vous la semaine dernière avec mon patron qui s’est mal passé, très mal passé… ». Du coup envolées ma belle-famille, ma semaine de vacances, ma passion. Tout ça passe à 0 % ou presque, comme si ça ne comptait plus. Et ce rendez-vous de 30 petites minutes la semaine dernière qui va occuper 100 % de ma tête, représenter 100 % de mon état, de mes sentiments. Comme si deux forces s’affrontaient : « ce qui m’arrive de bien contre ce qui m’arrive de moins bien ». Et le mauvais, le pas bien, le stressant, le non satisfaisant, l’emporte souvent à plate couture sur le bien, le chouette, l’agréable…
UN NÉGATIF PLUS VALORISÉ ?
Mon bulletin du deuxième trimestre est très bon, les notes et les commentaires sont d’excellente facture. J’ai même les félicitations du conseil de classe. Alors pourquoi cette remarque du professeur de français « doit plus participer » prend toute la place dans mon ressenti interne de la situation. Disparus de ma vision, les « excellent élève, sérieux et travailleur », les « élève pétillant, dynamique », les « poursuivez ainsi, c’est très bon ». Comme si la valeur d’un bon point était inférieure à celle d’un mauvais, nettement. Comme s’il fallait plus de « très bien » pour compenser un seul « pas très bon ». Ou pire, comme s’il ne fallait aucun « moins ou pas bien » pour remporter la victoire vraiment, atteindre son objectif totalement, tenir ses engagements absolument. Mais en quel honneur, selon quel principe fondamental, le négatif serait plus « valorisé » que le positif ? Pourquoi a-t-on dû inventer la psychologie positive pour compenser ce fonctionnement interne négatif ? Pourquoi, quand on a presque tout bon, on a l’impression souvent d’avoir échoué ? Pourquoi cette petite voix intérieure, qui nous dit « sois parfait » est-elle si persistante ? On nous a souvent dit que c’était pour la bonne cause : si tu es trop positif, tu risques de t’endormir sur tes lauriers, si tu ne vois que le verre à moitié plein, tu ne te remettras pas en cause…
Encore fallait-il prouver, scientifiquement, sérieusement, que c’est le verre à moitié vide qui motive les gens, que ce sont les remarques négatives qui poussent vraiment à progresser, à donner le meilleur de nous-mêmes. Et bien les scientifiques ont prouvé le contraire… La remarque positive, le regard bienveillant, l’évaluation rassurante, quand ils sont avérés évidemment, voilà ce qui entraîne, embarque, inspire. Alors la question pourrait être : est-ce qu’un monde parallèle existe ? Un monde où notre subconscient nous dirait « fais des erreurs, vas-y, c’est pas grave » ou nous irions voir des psychologues, des coaches qui pratiqueraient la science de la psychologie négative afin d’être moins positif, moins joyeux… Un monde où les instituteurs commenteraient les 12/20 ainsi : « ces 12 points ont été gagnés grâce à… et à… Bravo pour le premier exercice réussi à 100 %. Poursuis dans cette direction ». En réalité, ce monde-là n’existe pas vraiment. On l’aperçoit de temps en temps, on le touche du doigt parfois, on l’entend chuchoter par moment, mais c’est souvent furtif. L’une des conséquences de ces perceptions tronquées mais négatives, est l’inaction, le non passage à l’action, l’action en panne… À force d’entendre, de recevoir, de ressentir, de percevoir du négatif, du pas parfait, du presque bon, nous finissons par accepter que c’est LA réalité. La confiance est atteinte, l’estime de soi, touchée, l’optimisme d’y arriver est amoindri… Le doute prend de la place doucement, les connexions neuronales négatives grossissent puis c’est l’ensemble du système de mise en mouvement qui s’inhibe. À quoi bon commencer quelque chose si je sais que je n’atteindrai pas 100 % de l’objectif visé ? Pourquoi se mettre en mouvement si je suis quasiment convaincu que c’est voué à l’échec ? Pour quelles raisons essayer quelque chose si je me dis, au fond, que ça n’est pas une si bonne idée que ça ? À penser qu’il faut être l’opposé de ce que nous sommes, à se mettre comme objectif visé la réussite totale contre l’échec absolu, évidemment on n’y va pas, on ne commence même pas, on n’enclenche pas le mouvement.
CONTRE MOI, POUR MOI
Et si vous décidiez de combattre, de prendre les armes, contre vous… pour vous ! Le combat qui consiste à lutter contre cette toute puissance de la recherche du parfait qui conduit à mettre un voile négatif sur tout. Celui qui a pour objectif de remettre les choses positives à leur place. Combat difficile car nous ne partons pas à armes égales. Rappelons que notre capital émotionnel recense une émotion primaire positive (la joie) contre cinq à tendance négative (le dégoût, la peur, la colère, la tristesse, la surprise). Combien de grandes joies à éprouver dans une journée pour remporter la partie contre la petite mauvaise nouvelle ? Prendre les armes, ça n’est pas devenir naïf, voir du positif dans tout, penser que tout est chouette et joli. C’est évidemment accepter ce qui négatif, décevant, non satisfaisant. Mais c’est en même temps garder les yeux grands ouverts sur les autres éléments qui sont positifs, encourageants, satisfaisants. Essayer quelque chose de nouveau qui ne fonctionne pas aussi bien qu’espéré, c’est décevant de par le résultat atteint à date mais c’est également très positif de par le fait d’avoir osé essayer. Pour ouvrir ses deux yeux (celui qui voit le négatif et celui qui voit le positif), il suffira à certains d’y penser tout naturellement, tout seul, par soi-même : comme si ce double foyer visuel était un équipement d’origine, presqu’inné. Pour les autres, probablement la majorité d’entre nous, il conviendra de s’y entraîner, de se former, d’apprendre quelques outils ou réflexes… comme toute personne qui voudrait acquérir une nouvelle compétence. Mais le jeu en vaut probablement la chandelle !