Onboarding : un (nouveau) challenge pour les entreprises

(Photo : Pixabay)

Dans un contexte de guerre des talents, soigner l’intégration des nouvelles recrues est essentiel. Les conseils de Frédéric Labarthe, directeur général du cabinet Corinne Cabanes et associés.

Il ne suffit pas de recruter les meilleurs, encore faut-il les garder ! Le défi est d’autant plus grand aujourd’hui que la génération Y n’a a priori plus aucune réticence à changer d’entreprise, dès lors que les conditions de son épanouissement au travail ne sont pas réunies. « Un tiers des personnes embauchées en CDI ne finit pas la première année dans l’entreprise tandis que 50 % des nouveaux collaborateurs songent à quitter l’entreprise durant la période d’essai, sachant que près 15 % des dites périodes d’essai ne sont pas couronnées de succès », rappelle Frédéric Labarthe, directeur général de Corinne Cabanes et associés, un cabinet de conseil en ressources humaines installé à Blagnac qui organise chaque mois en partenariat avec La Gazette du Midi un petit-déjeuner débat sur une thématique RH. L’intégration des nouvelles recrues est le dernier sujet de la saison, avant une reprise en septembre.

3 % DE LA MASSE SALARIALE

Le phénomène n’est pas nouveau, mais « il s’accélère, ajoute le dirigeant. On voit aujourd’hui beaucoup de profils de trentenaires qui ont déjà fait cinq entreprises. Pour ces nouvelles générations, il n’y a plus de frein psychologique à la mobilité. Lorsqu’au sein de l’entreprise, cela ne se passe pas bien, la décision de partir est beaucoup plus rapidement prise ». La tendance, qui touche tous les types d’entreprise quelle que soit leur taille ou leur branche d’activité, ne paraît pas devoir s’inverser, notamment parmi la population la plus qualifiée, sachant que, rappelle le professionnel, « chez les cadres, nous sommes quasiment au plein-emploi ».

Or ces recrutements ratés ont un coût, « évalué à près de 3% de la masse salariale en France, précise Frédéric Labarthe. Mais au-delà de l’aspect financier, cela a aussi un coût beaucoup moins palpable pour l’entreprise, en termes de performance et d’engagement des collaborateurs. Lorsque la personne recrutée ne reste pas, cela a un impact sur toute l’organisation, les gens commencent à se poser des questions. Dans une entreprise où il y a beaucoup de turnover, on sait que l’engagement des collaborateurs est moindre ».

NON-DITS

Réussir l’intégration des nouveaux collaborateurs, ce qu’on désigne souvent par le vocable anglais d’onboarding, n’a donc rien d’anecdotique, à tel point que des start-up se sont engouffrées dans la brèche. Des plateformes digitales proposent en effet un accompagnement sur-mesure qui a au moins le mérite de donner à la personne nouvellement embauchée de la visibilité.

Pour Frédéric Labarthe cependant, « l’intégration ne se résume pas à des procédés administratifs, ni au fait de comprendre son poste de travail. C’est aussi intégrer ce qu’est la culture de l’entreprise, ses codes non explicites, pour arriver à se positionner efficacement. C’est un processus multifactoriel ». La démarche mobilise d’ailleurs aussi bien l’entreprise que la personne embauchée.

Côté entreprise, Frédéric Labarthe distingue plusieurs étapes. « Avant l’arrivée du nouvel embauché, de fait dès la phase de recrutement, il faut s’assurer que telle personnalité, au-delà des compétences techniques, « collera » bien avec la culture de l’entreprise. Et sur ce point, un cabinet de recrutement a une forte valeur ajoutée, notamment pour déterminer quel trait de caractère fonctionnera le mieux dans l’environnement de l’entreprise ou bien quel type de personnalité manque dans l’équipe. Ce sont vraiment des questions clés ».

Autre cause d’échec du recrutement, auquel il est pourtant facile de remédier, c’est l’impréparation de l’onboarding. « La personne embauchée arrive dans l’entreprise, mais, typiquement, n’a pas d’ordinateur ou pas de bureau, pas de ligne téléphonique, pas de mail… Cela paraît tout bête, mais ça reflète l’engagement et l’effort que met l’entreprise dans l’intégration du collaborateur. La partie administrative doit être la plus fluide possible pour éviter de créer des frustrations ».

CLARIFIER LES ATTENTES

Le directeur général de Corinne Cabanes et associés pointe une autre pierre d’achoppement dans le processus d’onboarding : « c’est lorsque l’entreprise n’a pas accordé à la personne recrutée suffisamment de temps, soit au départ, soit dans les premiers temps de la mission. Il appartient en effet au manager ou au responsable RH de caler des entretiens de suivi hebdomadaires et de créer des sas de communication informelle tout au long de la semaine. L’autre point important, c’est pour le manager le fait de clarifier ses attentes à court et moyen terme. Si certains recrutements ne fonctionnent pas, c’est par manque de ligne directrice : les gens ne savent pas ce qu’ils ont à faire. Cela crée de l’incertitude et encore une fois de la frustration ».

COACHING TRÈS RAPPROCHÉ

Toutefois, selon Frédéric Labarthe, le rôle du manager ne s’arrête pas là. « Il doit s’assurer ensuite du suivi de son apprentissage, en fonction des objectifs qui ont été fixés à court ou moyen terme et mettre en place des actions correctrices le cas échéant. Il crée les moments ou les formats qui permettent d’intégrer le collaborateur au groupe plus large que constitue l’équipe : les collègues directs mais aussi les personnes avec lesquelles il sera amené à collaborer. Il s’agit aussi pour le manager de clarifier ses attentes vis-à-vis de ces différentes personnes. L’idéal étant de ne pas fixer des attentes démesurées pour ne pas mettre le collaborateur, dès le départ, dans une situation d’échec, mais plutôt de fixer des objectifs atteignables pour lui permettre d’enregistrer rapidement ses premiers succès et créer une dynamique positive, quitte à augmenter progressivement les exigences ».

En cas de difficulté, le manager devra très rapidement intervenir pour « coacher la personne et lui donner les clés afin de lui permettre de corriger son attitude par exemple ». À ce moment du processus, il n’est peut-être pas inutile de recourir à un intervenant extérieur qui pourra, en coachant les deux parties, leur permettre de travailler ensemble, notamment lorsqu’elles ont des modes de fonctionnement très différents.

SIGNAUX FAIBLES

Côté collaborateur, il faut également se poser les bonnes questions. « Il ne s’agit pas d’arriver comme une fleur et de se laisser guider par le process », indique Frédéric Labarthe. Ces questions portent en premier lieu sur la culture de l’entreprise et son mode de fonctionnement. « Il s’agit en l’occurrence de capter les signaux faibles, les codes pour savoir comment se comporter. C’est aussi s’interroger sur son rôle dans l’équipe, ce sur quoi la personne est attendue : est-elle un facilitateur ou celle qui doit challenger le reste de l’équipe ? La personne doit également s’interroger sur les compétences qu’elle doit acquérir immédiatement – c’est la notion de socle qu’il faut posséder très vite – ou plus tard, afin de placer ses efforts au bon moment ». L’entreprise devra l’accompagner via un processus de formation qui tienne compte de la fameuse courbe d’apprentissage.

Dernière question, selon Frédéric Labarthe, que devra se poser la nouvelle recrue : « il s’agit d’identifier quelles sont les personnes clés dans l’entreprise, celles avec lesquelles elle devra engager une relation plus personnelle. C’est ce qu’on appelle l’intelligence organisationnelle : savoir de qui on doit se rapprocher pour avoir les bonnes clés. L’exemple typique, c’est l’assistante du DG ! Elle est souvent cachée dans l’organigramme, mais elle sait tout dans l’entreprise. Elle fait donc partie des personnes avec qui il est bon de développer des relations personnelles. Ce n’est qu’un exemple : l’idée est d’aller au-delà de l’organigramme et de comprendre comment tout cela fonctionne pour savoir avec qui développer une relation de confiance, – même si idéalement, c’est avec tout le monde ».

Frédéric Labarthe en est convaincu : « l’intégration est un vrai sujet. Dans le contexte actuel de guerre des talents, les trouver, c’est compliqué. Les entreprises ne peuvent pas se permettre de perdre un tiers des gens en cours de route. Celles qui investissent dans des talents doivent pouvoir les garder dans le temps. On peut d’ailleurs faire un parallèle avec le domaine de la vente, où l’on dit souvent que ce qui compte ce sont les dix premières secondes. Pour qu’un nouveau collaborateur se sente bien dans l’entreprise, ce qui compte beaucoup c’est le début. On peut essayer de rattraper les choses après, mais on n’a qu’une chance de faire une première bonne impression ».