Nouvel Accord National Interprofessionnel sur le télétravail : décryptages

Audrey MERTENS

Le télétravail revêt un caractère volontaire pour le salarié et l’employeur, sauf cas de force majeure ou circonstances exceptionnelles. Il peut être institué dès l’embauche ou en cours de contrat de travail.

Fruit d’un diagnostic débuté en juin 2020, ce nouvel accord est définitivement arrêté depuis le 26 novembre dernier. « Ni normatif, ni prescriptif » pour reprendre les termes qui circulent le plus pour caractériser ce texte, les partenaires sociaux se sont attachés, d’une part à expliciter l’environnement juridique applicable au télétravail et d’autre part à proposer aux acteurs sociaux dans l’entreprise, au niveau des branches professionnelles, un outil de dialogue social et un appui à la négociation. C’est sur ce double fondement qu’est bâti cet accord. Décryptons ce que cela recouvre.

EXPLICITER L’ENVIRONNEMENT JURIDIQUE APPLICABLE AU TÉLÉTRAVAIL

L’accord interprofessionnel du 19 juillet 2005 et les articles L 1222-9 et suivants du code du travail constituent les normes en vigueur sur le télétravail. Il est important ici de préciser, qu’en dehors des articles 2 et 3 de l’accord interprofessionnel du 19 juillet 2005 (qui sont modifiées par la mise en place du nouvel ANI), les autres dispositions du précédent accord interprofessionnel, restent en vigueur.

Fait suite à ce rappel normatif, la définition du télétravail. Lequel « désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Proposer aux acteurs sociaux dans l’entreprise, au niveau des branches professionnelles, un outil de dialogue social et un appui à la négociation

Mise en place du télétravail, quel formalisme ?

L’ANI rappelle les modalités de mise en place du télétravail prévues par la loi : un accord collectif d’entreprise, à défaut une charte élaborée par l’employeur après avis du CSE s’il existe, de gré à gré entre salarié et employeur en l’absence d’accord ou de charte.

L’employeur responsable des activités éligibles au télétravail

« L’identification des activités de l’entreprise pouvant faire l’objet de télétravail(…) relève (…) nécessairement de la responsabilité de l’employeur et de son pouvoir de direction ». La définition des postes éligibles au télétravail dans l’entreprise constitue une prérogative de l’employeur. En revanche, la définition des critères d’éligibilité peut être discuté avec les partenaires sociaux.

Conditions d’accès au télétravail : « double volontariat », refus et réversibilité du télétravail régulier

Le télétravail revêt un caractère volontaire pour le salarié et l’employeur, sauf cas de force majeure ou circonstances exceptionnelles.

Il peut être institué dès l’embauche ou en cours de contrat de travail.

Si refus de l’employeur il y a, celui-ci doit être motivé, si le télétravail a été institué par accord collectif ou charte et que le salarié y est éligible ou si le salarié est travailleur handicapé ou proche aidant. Dans les autres cas, « l’employeur est invité à préciser les raisons de son refus ».

L’ANI fait également référence à une période dite de « réversibilité du télétravail régulier ». Ainsi, s’il est mis fin au télétravail au cours de cette période d’adaptation, le salarié retrouve son poste dans l’entreprise. Enfin, l’employeur peut organiser les conditions du retour ponctuel du salarié en télétravail dans les locaux de l’entreprise en cas de besoin particulier, de sa propre initiative ou à la demande du salarié.

Organisation du télétravail : prise en charge des frais professionnels, santé sécurité au travail, accident du travail et présomption d’imputabilité.

L’ANI rappelle que les frais engagés par un salarié pour les besoins de son activité et dans l’intérêt de l’entreprise, doivent être supportés par l’employeur. Ceci s’applique à toutes les situations de travail. Mais, ce n’est qu’après validation de l’employeur que ces dépenses peuvent être prises en charge.

Par ailleurs, et sans obligation aucune, ce sujet peut faire l’objet de discussions et négociations au sein de l’entreprise. Enfin, si versement d’une allocation forfaitaire il y a, l’ANI rappelle qu’elle peut être exonérée de cotisations et contributions sociales dans les limites fixées par la loi.

En matière de santé, sécurité au travail et conformément à son obligation générale de sécurité, l’employeur se doit d’évaluer les risques inhérents aux activités télétravaillables dans son entreprise. Même si ce rappel est contrebalancé avec l’affirmation selon laquelle, « l’employeur ne peut avoir une maîtrise complète » du lieu de télétravail. Enfin, « malgré les difficultés de mise en œuvre pratique, le télétravail est une modalité d’exécution du contrat de travail ». À ce titre, « la présomption d’imputabilité relative aux accidents du travail » trouve à s’appliquer en cas de télétravail.

DES CONDITIONS FORMELLES MAINTENUES

Poursuite du dialogue social (télétravail régulier et exceptionnel)

Anticiper est le maître-mot afin de ne pas rompre le dialogue social dans l’entreprise. Aussi, « prévoir un protocole de fonctionnement en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure » est vivement recommandé. Mais, plus largement, le développement du télétravail, qu’il soit occasionnel, régulier ou exceptionnel nécessite d’adapter les conditions de mise en œuvre du dialogue social dans l’entreprise ou au niveau de la branche professionnelle.

Si ce texte a le mérite de clarifier et orienter un certain nombre de sujets, il laisse toute latitude aux entreprises pour construire des accords qui sont à l’image de leur de l’activité quotidienne. Exercice qui peut s’avérer fastidieux et pour lequel un accompagnement juridique est possible.

UN ACCORD APPLICABLE À TOUTES LES ENTREPRISES

L’Accord National Interprofessionnel (ANI), fait partie des « lois de la profession » comme le sont les conventions collectives, les accords professionnels ou autres accords de groupe, d’entreprises ou d’établissements. Depuis la « Loi El Khomri » (dite Loi Travail) du 8 août 20161 etles«Ordonnances Macron » du 22 septembre 20172 , le législateur incite les branches professionnelles et les entreprises à édicter leurs propres règles. Les dispositions légales s’appliquant, pour un certain nombre de sujets, à titre supplétif. Une fois négocié et signé, l’ANI est traditionnellement ensuite formalisé dans une loi. Dès sa signature par les partenaires sociaux, il s’impose à l’ensemble des entreprises adhérentes d’un syndicat patronal signataire. Dès son extension, c’est à l’ensemble des entreprises (qu’elles soient ou non membres d’un syndicat patronal signataire de l’accord) qu’il s’applique.

UN ACCORD NATIONAL INSCRIT DANS UNE DYNAMIQUE SOCIALE EUROPÉENNE

L’évolution de la règlementation sur le télétravail en France s’inscrit plus largement dans une dynamique sociale européenne. En préambule de l’accord interprofessionnel du 26 novembre 2020, les partenaires sociaux y font d’ailleurs référence. Citant l’accord-cadre UE du 22 juin 2020 dans lequel « les partenaires sociaux européens soulignent l’impact de la numérisation de l’économie sur l’organisation du travail et notamment sur le télétravail (…) ayant vocation à faire l’objet d’une transposition dans chacun des Etats membres dans les trois ans suivants sa signature. Les acteurs sociaux au niveau national interprofessionnel s’inscrivent dans cette perspective ». Le premier accord-cadre européen sur le télétravail date du 11 juillet 2002.

TÉLÉTRAVAIL ET NÉGOCIATION COLLECTIVE DANS LES ENTREPRISES

Le bilan et rapport de la négociation collective pour l’année 2019 (publié le 4 novembre 2020) dénombre 911 accords d’entreprises consacrés à cette thématique. Ils étaient 259 en 2017, 697 en 2018. Son nombre a donc plus que triplé en 2 ans. Le profil des entreprises ayant signé le plus d’accords sur le télétravail en 2019 sont très majoritairement les PME et entreprises de taille intermédiaire, ce qui peut s’expliquer par le nombre d’ores et déjà important des grandes entreprises ayant signé des accords sur ce thème au cours des années précédentes.

Par Audrey MERTENS Juriste droit social FIDAL – bureau de Reims

1 Loi n°2016-1088 du 8 août 2016 «relative au travail, à la modernisation du dialogue social, et à la sécurisation des parcours professionnels »

2 Ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 « relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales