Fraîchement élu président régional du syndicat professionnel ECF, Mathieu Piau, expert-comptable et commissaire aux comptes au sein du cabinet Huit Octobre à Toulouse, dévoile la feuille de route du syndicat au sortir de la crise. Explications.
Élu récemment à la tête du syndicat ECF au niveau régional, quelle est votre feuille de route au sortir de la crise ?
Notre feuille de route s’inscrit dans la lignée de celle de Lionel Canesi, président du Conseil national de l’Ordre des experts-comptables et précédemment le président d’ECF, syndicat majoritaire chez les experts-comptables en France, qui regroupe 2 300 structures représentant plus de 20 000 salariés, en forte progression. Au niveau régional, le syndicat, qui s’apprête à être rebaptisé ECF Occitanie Midi-Pyrénées, est majoritaire parmi les cabinets de moins de 11 salariés. Lionel Canesi a donc impulsé une action que nous déclinons aujourd’hui en région, à savoir rencontrer les pouvoirs publics pour évoquer les problématiques des entreprises que nous accompagnons au quotidien. Les experts-comptables sont les médecins de l’économie en France, les économistes des PME et TPE. Aujourd’hui, nous sommes totalement au fait des besoins des entreprises pour se développer, trouver des financements, recruter, croître au sortir de la crise. D’ailleurs, le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, en complément des alertes régulières auprès des pouvoirs publics sur les difficultés de mise en œuvre des dispositifs d’accompagnement, a lancé une enquête auprès des 21 000 experts-comptables pour recueillir des propositions en vue de favoriser une relance rapide de l’économie. Au total, ce sont 50 propositions qui ont été émises. Force est de constater que nos propositions ont trouvé déjà un bel écho puisque 20 ont déjà été retranscrites dans les textes, 20 sont en cours d’étude technique par les services ministériels et 10, plus structurantes, sont encore en attente d’examen. Les deux plus importantes concernent, en premier lieu, l’adaptation du fonds de solidarité calculé maintenant par rapport à l’excédent brut d’exploitation (EBE) afin d’éviter aux entreprises de plonger davantage dans les difficultés. Nous avons également proposé l’allongement du remboursement du PGE, au cas par cas, en fonction de la capacité contributive. Nous avons aussi proposé de faire bénéficier les dirigeants de l’indemnité partielle, d’ouvrir le fonds de solidarité aux entreprises créées en 2020 et 2021 ayant racheté un fonds de commerce ou ayant investi avec un recours à l’emprunt, etc. Nous sommes ainsi les conseillés privilégiés auprès des TPE et PME. Or, ce positionnement n’est pas suffisamment entendu et reconnu par le grand public, les pouvoirs publics et les institutions.
Quel message souhaitez vous distiller auprès des pouvoirs publics ?
Nous souhaitons que les pouvoirs publics s’appuient sur le savoir-faire de notre profession. Nous pouvons apporter des solutions qui permettront de mettre en œuvre ces politiques. Notre but est de rendre cette mise en œuvre plus opérationnelle et efficiente. L’objectif est d’éviter de créer des effets d’aubaine, car le rôle de la solidarité nationale, est sans conteste, d’aider ceux qui en ont le plus besoin. Et notre profession est bien placée pour identifier les trous dans la raquette. Par exemple, dans le cadre du fonds de solidarité, il existe un premier volet d’aides géré par l’État et un deuxième volet délivré par les Régions. Cependant, le processus des demandes d’aides est complexe pour les chefs d’entreprise. Certaines Régions ont décidé d’en ouvrir l’accès aux experts-comptables, une solution qui n’a pas été retenue par la Région Occitanie. Résultat, nombre d’entreprises ont renoncé alors qu’elles étaient éligibles aux aides après avoir obtenu le volet 1. Nous voulons aider les pouvoirs publics à simplifier les démarches et reproduire les schémas qui fonctionnent ailleurs.
Quels sont les enjeux de la profession et les projets que vous souhaitez mettre en place sachant que vous faites face à un problème d’attractivité ?
Nous allons organiser des formations et des rencontres avec les banques en région pour mieux travailler ensemble et être encore plus pertinents lorsque nous établissons des dossiers de financement. Nous souhaitons aussi aider les jeunes confrères dans leur installation en organisant des rencontres entre anciens et jeunes inscrits pour permettre une transmission des cabinets. Je suis moi-même très attaché à l’exercice libéral de ma profession dans des structures à taille humaine. Et nous avons surtout un travail à mener pour redorer notre image et la dépoussiérer auprès du grand public et de le jeunesse, en mettant en avant des compétences souvent mal connues de nos clients comme l’assistance à la recherche de financement que ce soit pour des entreprises anciennes (développement) ou nouvelles. Beaucoup de territoires sont confrontés à une pénurie de collaborateurs qualifiés. C’est un frein considérable au développement de nos cabinets. Parmi nos promesses de campagne, figure la création d’une école de la profession pour adapter au mieux les cursus aux besoins de nos cabinets (comptabilité gestion, RH, management, communication, numérique, etc.). Nous devons en effet définir les profils des collaborateurs des prochaines années et mettre en place les cursus de formation à la fois pour la formation initiale et pour l’accompagnement au changement de nos équipes actuelles. Les formations proposées par l’Éducation nationale ne sont plus adaptées. Nous souhaitons nous réapproprier notre diplôme pour qu’il corresponde davantage à la réalité du terrain. La première école verra le jour à Paris dès cette année. L’initiative sera déployée dans le plus grand nombre de régions et je l’espère bientôt en Occitanie.
Votre métier sera t-il encore le même d’ici trois ans ?
Oui, mais il sera effectué de manière différente. Aujourd’hui, la digitalisation nous permet de gagner de temps sur des tâches à faible valeur ajoutée (tenue comptable) afin de nous concentrer sur le conseil. Cette partie comptable qui demande beaucoup de ressources au sein de nos cabinets continue de s’alléger. Nous avons désormais besoin de collaborateurs d’un meilleur niveau et pluridisciplinaires.
Le syndicat compte investir dans l’indépendance numérique de la profession à travers trois axes : le développement d’outils numériques mutualisés pour toute la profession, la mise en place d’incubateurs-accélérateurs dans les Croec, et la création d’un fonds d’investissement numérique. Pouvez-vous détailler ?
C’est plus l’Ordre national que le syndicat… même si nos élus le pilotent. Notre syndicat a lancé, ECF Services qui permet à tous les cabinets de proposer des missions de Services à la Personne (SAP) sans avoir à créer de structure dédiée. C’est l’essence de la philosophie d’ECF : permettre à tous de réaliser l’ensemble des missions en mutualisant les moyens. D’autres projets suivront pour faciliter la vie des professionnels, à savoir le contrôle des FEC, l’archivage électronique à valeur probante ou encore la facturation électronique. S’agissant des incubateurs, ils sont une réalité depuis plusieurs années à Paris (Innest) et à Marseille (Inko). La deuxième promotion de start-up vient d’être lancée. Accompagner ainsi l’évolution de la profession, sécuriser la pratique des cabinets et garantir la confiance de leurs clients, telle est la raison d’être de nos actions.
Quels sont les chantiers numériques à l’œuvre au sein des cabinets ?
La digitalisation des process est en cours. La numérisation s’étend de la collecte des informations, à la gestion des dossiers et à la télétransmission des déclarations à l’administration. Pour l’avenir, le chantier le plus structurant sera la mise en place de la facture électronique qui va se généraliser progressivement jusqu’à concerner toutes les entreprises en 2025. Les experts-comptables ont un rôle essentiel à jouer dans cette transformation majeure. Notre profession propose le portail jefacture.com pour accompagner les entre- prises et donner les outils pour cette transition. Nous souhaitons aussi utiliser les datas transmises via jedeclare.com pour faire de la comptabilité prédictive, par exemple, constater au mois le mois, la baisse de CA (via la déclaration de TVA) dans un secteur donné et pouvoir agir en prévention auprès des entreprises de ce secteur. Aujourd’hui, ce qu’il nous manque, ce sont notamment des outils qui permettront de fluidifier la récupération d’informations concernant les achats des entreprises. Quand une entreprise réalise des dépenses, elle récupère des factures sous format papier, pdf, etc. ce qui nous fait perdre beaucoup de temps. Ainsi, nous avons la volonté d’investir dans des start-up françaises qui développent des solutions de gestion RH, de comptabilité, etc. en vue de booster ces innovations et de soutenir des pépites françaises qui faciliteront la vie des chefs d’entreprise.
Concernant les évolutions du métier, il y a la mise en place d’une commission de normalisation de la comptabilité extra financière et d’une comptabilité intégrée pour lancer des projets de normalisation en lien avec les pouvoirs publics et répondre ainsi aux enjeux écologiques et sociaux. Pouvez-vous m’en dire plus ?
La RSE est un puissant moteur de performance globale pour les entreprises. Les cabinets d’expertise comptable l’ont bien compris et se sont adaptés pour répondre aux besoins de leurs clients. De manière plus générale, pourquoi les experts-comptables doivent-ils être force de proposition pour bâtir un univers de la comptabilité environnementale ? Parce que nous sommes les seuls à même de figer un référentiel pertinent dont les entreprises pourront se saisir pour travailler. Ce que la comptabilité peut apporter aux questions environnementales, c’est de la stabilité, c’est-à-dire stabiliser les démarches. C’est également apporter de la valeur monétaire. Beaucoup ne savent pas faire cela aujourd’hui et ce savoir-faire est chez nous. Et c’est surtout pouvoir simplifier les reportings. À cet égard, la comptabilité peut unifier les sensibilités sur le sujet environnemental pour élaborer un outil unique qui permettra aux dirigeants et aux entreprises de se positionner en la matière. Il faut se former à cette méthodologie, comprendre les enjeux puis accompagner les entreprises sur ce terrain.