« Nos convictions pour l’avenir de la prise en charge du grand âge »

Président de la Mutualité Française, Thierry Beaudet détaille les propositions imaginées pour améliorer la prise en charge des personnes âgées et mieux affronter les problématiques de dépendance incontournables dans un avenir proche. Ceci alors que le gouvernement prépare un projet de loi sur la question.

Réso Hebdo Eco. La question du grand âge et de la prise en charge de l’autonomie est un défi sociétal majeur. Comment l’abordez-vous ?

Thierry Beaudet. C’est parce qu’elles agissent que les mutuelles sont en mesure de faire des propositions. La Mutualité Française fait donc des propositions en matière de grand âge et d’autonomie. Lors du congrès de la Mutualité Française, en juin dernier, le Président de la République avait annoncé pour 2019 une grande loi afin d’améliorer la prise en charge de la perte d’autonomie. À la suite de cette annonce, la ministre des Solidarités et de la Santé a initié une grande concertation nationale pilotée par Dominique Libault. Un rapport sur ce sujet doit être présenté très prochainement. En ce qui nous concerne, nous avons décidé de nous emparer du sujet afin d’élaborer des propositions et contribuer à ce débat public.

Avez-vous une légitimité particulière pour vous impliquer de la sorte ?

Historiquement, les mutuelles portent la question du grand âge. En matière d’assurance santé et de complémentaire santé, en France, 70 % des personnes de plus de 65 ans font confiance à une mutuelle pour la protection de leur santé et ce pourcentage croît avec l’âge. Par ailleurs, les mutuelles marchent sur deux jambes : elles exercent une activité de soins, d’accompagnement, de prise en charge et nous sommes très présents sur le champ de la perte d’autonomie en gérant plus de 200 Établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes (Ehpad), des résidences autonomie, on déploie des dispositifs d’accompagnement, de services au domicile. Nous avons donc une vraie expertise.

Que proposez-vous ?

Naturellement, nous ignorons encore quelles seront les propositions qui seront soumises au gouvernement par Dominique Libault mais nous disons qu’il s’agit là d’un sujet très important. En 2017, nous avons réalisé plusieurs études et nous avions interrogé des personnes de plus de 45 ans. Elles ont répondu qu’elles redoutaient le vieillissement et la perte d’autonomie. Elles craignent de voir leurs capacités physiques ou intellectuelles altérées, elles redoutent la maladie mais aussi la perte d’autonomie pour leurs proches. Surtout, elles s’estiment mal préparées, mal informées pour faire face à ces sujets. Sur ces bases et en s’appuyant sur nos pratiques, nous avons travaillé avec d’autres mutualistes, des professionnels de santé, des associations d’usagers. Il en découle une vingtaine de propositions qui s’articulent autour de quatre convictions fortes : laisser aux personnes âgées la possibilité d’exercer leur liberté de choix en proposant un parcours domiciliaire et une offre de soins modulaire, graduée, adaptée, afin d’être porteur, le plus longtemps possible, d’alternatives à l’hébergement. Les personnes âgées doivent trouver leur place dans une société inclusive. Il faut réaffirmer l’utilité sociale des seniors, ce n’est pas une maladie ! Il faut aussi développer des dispositifs d’accompagnement et de soutien à domicile et les renforcer, afin de rendre possible un parcours domiciliaire dédié aux seniors. On sait que, trop souvent, l’entrée en Ehpad ne résulte pas d’un choix mais d’une situation subie. Ce qui ne signifie pas que nous n’aurons plus besoin d’Ehpad. Par ailleurs, il faut faire en sorte que chaque personne préserve sa qualité de vie et son autonomie, notamment en repérant le plus tôt possible les fragilités. Bien vieillir, cela se prépare à tous les âges de la vie, c’est donc l’importance donnée à la prévention. Notre expertise nous a permis d’identifier, dans un parcours de vie, 9 moments cruciaux où il faut être particulièrement attentif, afin que les personnes concernées puissent préserver leur capital autonomie ou leur qualité de vie.

Quels sont ces moments cruciaux ?

Je peux vous en citer quelques-uns : il y a beaucoup de personnes âgées hospitalisées et le paradoxe c’est qu’on prend en charge votre pathologie mais qu’en même temps, l’hospitalisation est un de ces moments qui jouent un rôle important sur la perte d’autonomie. Autre exemple : la perte d’un conjoint ou d’un proche, qui est un moment incroyablement important dans les processus de perte d’autonomie. Là encore, il faut être particulièrement vigilant. Troisième exemple : le déménagement. On peut facilement perdre ses repères dans une situation comme celle-ci. Cette conviction de la vigilance à avoir dans ces moments-clés nous conduit à dire qu’il faut former tous les intervenants professionnels pour qu’ils soient davantage acteurs de prévention et même, en amont, qu’ils puissent jouer un rôle d’alerte, qu’ils puissent aider au repérage des fragilités. Une personne qui intervient à domicile, qui voit fréquemment une personne âgée, peut être outillée pour l’aider à repérer la fragilité.

Quelle est votre troisième conviction ?

C’est celle qui consiste à reconnaître le rôle des aidants et leurs difficultés, face à la perte d’autonomie de leurs proches. Nous sommes convaincus que ces aidant doivent être reconnus et soutenus. Il faut mesurer les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Avec l’évolution démographique, on aura demain moins d’aidants qu’aujourd’hui. On a donc intérêt à assurer aussi aux aidants un droit au répis, qu’ils puissent souffler de temps en temps. Il faut aussi avoir en tête que beaucoup d’aidants sont des actifs et quand il s’agit de concilier vie personnelle et vie professionnelle, c’est difficile pour des personnes qui doivent trouver des crêches pour leurs jeunes enfants, mais ça l’est encore plus pour celles qui doivent accompagner une personne en perte d’autonomie.

Face à ce problème, quelle réponse pouvez-vous apporter ?

Dans le cadre des Contrats santés proposés aux salariés, on pense qu’il faudrait généraliser des dispositifs destinés à aider les salariés dans leur rôle d’aidants, par exemple dans la recherche de financements. On considère également que dans les Ephad, il faut donner un rôle à l’aidant, l’associer plus étroitement. On doit pouvoir aussi mettre en place du soutien psychologique.

Et la quatrième conviction sur laquelle s’appuient vos propositions ?

Il faut être très clair : tout cela ne pourra se faire à budget identique. Si, dans quelques mois, on nous propose une grande et belle loi mais sans moyens supplémentaires sur la table, les objectifs que je viens de vous détailler ne pourront être atteints. Aujourd’hui, la prise en charge de la perte d’autonomie en France, c’est, globalement, 30 milliards d’euros (les soins, l’accompagnement de la personne en perte d’autonomie, et l’hébergement). Sur ces 30 milliards, 24 milliards sont financés par la puissance publique et 6 milliards par les familles. Et lorsque je dis cela, je ne valorise pas en euros le rôle considérable qu’assument les aidants ! On sait qu’en 2060 on devrait avoir 2,6 millions de personnes âgées dépendantes dans notre pays. Aujourd’hui, c’est 1,3 million. Face à ce sujet de société, on a le devoir d’être très ambitieux, mais il va falloir trouver des financements supplémentaires. Ce sera aussi nécessaire pour diminuer le reste à charge des familles. Dans le cas d’un hébergement en Ehpad, une fois toutes les aides perçues, le reste à charge moyen pour les familles est de 2.000 euros par mois. C’est un montant supérieur aux ressources d’un résidant sur deux. De notre point de vue, c’est d’abord la solidarité nationale qui doit intervenir. Si les pouvoirs publics ne pouvaient pas, seuls, faire face à l’enjeu, on devrait alors imaginer une assurance dépendance complémentaire et nous aurons, là encore, des propositions à faire. En même temps, en cas d’augmentation des financements, il faudra prendre garde à ce que cela ne crée pas un effet d’opportunité pour les gestionnaires d’Ehpad qui pourraient en profiter pour augmenter leurs tarifs. On proposerait donc un plafonnement de ces tarifs, autour d’un bouquet de services prédéterminés, et on souhaiterait que la tarification des individus tienne compte des ressources des personnes.