Maxime MauryNe pas battre en retraite

(Photo : Simon Castéran)

L’ancien directeur de la Banque de France d’Occitanie s’est forgé une nouvelle vie pleine d’activités, nourrie de son envie de transmettre son savoir comme de son inquiétude vis-à-vis de la prochaine crise financière et du réchauffement climatique.

«Méfiez-vous, je suis bavard ! », prévient, en riant, Maxime Maury. Et bavard, l’ancien directeur de la Banque de France d’Occitanie le fut incontestablement – ce dont un journaliste digne de ce nom ne peut que le remercier, notre profession ayant surtout à se plaindre des taiseux. Dans la cour de la maison d’Occitanie, rue Malcousinat, le nouveau professeur de la Toulouse Business School s’est donc épanché à l’envi, bien que cela soit plus souvent sur sa passion – les mécanismes de l’économie, les risques d’une nouvelle crise financière, ses propositions pour lutter contre le réchauffement climatique tout en relançant la croissance – que sur sa vie. Ce qui est un petit peu gênant pour un portrait.

De ses vertes années, tout juste apprendra-t-on que ce natif de Paris, qui a passé sa jeunesse à Montpellier, a hérité semble-t-il sa vocation d’économiste de son père, universitaire montpelliérain agrégé de sciences économiques « qui avait beaucoup d’esprit critique, et qui m’a permis d’être libre et indépendant ». Un père passionné de pêche à la truite qui l’emmènera aussi souvent en Aveyron, où il a acheté une maison du XIIe siècle dans le petit village de Nant, à l’est de Millau, dans le parc naturel régional des Grands Causses. Un endroit calme et verdoyant, où Maxime Maury a racheté la maison paternelle pour y jouir du silence, et lire trois à quatre heures par jour – ce qu’il considère comme peu. Ses auteurs préférés ? Sans surprise, des économistes : Nicolas Baverez, Jacques Attali, Patrick Artus, l’ancien gouverneur de la Banque de France Jean-Claude Trichet, ou encore des éditorialistes du journal Les Échos comme Jean-Marc Vittori et Éric Le Boucher. « Des gens qui écrivent des vérités, et qui travaillent ce qu’ils écrivent. Je ne pourrais pas supporter l’idée qu’une journée passe et que j’aie raté un article ! J’aurais l’impression d’être en manque d’information, que quelque chose m’échappe », estime Maxime Maury, qui confesse ressentir la « passion de comprendre ». Alors « c’est vrai, je devrais lire d’autres livres mais là aussi, j’ai la passion d’enseigner, de transmettre, car je trouve que nous sommes dans une situation extrêmement grave, donc j’estime que j’ai un devoir de service », explique celui qui, depuis qu’il a cédé son poste de directeur régional à Stéphane Latouche, est devenu enseignant à TBS. Rien de nouveau, d’ailleurs, pour lui, puisque avant de rejoindre Toulouse en 2016, il a enseigné cinq ans comme professeur associé à l’université d’Auvergne de Clermont-Ferrand, en parallèle de ses fonctions de directeur régional de l’institution. À l’époque, il est le premier à signer une convention de partenariat entre l’académie et l’université pour améliorer le partage de l’information économique entre les enseignants-chercheurs et les économistes. Une idée qui lui vaudra, le 15 octobre, de se voir décerner le grade d’officier des palmes académiques dans son ancienne institution de la rue Deville.

L’URGENCE DE L’ACTION

Quant à la situation « extrêmement grave » auquel il fait référence, on pourrait croire de prime abord qu’il s’agit du spectre d’une nouvelle crise financière mondiale. Une menace bien réelle, d’autant plus crédible que « nous avons 270 000 Mds$ de dettes. Jamais la planète n’a été aussi endettée ! En termes d’années de PIB mondial, on était à moins de 2 au début des années 2000, 2,4 au moment de la crise de 2008, et aujourd’hui nous sommes très proches de trois. La croissance ralentit, les prévisions ont été revues à la baisse quatre fois de suite » – et la tendance continue sur le même chemin. Alors, « je ne dis pas que nous sommes à la veille d’une récession mondiale, mais comme il y a beaucoup d’endettement, c’est dangereux. Comme l’explique bien Jean-Claude Trichet, nous allons vers une nouvelle crise financière car les causes de 2008 sont toujours là : croissance trop rapide du crédit, donc de l’endettement, et en même temps, il y a ce que Robert Gordon et Larry Summers appellent la stagnation séculaire, c’est-à-dire des gains de productivité décroissants ».

Mais pour Maxime Maury, la plus grande menace est… le réchauffement climatique. Lui-même se dit « en désaccord complet avec les critiques adressées à Greta Thunberg » : « Nicolas Sarkozy a dit qu’elle n’est pas très souriante, eh bien, elle a raison de ne pas l’être ! Le diagnostic climatique, tout le monde le connaît, il est impeccable : nous allons dans le mur. On est sur une trajectoire de hausse de la température de 3 à 4°, c’est une catastrophe ! » Pour autant, l’homme ne semble pas partisan de la décroissance ; laquelle, selon nombre d’écologistes, serait la seule manière de réduire les émissions de gaz à effet de serre en réduisant drastiquement notre consommation. Au contraire, et au risque de faire sursauter sur les chaises, l’économiste considère que l’on pour- rait à la fois relancer l’activité économique, l’investissement et la lutte contre le réchauffement, tout en se protégeant de la future crise financière!

Et ce, grâce à un plan d’actions en trois mesures qu’il ambitionne de présenter bientôt sous la forme d’un article scientifique. Tout d’abord, « il faut approfondir la construction autour de l’euro en défragmentant la zone euro. L’idée, c’est que nous avons une très forte épargne, mais nous n’avons pas de support commun qui permette de la drainer vers le marché pour financer les entreprises, contrairement à ce qui se fait aux États-Unis où les deux tiers des financements se font sur les marchés, un tiers seulement étant grâce au crédit bancaire ». Une proposition dans la droite ligne de celle d’une « Union bancaire, projet qui a été lancé par la Banque centrale européenne en 2014 pour faire face à la crise des dettes souveraines, et qui est pour l’instant inachevé. L’idée est de ne plus jamais faire appel au contribuable, mais aux apporteurs de capitaux, et de créer une assurance des dépôts comme celle qui existe en France, mais qui n’est pas au même niveau que celle en Allemagne. Non pas pour “faire joli” ou encourager le capitalisme, mais tout simplement parce que si nous avons une monnaie commune, il faut que nous ayons des banques qui soient vraiment en commun ! ».

Deuxième idée : « la relance de l’investissement, car la communauté des économistes est d’accord pour dire qu’il y a aujourd’hui un déséquilibre, un surcroît d’épargne par rapport à l’investissement. Comment ? Par une mesure d’écologie « punitive », qui verrait le prix de la tonne de carbone émis recevoir un prix qui soit le même à l’échelle mondiale, et destiné à toujours augmenter afin qu’il coûte de plus en plus cher de polluer. C’est pour cela que je propose qu’un comité de Prix Nobels comme Jean Tirole, Joseph Stiglitz et Kenneth Rogoff se mettent à travailler sur ce sujet, et conduisent une réunion du G20 avant la fin 2020 pour proposer une trajectoire d’augmentation du prix du carbone pour atteindre, à mon avis, un prix mondial aux alentours de 45 ou 50 € la tonne ». En plus de diminuer les émissions de gaz à effet de serre – et maniant aussi bien le bâton que la carotte – Maxime Maury affirme que cela « stimulerait les reconversions : on crée un certificat d’économie. Par exemple, si vous investissez ou produisez une innovation qui économise le carbone, à 40 € la tonne, si vous faites en sorte d’économiser un million de tonnes, on vous donne un certificat qui vaut 40 M€ ! » Lequel certificat, suggère-t-il, pourrait être refinancé « par une opération de “monnaie hélicoptère” par l’ensemble des Banques centrales » qui distribueraient de l’argent sans contrepartie.

Enfin, « comme nous savons que les taux d’intérêt vont rester négatifs encore longtemps, poursuit l’économiste, c’est peut-être le moment pour les pays qui ont les moyens de s’endetter – pas la France, mais l’Europe du nord, et peut-être les États-Unis – de lancer de grands investissements structurants pour lutter contre le réchauffement climatique ». Et l’homme d’espérer que son idée d’un comité de Sages, proposant et mettant en place ces mesures à destination de nos dirigeants mondiaux, saura « faire le buzz ». Car « pour l’instant, le boulot n’est pas fait ! On fait de la com’, on repeint tout en vert, il n’y a aucune mesure macroéconomique cohérente pour endiguer le réchauffement » alors même que « les outils existent ! »

Maxime Maury se montre d’autant plus véhément face à l’immobilisme du personnel politique que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, sa démarche, en tant que haut fonctionnaire de la Banque de France, « a toujours été tournée vers l’action, et non la théorie ». Lui qui, après ses études d’économie à Montpellier, voulait pourtant entrer à l’Insee comme administrateur. « Malheureusement, je n’avais pas le niveau en maths pour cela, car les administrateurs sont plutôt des Polytechniciens, donc j’ai passé le concours au-dessous, celui d’attaché de l’Insee, et j’ai été reçu premier. Mais après, j’ai bifurqué vers la Banque de France après mon service militaire en Côte-d’Ivoire ». En 1988, alors qu’il travaille à la direction des études, il a la chance de pouvoir partir comme attaché d’ambassade en Amérique latine. Depuis Mexico, il se rend dans les différentes capitales du continent – dont le San Salvador alors en pleine période révolutionnaire – pour analyser le « risque pays », autrement dit l’exposition financière des États.

De retour en France trois ans plus tard, le jeune homme aurait certes pu retourner à la direction des études, mais son « envie de terrain » le pousse plutôt à choisir le réseau territorial de la Banque de France… et le fait atterrir, pour neuf ans, à Paris, dans le quartier de La Défense – mais enfin, « à l’époque j’habitais près de la place de l’Étoile, ce qui n’était pas désagréable ! » Il passe, en 1996 et « par défi intellectuel » une thèse d’économie sur la monnaie européenne, sous la direction de Michel Aglietta, économiste fameux ; puis il part enfin pour la province, comme directeur de la Banque de France à Troyes en 1999 où il prépare le passage à l’euro. Puis ce sera, dans les années 2000, Arras, Caen, Clermont-Ferrand, puis enfin Toulouse, où il arrive en 2016 avec la mission de gérer la fusion de l’antenne de la Ville rose avec celle de Montpellier dans le cadre de la réforme des régions. Fin 2018, sonne la fin de ses fonctions et de sa carrière rue Deville ; mais ne parlez pas pour autant de retraite car, entre son activité d’enseignant à TBS, ses projets d’écriture et l’émission de radio Économica, qu’il anime le vendredi sur Esprit Occitanie, ce fringant sexagénaire à l’allure d’éternel adolescent ne compte pas se mettre à la retraite. Il déteste d’ailleurs le mot, qu’il trouve « absurde : ça fait retraite de Russie ! » Pas question donc pour lui de battre en retraite, mais plutôt de camper sur ses positions, avec ses jeunes élèves pour grognards dont il considère comme un « devoir » de leur transmettre ce que ses 40 ans de service public lui ont enseigné.

Parcours

1954 Naissance à Paris, jeunesse à Montpellier.
1982 Entre à la Banque de France.
1988-1990 Attaché d'ambassade en Amérique latine.
1996 Thèse en sciences économiques à l'université de Paris X.
1999-2015 Directeur de la Banque de France à Troyes, puis à Caen, Arras et Clermont-Ferrand.
2016 Directeur de la Banque de France d'Occitanie.
2019 Quitte la Banque de France, et devient enseignant à TBS.