« Malgré la crise sanitaire, les greffes des tribunaux de commerce assurent le service public de la Justice »

Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.

Sophie Jonval est la présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. En cette période de confinement elle revient notamment sur les directives données aux greffiers qui doivent faire face à cette situation.

Soucieux d’assurer la continuité du service public de la Justice commerciale, les greffes des tribunaux de commerce restent mobilisés et s’organisent pour maintenir une activité à distance et digitalisée. Retour d’échanges avec Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.

Vous êtes la présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. En cette période de confinement à la suite de la crise du Covid-19, quelles sont les directives données aux greffiers des tribunaux de commerce qui doivent faire face à cette situation ? Comment aider les entrepreneurs à gérer les démarches administratives?

Sophie Jonval : Depuis le début de cette crise, notre double préoccupation est à la fois de mettre en sécurité nos confrères et leurs collaborateurs et de poursuivre le service public que nous assurons auprès des entreprises, malgré la fermeture des accueils physiques en raison de l’obligation de confinement total. Toutefois, nous avons la chance d’être une profession qui bénéficie d’outils numériques et de processus totalement digitalisés, ce qui nous a permis de donner une réponse immédiate aux chefs d’entreprise qui ont pu continuer à effectuer leurs formalités administratives en ligne, sur la plateforme Infogreffe, et à solliciter des pièces justificatives dont ils auraient pu avoir besoin.

Les quinze derniers jours ont été employés à apporter une réponse judiciaire à leurs difficultés puisque nous sommes maintenant autorisés à tenir des audiences dématérialisées, par visioconférence, répondant ainsi au double objectif, à la fois de sécurité et de continuité du service public de la Justice.

Aujourd’hui, c’est donc toute l’activité des greffes de tous les tribunaux de commerce en France qui est maintenue à distance ?

Tout à fait. Hormis la fermeture de nos accueils physiques, nous sommes prêts et nous répondons quotidiennement à toutes les demandes. La continuité du service public est assurée à la fois sur le plan de la tenue des registres et sur le plan judiciaire, et ce dans les 141 greffes des tribunaux de commerce. Les juridictions fonctionnent mais avec des services dématérialisés et des audiences en visioconférence.

Concernant le registre de commerce, tout se déroule désormais sur Infogreffe.fr ?

Oui, avec la possibilité de déposer des formalités mais aussi de commander les documents légaux, que ce soit un extrait Kbis, un état d’endettement ou les actes de sociétés qui ont été déposés. Cela permet aux entreprises de répondre aux impératifs auxquels elles sont confrontées aujourd’hui, notamment pour constituer des dossiers ou éventuellement pour bénéficier des aides du Gouvernement.

Pour ce qui est des audiences, vous vous appuyez sur une autre plateforme “tribunaldigital.fr”. Comment fonctionne-t-elle ?

Le tribunal digital est un portail d’entrée dans le tribunal de commerce. Tout justiciable peut saisir son tribunal de commerce en ligne, dès lors qu’il s’est préalablement identifié et qu’il s’est muni de son identité numérique sur notre plateforme MonIdenum (www.mon-idenum.fr).

Le chef d’entreprise crée son identité numérique, en quelques clics et de manière totalement gratuite. Une fois en possession de sa clé de connexion en ligne, il se connecte sur le tribunal digital à l’aide de ses identifiants. Dès lors, nous savons que c’est bien le représentant légal de l’entité qui saisit le tribunal en ligne.

Aujourd’hui, le chef d’entreprise qui doit déposer une demande de sauvegarde, de redressement judiciaire, voire de liquidation, est invité à passer par le tribunal digital. Nous recevons tous les jours des demandes provenant de cet outil. C’est un excellent moyen de saisir le tribunal de commerce, un moyen sécurisé et qui, juridiquement, permet de saisir valablement le tribunal.

Ensuite, le greffe reçoit la demande via le tribunal digital et la personne est convoquée à une audience en visioconférence.

Il s’agit donc d’une audience normale, avec un juge ou trois juges ?

Oui, tout à fait, dans la mesure où nous pouvons faire de la visioconférence, et en fonction des affaires, le Parquet y assistera quand sa présence est requise et éventuellement les administrateurs et mandataires judiciaires qui se connecteront aux audiences, hormis celles d’ouverture, dans le cadre des procédures collectives.

Les greffiers sont donc présents lors de ces audiences ?

Oui, à la fois pour consigner les débats, prendre note de tous les débats d’audience, mais également pour authentifier la présence des personnes à l’audience et la décision qui sera prise dans le prolongement de cette audience à distance.

Finalement, cette crise a un effet positif sur la digitalisation de l’activité judiciaire ?

Disons que si certains pas n’avaient pas été franchis en matière de digitalisation, et notamment d’audience par visioconférence, et si on n’y avait pas encore eu recours en matière commerciale, cette crise a permis le lancement de ce type d’audience et a renforcé l’utilisation des outils numériques.

Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que les tribunaux de commerce fonctionnent comme avant ?

Tout à fait. Toutefois, on traite en priorité les dossiers urgents de procédures collectives. Tout le contentieux général n’est pas assuré puisqu’il ne fait pas partie des urgences, on est vraiment axé sur les procédures collectives, les urgences, les audiences de référé et toutes les ordonnances sur requête qui sont rendues par les présidents des tribunaux.

L’activité en droit des sociétés, s’agissant du RCS et des créations d’entreprise, a-t-elle fortement baissé ?

Des dossiers de création d’entreprise, nous en avons eus, il y a des immatriculations tous les jours, mais plutôt sur des sociétés civiles, puisqu’il semblerait que l’activité immobilière soit maintenue par les notaires, ou des personnes qui voulaient créer leur entreprise et que nous avons immatriculées au début du confinement. Mais évidemment, je pense que l’activité va se réduire car on va s’avancer dans le confinement. En revanche, nous avons des dossiers de modifications qui arrivent et qui sont traités au quotidien.

Vous êtes greffière à Caen. Qu’en est-il de l’activité dans votre tribunal de commerce ?

A Caen, nous avons onze collaboratrices, toutes en télétravail à la fois pour la partie judiciaire et la tenue du RCS. Avec mes associées, nous assurons un roulement de présence physique malgré tout car il y a encore des dossiers papier qui arrivent. L’accueil physique du greffe est fermé mais nous sommes quand même présents physiquement au greffe, une à deux fois par semaine.

Les audiences en visioconférence vont recommencer à Caen, nous n’avons pas tenu d’audiences depuis le début du confinement mais elles recommenceront cette semaine, le 2 avril, avant de reprendre le rythme hebdomadaire des audiences de procédure collective, les mercredis toute la journée.

Avez-vous un message à faire passer aux entreprises ?

Le message est que le service public est assuré, il y a une continuité du service public rendu aux chefs d’entreprise et aux justiciables, en matière commerciale. Nous sommes mobilisés.

Infogreffe a traité plus de 3 000 appels téléphoniques et plus de 4 000 mails pour répondre aux questions des entrepreneurs et les accompagner dans leurs démarches en ligne, et a traité près de 25 000 formalités en ligne en deux semaines et effectué 130 000 mises à jour en ligne du RCS.

Pour cela, une équipe renforcée a été mise en place, pour accompagner les entrepreneurs qui n’avaient pas forcément l’habitude de recourir à des méthodes dématérialisées pour effectuer leurs formalités.

Propos recueillis par Boris Stoykov, Les Affiches Parisiennes, pour RésoHebdoEco – www.reso-hebdo-eco.com