Philippe LebruMaître du temps Comté

Philippe Lebru

Philippe Lebru, créateur horloger à Besançon, a puisé dans son imagination fertile la clé à remonter le temps lui permettant de faire revenir en version modernisée et magnifiée les traditionnelles horloges comtoises sur le devant de la scène.

Chaudronnier de formation, artiste, styliste, créateur et inventeur, ce bisontin d’adoption bouleverse les codes et réinvente l’art de concevoir des gardiennes du temps, ambitionnant de remettre les pendules de l’horlogerie française à l’heure comtoise.

Depuis son plus jeune âge le temps est son pire ennemi, son Némésis. « La société, par codes sociaux ou nécessité organisationnelle, nous impose des rythmes, qui selon moi vont à l’encontre de l’être animal que nous sommes également et avec lesquels je n’ai jamais pu totalement me familiariser », avoue Philippe Lebru. Un temps dont le créateur horloger bisontin finira par s’emparer, au fil d’un parcours atypique, un brin rebelle. Décodant les rouages de Cronos les plus complexes, mettant à l’épreuve la culture, la science et la technique, pour mieux l’apprivoiser, parfois même le dompter, en révéler les clés, pour sans cesse, passionnément, le compter et le conter… Cette lecture intime du temps il va la narrer, notamment aiguillé, par le truchement de l’archétypale horloge comtoise. Ce meuble au tic-tac entêtant trouvant raisonnance dans un évènement de sa propre histoire. C’est ainsi à l’âge de sept ans, que chez le jeune Philippe le rapport aux horloges prend un aspect symbolique comparable à celui qui transpire des paroles de la chanson Les vieux de Jacques Brel, évoquant une « pendule d’argent qui ronronne au salon, qui dit oui, qui dit non, qui dit “Je vous attends” ». « Nous sommes en 1973 et mon grand-père décède dans sa ferme en Corrèze. C’est à ce moment précis que mon cousin sort de la chambre du défunt, traverse d’un pas lent et sûr la pièce principale, ouvre le cabinet de l’imposante horloge comtoise et pose sa main sur le balancier pour l’arrêter. Par ce geste, la mort prenait pleinement sa place et en moi l’idée que ces belles mécaniques étaient les gardiennes de notre temps, que leur arrêt signifiait notre fin», raconte Philippe Lebru. Côté scolarité : rétif aux horaires et donc rarement à l’heure, peu formaté aux vieux modèles d’apprentissage basés sur le clivage, pas réellement en rébellion mais n’entrant pas dans le moule, il se voit gentiment poussé vers ceux des hauts fourneaux de l’industrie de la chaudronnerie. Dans ses filières « où l’on ne mettait pas les meilleurs élèves», dans cet univers du feu et du métal, le jeune homme va s’épanouir. « C’est un environnement qui force le respect. Dans la transformation du métal rien ne s’improvise, comme pour les métiers du bois, il faut une réelle connaissance de la matière, la comprendre, apprendre de ses nuances… Ces métiers agrègent des compétences rares dans le maniement d’un panel d’outils spécifiques et dans la transmission d’une culture et de savoir-faire uniques ». Cette profession aux multiples facettes, Philippe Lebru décide de l’embrasser, via l’intérim, au travers d’un tour de France à la manière des compagnons. De Marseille à Strasbourg en passant par Clermont-Ferrand ou Toulouse, il va s’initier à la soudure, à la mise en œuvre des métaux en feuilles, des tubes et des profilés entrant dans la réalisation d’équipements pour les industries de la navale, de l’automobile…

Il va œuvrer pour des entreprises de toutes tailles, côtoyer les bureaux d’études de méthodes et autres ateliers… Il sort toutefois mitigé de cette expérience, refroidi par « le manque de contact humain, le côté microcosme, la culture de clans des différentes spécialités… J’avais cette désagréable impression de m’enfermer dans une strate, d’être victime d’un effet entonnoir alors que j’étais en quête de transversalité ».

LA COMTOISE RÉINVENTÉE

Philippe Lebru entend alors parler à la radio d’une école de commerce de Besançon et d’une formation à l’international. L’idée lui plaît. Sur place, il découvre le passé horloger de la ville et tombe sous le charme. Embauché en 1991 chez France Ebauche, entreprise spécialisée dans la fabrication de mouvements de montres, il prend la tête d’un tout nouveau projet : la fabrication et la vente d’un produit fini. « Proposer une montre, qui plus est très décalée, s’adressant à un marché qui n’est pas celui de ses clients habituels, était une vraie révolution et un défi pour cette société de sous-traitance ». Bien qu’ayant su prendre le virage du quartz, en délocalisant sa production en Asie, France Ebauche fini par se faire « canibaliser » par sa « filiale » chinoise et dépose le bilan le 18 mars 1994. C’est la mort du dernier fabricant français de mouvements. Un an avant Philippe Lebru monte sa propre société basée sur un concept breveté de malettes permettant la fabrication sur mesure de montres où bracelets, boitiers, aiguilles et cadrans sont sélectionnables sur catalogue et permutables, offrant 6.000 possibilités d’assemblage différentes. « Quand je me suis lancé dans l’aventure de la montre en 1993, j’ai commencé par réaliser de petites séries haut de gamme réservées au marché de la communication d’entreprise, pour Mercedes, Dassault, Safran… Au début des années 2000, une suite de coupes dans les budgets communication des sociétés met en péril ma petite entreprise. J’étais dos au mur. Il me fallait imaginer quelque chose de nouveau pour me sortir de cette impasse. Le souvenir de l’horloge de mon grand-père s’impose alors à moi. J’ai ensuite passé des nuits entières à dessiner des horloges comtoises, à les réinventer. Pour me sauver, j’ai choisi la rupture : j’ai changé de marché, de produit et d’approche marketing. Je n’étais plus une marque parmi 800 autres marques ». En 2005, Philippe Lebru met au point le mouvement suspendu à équilibrage automatique. Une invention qui sera honorée la même année du grand prix, toutes catégories, du concours Lépine à Paris et de la médaille d’or en horlogerie au salon de l’invention de Genève. L’ensemble du mécanisme se libère du traditionnel bâti de bois pour s’exposer, totalement libre. La première horloge à bénéficier de ce système inédit s’appelle Hortence. Sa forme : une lame de métal découpée, pliée et soudée est un clin d’œil à son ancien métier de chaudronnier. Suivront Constence, LA-LA et Pop Up, avec à chaque nouvelle génération sa petite innovation technologique, comme le poids délocalisé qui offre une réserve de marche accrue : jusqu’à dix jours au lieu de six en moyenne où le balancier articulé permet à l’horloge d’être toujours équilibrée quelle que soit la position au sol, mais aussi un balancier qui bat la vraie seconde soit 3.600 alternances par heure. « Les paliers en bronze auto-lubrifiants permettent d’accroître la performance en limitant naturellement les frottements », explique le maître. Ce créateur infatigable a également imaginé une série de montres dont le cadran est taillé dans un bloc de météorite vieux de 4,5 milliards d’années et plus récemment le premier modèle conçu par fabrication additive, avec une poudre d’acier inoxydable.

MILITANT DU TEMPS

Imprégné de l’âme horlogère qui plane encore au dessus de la ville, Philippe Lebru nourrit une ambition : redonner une vraie visibilité à l’horlogerie créative au cœur de la capitale historique de la fabrication française des gardiennes du temps. Pour ce faire, il développe des montres sous la marque Utinam, reprenant les armoiries et la devise de Besançon qui exprime un souhait ou un désir, pouvant être traduit par « plaise à Dieu ou si seulement… ». Et pour que le touriste qui arrive à Besançon se sente immédiatement dans une capitale horlogère, il va créer en 2010 sa première horloge monumentale. Installée sur le fronton du musée des beaux-arts et d’archéologie, place de la révolution à Besançon, cette horloge à balancier surmontée d’un dispositif lumineux voit ses aiguilles tourner tous les quarts d’heure, dans le sens inverse, s’emballant un instant dans une course folle où le temps semble s’échapper, avant que tout ne revienne à la normale. Décrochée le temps des travaux de réhabilitation du musée, elle a retrouvé sa place, sous une forme nouvelle et simplifiée en mars 2019. Ayant goûté avec plaisir à la démesure, Philippe Lebru récidive en 2012 avec une seconde œuvre temporelle hors-norme. Située dans la salle des pas perdus de la nouvelle gare TGV à Besançon, l’imposante matrice nommée Clémence affiche les dimensions d’un titan : six tonnes, six mètres de haut, une pendule de quatre mètres et des roues apparentes jusqu’à trois mètres de diamètre. Clin d’oeil à son environnement, l’énergie nécessaire à son fonctionnement est fournie par un rotor de moteur TGV. La dernière née de ces géantes a trouvé preneur, en 2015, au Pays du Soleil Levant. Baptisée Aoy Amalamontagne bleue – du nom du quartier de Tokyo où elle est édifiée, cette troisième réalisation horlogère spectaculaire répondant à des normes antisismiques et capable de résister aux typhons. Cette nouvelle monumentale est la plus haute horloge squelette suspendue au monde. Pesant plus d’une demie tonne, cette pièce exceptionnelle, qui figure un arbre et reprend les couleurs rouge et blanc du Japon, est fixée à neuf mètres du sol, sur le fronton d’une enseigne commerciale : le Via Bus Stop Museum. « Pour relever le défi de l’environnement hostile, nous avons conçu des systèmes innovants, jamais mis en œuvre jusqu’alors. Comme un cadran, formé d’un train épicycloïdal, qui fait tourner, en périphérie intérieure, un satellite au rythme des secondes. L’édifice dispose d’un anémomètre et d’un sismomètre ainsi que d’un système d’aimants destiné à déjouer les caprices climatiques du Japon », précise le concepteur. En 2018, pour les 150 ans de la célèbre marque horlogère suisse IWC, il réalise la « Time Machine », une machine à remonter le temps – de 2018 à 1868 – avec pupitre et poste de pilotage, mécanisme et rouages apparents, présentée au salon SIHH de Genève. Enfin, Philippe Lebru va installer Utinam au cœur du centre-ville, en face du musée du temps. A sa boutique inaugurée en 2015 (le 17 novembre à 17 heures précises, histoire de jouer avec les chiffres), il arrime en 2018 deux autres lieux, créant un triptyque de 400mètres carrés inédit à Besançon. Concept store, atelier, showroom, laboratoire, ici sont invités artistes, designers et horlogers pour travailler ensemble. Philippe Lebru accueille les projets, accompagne leur développement, fédère les talents et tente de se jouer des contretemps…

Parcours

1966 Naissance, le 22 février à Lyon.
1993 Naissance de son entreprise bisontine.
2005 Reçoit le grand prix du Concours Lepine.
2010 Naissance de la première horloge monumentale et de la marque Utinam.
2015 Installe une horloge monumentale au Japon, positionnant Utinam à l'international.
2018 Utinam s'installe au coeur du centre-ville bisontin en face du musée du temps.