Bruno MerleMaître du double jeu

(Photo : Angès Bergon)

Alors qu’il vient de publier son troisième roman et répète une dixième pièce qu’il jouera dans quelques mois, l’avocat a trouvé son équilibre à travers la pratique du théâtre et de l’écriture. Deux mondes pas si éloignés du métier qu’il exerce au quotidien.

«Je suis le produit, d’un professeur de droit, avocat, et d’une artiste peintre. Je suis donc tiraillé : j’ai un peu des deux. Le fait d’avoir une mère artiste m’autorise socialement à dévier un peu la trajectoire! », s’amuse Bruno Merle. Alors qu’il a entamé avec ses camarades de la troupe des Couleurs de la Comédie les répétitions d’une dixième pièce, Drôle de viager, de Jérôme Dubois, et qu’il vient de publier aux éditions Pierre Philippe, son troisième roman, Les fous de Venise – un voyage vers la Sérénissime en compagnie de doux dingues –, à bientôt 62 ans, l’avocat toulousain assume sa double ou triple vie.

Du reste, le théâtre et l’écriture ne sont pas si éloignés de sa pratique quotidienne assure- t-il. « Dans le métier d’avocat, il y a à la fois la parole et la plume, surtout dans mon domaine, le judiciaire. Je ne suis pas un avocat d’affaires : je ne rédige pas de contrats, je ne fais pas de scission, de fusion absorption… Je n’interviens que dans les procès et dans les conflits qui ne peuvent se résoudre que devant les tribunaux. Ma vie se limite à plaider devant les juridictions et à écrire des conclusions, une argumentation écrite, donc la parole et l’écrit ».

Est-ce à dire que les avocats jouent la comédie ? « Pour ce qui est du théâtre, il me semble qu’on peut dire qu’un avocat est un acteur mais pas un comédien. Je fais la différence entre les deux parce que l’acteur joue tout le temps le même rôle, tel Gabin ou Belmondo qui jouent la même chose quel que soit le film. Alors que le comédien, le plus souvent au théâtre, est beaucoup plus effacé. Il est capable de jouer beaucoup plus de choses. L’avocat, lui, au début de sa carrière, il me semble qu’il se cherche un peu pendant un ou deux ans, et une fois qu’il a trouvé la façon d’interpréter son rôle, il jouera systématiquement le même rôle jusqu’à la fin de sa vie, quel que soit le dossier. Le métier de comédien est beaucoup plus difficile : il faut souvent changer d’attitude, de registre en fonction de la pièce et ce travail-là m’intéresse beaucoup ».

Cela fait 20 ans maintenant que Bruno Merle se partage entre cette vie de saltimbanque et le métier « respectable » d’avocat. Des débuts dans le théâtre qui se sont faits un peu par hasard après avoir été sollicité par la fondatrice de la troupe de comédiens amateurs qui cherchait quelqu’un pour interpréter le principal suspect dans une pièce policière. Deux heures en scène, « quelque chose de lourd. Il fallait apprendre son texte. Or, c’est très austère le théâtre. Ce n’est pas du tout le jeu qu’on s’imagine. On passe des heures tout seul à apprendre du texte comme un écolier, à apprendre aussi la réplique de l’autre pour être en phase. Et puis il y a le jeu, et enfin ce moment épouvantable où le rideau se lève. On a face à soi le public que l’on découvre : c’est une douleur atroce au ventre ! », s’amuse-t-il.

C’est en fréquentant la cinquantaine de membres de la troupe, dont certains sont d’anciens professionnels, qu’il se rend compte « combien c’est dur de percer. J’y avais pensé quand j’avais 18 ans : monter à Paris, suivre le cours Florent et puis j’y ai renoncé parce que j’ai eu peur de la galère. Plusieurs de mes amis l’ont fait, ils ont tous eu des trajectoires plus ou moins incertaines, plus ou moins difficiles ! » Quant à la réaction de ses parents s’il avait persisté dans cette voie ? « À 18 ans, je pense qu’ils m’auraient jeté des cailloux ! »

À l’époque, il hésite aussi entre la basoche et la vie de carabin. « Ma première vocation, c’était la médecine, avoue- t-il. J’ai fait une année en même temps qu’une première année de droit et puis j’ai vite vu que je n’étais pas assez bon en maths, physique chimie et que j’avais plus de facilité en droit. Et puis après, ce qui m’a plu c’est le grand cirque judiciaire : le prétoire, la robe, le milieu. J’allais souvent voir des procès d’assises, j’avais beaucoup d’admiration pour ces anciens confrères qui étaient des bourreaux de travail », se souvient- il. Il suit les conseils avisés de son père, Roger Merle, professeur de droit, auteur d’un traité de droit criminel – un institut porte son nom à l’UT1 Capitole –, avocat et ancien bâtonnier. « Il m’a donné envie, c’est certain », reconnaît-il.

Jouer au théâtre a-t-il modifié sa pratique d’avocat ? « Cela m’aide beaucoup à surmonter les conflits, car je ne vis que dans le conflit. Cela me permet alors de changer d’air. Ça participe à mon épanouissement, ça me permet de m’évader. Oui, cela retentit sur mon métier d’avocat. Je dirais que je joue mieux et que j’écris mieux ! »

L’écriture justement, il s’y est essayé plusieurs fois avant de vraiment franchir le pas. « Je n’avais pas confiance en moi, se souvient-il. Je me disais que j’étais incapable d’écrire un roman. J’ai essayé d’en écrire deux ou trois depuis l’âge de 18 ans. On se dit qu’on tient une idée. On écrit 10 pages et après on est sec. On a déjà tout dit. Je les mettais dans un tiroir parce que je me rendais bien compte que c’est un immense effort d’inventer des personnages, de les faire vivre ensemble, de trouver une histoire. Ça fait appel à de multiples facultés dont l’imagination. Or la création littéraire, c’est quelque chose qui vient de nulle part. Des idées vous arrivent dans le cerveau et celui-ci se met à les traduire, à les mettre en forme. C’est beaucoup plus simple qu’on ne le croit. Le travail d’écriture pour moi consiste à aller m’asseoir sur un banc, dans un jardin public, au bord de la Garonne, et attendre que les idées arrivent. Et les idées arrivent ! Je n’ai plus qu’à me mettre à écrire ».

C’est au cours d’un voyage en Roumanie avec son fils il y a 10 ans qu’il trouve la matière de son premier roman, Le quatuor de Sinaïa. « Mon arrière-grand-père était roumain, explique-t- il. J’avais eu envie d’aller voir, de comprendre pourquoi il était parti, de retrouver les lieux, etc. Et je suis revenu avec l’idée d’en faire un roman. Je ne l’ai pas écrit tout de suite. Mais j’avais accumulé un certain nombre d’émotions. Et puis un jour, je me suis mis à écrire quelque chose et ça a fait un roman ». Le plus dur restait à venir : se faire éditer. « On n’écrit pas pour soi. Cela ne veut rien dire : on écrit pour être lu. Ce qui est déterminant dans l’écriture, c’est quand un éditeur vous dit : Ah ! Ce que vous écrivez me plaît, je le prends ; et tant qu’on n’a pas cet appointment, ce qu’on a écrit reste incomplet. Un livre n’est pas fini tant qu’il n’a pas eu l’accord d’un éditeur ». Mais pour cela explique- t-il, « il faut avoir les épaules larges et mettre son orgueil au fond d’un mouchoir au fond de la poche, parce que c’est très humiliant de démarcher les éditeurs qui, dans 99 % des cas, vous envoient la petite lettre : “votre livre est très intéressant mais il ne correspond pas à notre ligne éditoriale”. J’en ai des centaines ! »

Bruno Merle se voit bien continuer d’écrire, « tant que je travaillerai ». Alors qu’il grappille entre deux dossiers 10 minutes par-ci par-là pour apprendre son texte ou écrire – « ça participe à l’équilibre de mes journées » –, « ce qui est important dans l’art et y compris dans le prétoire, assure-t- il, c’est d’aller chercher les émotions, la gaieté, la tristesse. Il faut savoir les faire partager, y compris dans l’écriture. La vie fait qu’on vous force à devenir insensible : un événement chasse l’autre… Il faut retrouver sa sensibilité ».

Parcours

1958 Naissance à Toulouse.
1983 Prête le serment d'avocat.
1998 Rejoint la troupe des Couleur de la Comédie et fait ses débuts au théâtre.
2014 Publie son premier roman, Le quatuor de Sinaïa, aux éditions du Panthéon.
2016 Publie son deuxième roman, Napoléon noir, aux éditions Privat.
2019 Son troisième roman, Les Fous de Venise, aux éditions Pierre Philippe, paraît en juin.