Cofondatrice et CEO de Ludilabel, elle vient de prendre la tête de la French Tech toulousaine. Des fonctions prenantes qui ne la privent nullement de sa vie de famille.
En quelques années, elle a pris de l’assurance. Avec le succès de son entreprise, Sandrine Jullien-Rouquié dégage aujourd’hui une forme de sérénité, qui n’est en rien de l’arrogance. Elle avance sans trop regarder en arrière, consciente de tout ce qu’il reste encore à accomplir. Certaine également qu’elle a un rôle à jouer en tant que femme chef d’entreprise. « J’ai toujours aimé les femmes inspirantes. C’est important de montrer que l’on peut également mener une vie de femme et de mère. On manque de role models et je me dois de montrer la voie, aussi pour mes filles. Leur dire de ne pas se mettre de barrière. Le féminisme, c’est simplement d’avoir les mêmes possibilités que les hommes », assure la jeune dirigeante, assise dans son bureau où l’affiche Merci Simone attend d’être accrochée aux murs. « En matière d’inspiration, Simone Veil est extraordinaire ».
Depuis ses locaux rue de la Colombette, en plein centre de Toulouse où elle sent « l’énergie de la ville, la créativité », la jeune dirigeante est aujourd’hui à la tête d’une entreprise de 25 salariés qui a enregistré 2,7 M€ de chiffre d’affaires en 2018. Un pari réussi puisque Ludilabel enregistre une croissance à deux chiffres depuis sa création en 2011. Dans l’entrée, une vitrine met en avant les nombreuses récompenses reçues, du Deloitte Fast 50 au Pass French Tech en passant par un prix du Financial Times. Ce succès est aussi la preuve que l’innovation n’est pas seulement technologique. « J’ai eu l’idée de lancer ma propre boîte après le premier jour de crèche de ma fille. Il fallait marquer tous les vêtements et je ne sais pas coudre », se remémore-t-elle.
De là naît l’idée du LudiStick, une étiquette autocollante facile à appliquer. Sur un marché immense où il n’y a alors qu’un seul concurrent, Sandrine Jullien-Rouquié voit rapidement les possibilités de développement. Pour s’assurer de la résistance au lavage, elle multiplie les tests pendant près de huit mois. Elle se plonge dans des livres de marketing ou de communication web, qui restent à portée de main dans son bureau, et s’appuie sur son master obtenu à l’Iscom Paris et sur son passé dans le monde du cinéma pour passer la vitesse supérieure. « Je me suis tout de suite dit qu’il fallait signer des licences », explique celle qui possède aujourd’hui des accords avec Disney, Marvel, Hello Kitty ou Monsieur Madame. « Je suis très fière de ma dernière acquisition TerraWilly, le nouveau film de TAT Productions qui sort le 3 avril. En plus, ça me refait travailler avec le monde du cinéma ».
L’univers du cinéma, elle l’avait découvert au cours de ses études à Paris, en travaillant d’abord sur des pubs et des clips musicaux. En 2001, pour son stage de fin d’études, un directeur de production lui propose de travailler sur un long-métrage. Sa carrière est lancée et elle travaille ensuite sur des films aussi différents que Un Secret de Claude Miller ou Le Petit Nicolas. Elle rencontre son mari, aujourd’hui associé au sein de Ludilabel, sur le tournage de L’ivresse du Pouvoir de Claude Chabrol. « Un métier passion », qui n’est cependant pas vraiment compatible avec la maternité : « en raison des nombreux déplacements, j’avais du mal à mener ma vie de maman et je ne voulais pas être frustrée. Il fallait que je fasse autre chose mais j’avais peur de m’ennuyer dans un bureau. C’est aussi pour ça que j’ai créé mon entreprise. Aujourd’hui, chaque journée est différente ». Et le monde du cinéma n’est jamais loin non plus pour Sandrine Jullien-Rouquié, qui parle de « studio de production » pour ses lieux de conception et de fabrication des étiquettes. « Aujourd’hui, j’ai plus de responsabilité qu’autrefois mais on fonctionne un peu comme une équipe de cinéma, déclare-t-elle pour décrire son mode de management. Tout est ouvert. J’aime les gens impliqués, c’est pour cela que j’organise des réunions hebdomadaires pour un travail plus collaboratif. »
Aux murs de son bureau, les affiches d’art moderne et les fausses couvertures The Parisianer témoignent de son goût pour l’art moderne. « J’essaye toujours de regarder les expositions dans les villes où je voyage pour le travail », indique Sandrine Jullien-Rouquié. Il faut dire qu’avec 115 000 étiquettes vendues dans 80 pays l’an dernier et une filiale Luditalia à Milan, la dirigeante de Ludilabel ne manque pas d’occasions. « J’aime les artistes audacieux et revendicatifs comme Egon Schiele, Basquiat, Frida Kahlo ou Banksy. Et puis, aller dans les grandes métropoles me permet de suivre les tendances, de rester toujours connectée ». Cette énergie débordante et cet enthousiasme, elle la met non seulement au service de son entreprise, « pour développer l’offre BtoB et conquérir de nouveaux marchés », mais aussi de la French Tech Toulouse, dont elle vient de prendre la tête. Un nouvel engagement qui s’est fait presque naturellement, selon Sandrine Jullien-Rouquié. La réorganisation de la mission French Tech au niveau national, avec la suppression des métropoles, a changé la donne. « L’objectif était de redonner la main aux entrepreneurs en créant des communautés et des capitales. Si Toulouse n’est pas capitale, il n’y aura plus de Pass French Tech, alors que ça nous a énormément aidé. C’est pour cela que je me suis beaucoup impliquée pour fédérer les start-up et remettre les dossiers à temps. » Cet investissement a poussé les autres membres de la gouvernance à lui donner la présidence. Elle croit en cette nouvelle étape de la French Tech, à condition de « se donner les moyens ». « L’intérêt, c’est le partage, les retours d’expérience. Mais il faut rendre l’écosystème plus visible, avec une newsletter, un événement annuel à Toulouse. J’ai demandé un budget annuel de 300 000 € pour un directeur délégué à plein-temps et un responsable communication ».
Une nouvelle aventure qui ne l’empêche pas de faire des balades à vélo ou en rollers avec ses deux filles de huit et 10 ans. « Je gère mon emploi du temps. Et puis, souvent, j’emmène ma famille avec moi. Lorsque j’ai signé un partenariat avec la Juventus de Turin, mon mari et mes filles m’attendaient à proximité du stade ». Comme l’illustre la figurine Pepita, créature fantastique du folklore mexicain issue du film d’animation Coco de Disney qui trône sur son bureau, Sandrine Jullien-Rouquié « aime les mélanges, les choses qui ont plusieurs fonctions ». En partant, le livre Madame Innovation attire notre attention. Lorsqu’elle nous dit qu’elle va « tenir un stand de gâteaux cet après-midi à l’école des filles », on aurait plutôt envie de l’appeler Madame Multifonctions.