Sans attendre le prochain symposium de l’IRCE en région sur les achats et partenariats de défense européens, repoussé pour cause de Covid et dans la continuité de sa politique d’innovation, quasi industrielle, cofinancée, la Commission européenne poursuit son initiative visant à rationaliser l’outil industriel de défense en Europe, en bonne intelligence avec la politique des États pour ce domaine particulier. Certes avec une gouvernance particulière et des problématiques de budget, elle maintient aussi sa bienveillance vers les PME et les territoires dans une logique de partenariats croisés qui doivent se mobiliser pour les prochains appels à projets à venir.
En mai 2017, la Commission Juncker ouvrait une réflexion sur les contours d’une Union de la sécurité et de la défense et présentait son Paquet défense en lien avec les initiatives de Coopération structurée permanente (CSP). Il ne s’agissait, selon son initiateur, ni d’une première étape vers une armée européenne, ni une compétition opérationnelle avec l’Otan sur laquelle se repose la grande majorité des États membres, mais d’un élan de rationalisation des produits et de ce que les spécialistes du secteur appellent la Base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) et ses 440.000 salariés, en incitant les États dans des cofinancements avec intention d’acheter le produit final. Aucune capacité ne sera détenue par l’Union européenne, même à travers les modes de financements innovants. On peut aussi penser qu’il s’agissait également indirectement de réduire les demandes d’offsets industriels à l’intérieur de l’UE.
Deux programmes pilotes ont déjà été lancés en soutien avec les États. Tout d’abord l’Action préparatoire pour la recherche de défense (PADR), dotée de 90 millions d’euros de subventions entre 2017 et 2019, couvrait la phase de recherche des produits de ce secteur, y compris pour les technologies de rupture. Puis le Programme européen de développement industriel pour la défense (EDIDP), doté de 500 millions d’euros pour 2019-2020, cofinancé au moins à 20 % par l’UE. L’effet de levier attendu était de deux milliards pour un développement financé au moins à 80 % par les nations. Les montants doivent passer à respectivement 1,5, 0,5, 1 et 5,5 milliards d’euros par an après 2021 via un Fond européen de défense (FED) pour soutenir la recherche, le développement et l’acquisition commune. Certains députés européens seraient encore prêts à se demander d’où viendra l’argent mais, le sujet et les mots sur la défense étant délicats, il aurait été sans doute bon de rajouter « de R&D industrielle » pour ne pas le confondre avec un fonds opérationnel pour l’UE dans ses missions réparties avec l’Otan.
Éternelle variable d’ajustement, le budget à connotation défense sera finalement doté d’environ huit milliards d’euros au lieu des 13 annoncés, le budget général et son annexe du plan de relance n’ayant d’ailleurs toujours pas été ratifié par tous les États. La recherche se verra allouer 2,6 milliards (au lieu de 4,1) et 5,3 seront consacrés aux actions de développement (au lieu de 8,9), chaque acquisition étant ensuite financée par les États.
Au total, 15 projets collaboratifs seront financés par le PADR avec notamment le drone Male et le projet Essor. Le projet franco-allemand MGCS devrait être évoqué prochainement dans la suite du processus. L’appel 2020 de l’EDIDP a été clos le 1er décembre et les propositions sont en cours d’évaluation. Cette phase a donné lieu à 40 propositions de 441 entités dont 16 concernant plus de 24 États membres avec des consortia représentant jusqu’à 14 entités de sept États membres et avec une participation de 83 PME dans 22% des propositions. Les projets annoncés soutiendront le développement des drones et leurs technologies connexes, les technologies spatiales, les véhicules terrestres sans pilote, les systèmes de missile de haute précision, les futures plateformes navales, les capacités d’attaque électronique aéroportées, les réseaux tactiques et de haute sécurité, les plateformes de “cyber situational awareness” (appréciation de la situation en matière de cybersécurité) ou la prochaine génération des technologies de furtivité active.
Concernant le FED, la publication des appels à candidature est attendue à la fin du deuxième trimestre 2021. Il reste donc une place à prendre et il convient de s’y préparer dès à présent sans attendre. Contrairement à un programme de recherche traditionnel, la gouvernance du FED est différente car confiée à une nouvelle direction générale DEFIS. La répartition des rôles est également innovante pour cet environnement particulier de défense et de sécurité. Les États membres sont en première ligne, votent et donnent leurs avis à la Commission, qui décide sous le couvert d’experts, avec ensuite orientation soit vers l’Agence de – développement industriel – de défense (EDA), soit vers l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) ou soit vers une maitrise d’œuvre dans un État membre. Mais comme pour les autres projets de recherche, seuls les projets collaboratifs sont éligibles, avec au moins trois participants de trois États membres, avec incitations pour une participation transfrontalière des PME. Rappelant les actions spécifiques déjà mises en place dans le cadre des programmes cadres de recherche, l’implication des PME est un bonus que nous avons déjà fait valider par des organismes européen et internationaux de contractualisation sur la défense. Les actions de développement doivent reposer sur des exigences de capacités harmonisées et des spécifications techniques communes. Notons qu’une participation ouverte aux filiales contrôlées par un pays tiers non européens a été permise, dans une logique d’ouverture mais respectant le cahier des charges européens, comme pour le Cloud Act. Le FED ciblera notamment l’innovation de rupture avec 5% des fonds alloués dans la cohérence des actions déjà réalisées par la Commission et sa Direction générale de la recherche et de l’innovation en plus de celles de l’emprunt en son nom pour le plan de relance. À noter que pour la première fois, des considérations éthiques seront prises en compte dans l’évaluation faite par la Commission sur proposition des États membres.
Le financement pourra couvrir le cycle complet des activités de recherche et de développement, les actions couvrant à la fois les nouveaux produits et les mises à niveau des technologies existantes, les nouvelles connaissances et technologies de défense, les activités visant l’interopérabilité et la résilience, les études de faisabilité, définitions et études de conception, les prototypes, les essais de produits, la qualification et les preuves d’aptitude, la certification, les technologies pour réduire les coûts du cycle de vie. Enfin, l’optimisation par la valorisation des projets et expériences passées ainsi que la prise en compte des aspects duaux seront appréciés.
Considérant toutes ces réalités, les projets français doivent être soumis à la Direction générale pour l’armement (DGA) qui fournira tous les éléments pratiques ainsi que tous les éléments de contexte (voir notre site). Un soutien financier au montage des dossiers PME par des consultants qualifiés en la matière, intitulé “Diag Europe Défense” a également été mis en place avec Bpifrance.
En plus des initiatives de l’Agence française de l’innovation de défense, et des aides régionales alimentées en partie par des fonds européens en retour, il s’agit d’une opportunité pour les entreprises spécialisées ou duales et les territoires souvent constitués en cluster, soutenus par les régions, qui souvent ensuite dépassent l’aspect géographique.
Profitons-en pour rappeler que pour les PME, en plus des dispositions du Small Business Act, repris ensuite par certains territoires, plus de la moitié des fonds de l’UE transitent par cinq Fonds structurels et d’investissement européens (Fonds ESI), gérés conjointement par la Commission européenne et les pays de l’UE, avec pour objectif d’investir dans la création d’emplois et dans une économie et un environnement européens sains et durables, dont spécifiquement pour les PME. Rappelons aussi le programme Cosme mentionné dans notre dossier sur les financements directs et indirects de l’UE pour les PME, agissant pour la compétitivité des entreprises, pour l’accès à la finance, aux marchés, à l’adaptation aux environnements, le soutien aux entrepreneurs par la formation et l’accès aux technologies.
François Charles. Économiste, Conseil en stratégie, management, affaires européennes et défense, Président de l’IRCE