S’ils veulent conserver leur identité et leur marque, les vignerons doivent monter en gamme, annonce Martin Cubertafond, consultant et maître de conférence à Sciences Po lors de l’assemblée générale de la FRVC.
Mieux vaut vendre correctement son raisin que commercialiser à bas prix ses bouteilles, observe Martin Cubertafond, consultant en stratégie et maître de conférences à Sciences Po Paris. Auteur d’un livre Entreprendre dans le vin et d’un deuxième ouvrage Stratégies et marketing du champagne, il analyse l’évolution du modèle économique de la filière et invite les vignerons à en prendre conscience pour ajuster leur positionnement.
« Le champagne a connu une forte croissance en trente ans, la superficie du vignoble a triplé en cinquante ans, mais nous arrivons à la fin de l’histoire avec la fin de la progression des volumes et l’atteinte d’un plafond qualitatif et de rendement », rappelle-t-il pour resituer le marché. Depuis 2010, la croissance passe par l’augmentation des prix grâce au développement de l’export et la « premiumisation », ce qui profite surtout aux grandes Maisons: « Elles ne pèsent que 10 % de la superficie du vignoble, donc elles se battent pour le raisin dont le prix a augmenté pour atteindre 6 € le kg. Le coût du foncier a explosé à 1,2 M€ par hectare, il faut donc 54 années de production pour le rembourser ».
PROSECCO : COMPLÉMENTARITÉ ET CONCURRENCE
Comme le prix du raisin augmente plus vite que celui des bouteilles, « de nombreux vignerons choisissent de vendre leur raisin, ce qui entraîne une remise en cause des grands équilibres de la région et la baisse des parts de marchés des vignerons, de 26% en 2000 à 19% en 2017 ».
En parallèle, Martin Cubertafond observe que le champagne n’est plus seul sur le marché de l’effervescence. Si celui-ci est en croissance (+53 % en douze ans) et s’élève à 2,5 milliards de bouteilles, le champagne n’en pèse que 13 % en volume (mais 41 % en valeur). Le cava espagnol et surtout le prosecco italien, qui a doublé ses exportations en six ans, sont de plus en plus présents. « Son modèle économique est compétitif il est moins coûteux et plus rapide à produire », constate-t-il en trouvant pour principal défaut au prosecco de ne pas avoir de marque forte. En étant plus accessible et abordable, ce vin italien peut donner le goût de la bulle aux nouvelles générations. « Cela peut représenter une opportunité pour le champagne quand ces consommateurs vont souhaiter monter en gamme », estime-t-il. Mais le prosecco est tout de même un concurrent indirect du roi des vins, ne serait-ce que sur les linéaires des rayons de la grande distribution : « Il représente surtout une menace pour le champagne d’entrée de gamme à moins de 15 € TTC la bouteille ».
MONTER EN GAMME OU VENDRE SON RAISIN
La progression du prix du raisin et la concurrence des autres effervescents font donc dire à Martin Cubertafond «qu’il est aujourd’hui plus rentable pour un vigneron de vendre du raisin à 6€ le kg que des bouteilles à moins de 12 € ». Il anticipe donc la disparition des bouteilles à moins de 15€ dans le commerce d’ici une dizaine d’années. La tendance globale devrait épouser selon lui celle des États-Unis où le champagne se vend uniquement sur le marché du haut de gamme (à plus de 30 $). D’où la nécessité d’augmenter les prix. « Comme l’entrée de gamme devient une impasse stratégique, les vignerons doivent produire des vins de terroir qualitatifs, à l’image des bières artisanales qui ont su se faire une place sur le marché américain en revendiquant leur identité et leur ancrage local », constate-t-il. Les vignerons indépendants doivent donc mieux valoriser le travail du vignoble, leur vinification, leur personnalité, mettre en avant leurs particularités… « Il y a une véritable appétence du marché. Les grower champagne pourraient représenter 6 à 8 % des volumes et 10 à 12% de la valeur en 2030 ».
L’autre alternative, qui n’a visiblement pas la préférence des vignerons indépendants, étant de miser sur de grandes marques au sein de coopératives. « Celles-ci ont été créées pour mutualiser la production, elles doivent à présent s’unir pour augmenter leur force marketing et avoir une taille critique pour l’export ».
Protection du vignoble et de l’environnement, un projet en quête de financements de la Région et de l’Europe
Les vignerons indépendants champenois portent un dossier de création d’un groupe opérationnel pour trouver de meilleures solutions à la protection du vignoble, tout en préservant l’environnement et les villages. « Nous avons déposé ce projet dans le cadre du Partenariat Européen à l’Innovation financé par le Conseil régional du Grand Est et l’Europe. Son budget est de 700 000 €dont 90 % de subventions », explique Yves Couvreur, le président de la Fédération Régionale des Vignerons Indépendants de Champagne qui a associé ces homologues alsaciens dans ce dossier.
Seul bémol, il n’est pas parvenu à obtenir le partenariat du CIVC et reproche même au Comité Champagne de lui avoir fait perdre l’engagement de l’interprofession alsacienne (CIVA). « Nous avons tout de même finalisé notre dossier, soutenu aussi par les vignerons bio et l’entreprise Tecnoma », déclare Yves Couvreur qui espère que « la cohérence du projet et ses enjeux économique, environnemental et pour l’image des vignerons » suffiront à convaincre la Région pour que cette candidature figure parmi les dix retenues (sur vingt).
Le président estime en effet que ce programme doit améliorer encore les pratiques des vignerons, tout en notant que les indépendants sont déjà pleinement engagés dans la démarche environnementale : « Qui peut mieux parler de terroir qu’un vigneron indépendant ? Sur 382 adhérents, un tiers est certifié (93 Haute Valeur Environnementale et 19 bio). Nous avons doublé ce nombre en deux ans ». À noter sur le plan économique, que 322 vignerons ont répondu à un questionnaire de leur fédération qui évalue leur production à 12,6 millions de bouteilles.