L’Occitanie veut sa filière locale de production d’EPI

Au plus fort de la crise sanitaire, la PME Bleu de Chauffe, installée près de Millau, spécialisée dans la maroquinerie, a mobilisé ses équipes pour produire des masques barrières, comme beaucoup d’autres entreprises, notamment du secteur du textile.

Avec la création d’Occitanie Protect, la Région jette les bases d’une nouvelle filière dédiée à la production d’équipements de protection individuels sanitaires 100 % locaux et plus respectueux de l’environnement.

Alors que les travaux de la commission d’enquête parlementaire sur l’impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie de coronavirus se poursuivent, en Occitanie, on a déjà tiré un premier enseignement de la crise sanitaire. L’agence de développement économique de la Région Occitanie, Ad’Occ, et la société d’économie mixte Arec (Agence régionale de l’énergie et du climat) viennent en effet d’officialiser le 5 juin la création d’une société de projet, sous la forme d’une SAS à actionnaire unique (l’Arec) et dans laquelle ont investi la Région, la Banque des Territoires et des banques commerciales. Baptisée Occitanie Protect, la nouvelle structure a pour mission « la production d’équipements de protection textile à vocation sanitaire ». Plus largement, à travers ce nouvel outil, la Région entend « structurer une nouvelle filière régionale » en même temps que « favoriser la relocalisation de l’industrie textile ».

DES OBJECTIFS TRÈS AMBITIEUX

Offrir « de nouvelles opportunités et débouchés pour des entreprises prêtes à se réorienter » est un autre des objectifs assignés à Occitanie Protect. Et parmi les premières entreprises ciblées figure Adient – ex Ets Michel Thierry, qui fournit du tissu pour les sièges automobiles. Basée à Laroque d’Olmes en Ariège, l’entreprise appartient désormais à un groupe américain, l’un des leaders mondiaux du secteur avec 240 usines dans le monde. Une entreprise fortement impactée, comme toute l’industrie automobile, par la crise du Covid-19. Mais très vite explique Nicolas Schaeffer, directeur général d’Ad’Occ, « l’entreprise a modifié ses capacités de production pour être en mesure de produire du tissu répondant aux spécificités des textiles requis pour fabriquer des masques non sanitaires de niveau 1 et 2 ». Sur la base de cette opportunité, « ce gisement de matières premières intéressant que constitue le tissu d’Adient », l’idée a donc germé, à travers la création d’Occitanie Protect, « de construire une structure régionale capable d’acheter ce tissu et de le faire transformer en masque » ou en blouses, l’autre débouché identifié.

Occitanie Protect, qui dispose d’une exclusivité régionale, pourra donc acheter le tissu produit par Adient et le faire transformer en masque ou en blouse avec les opérateurs qu’elle choisira. « L’idée étant à terme – mais nous n’y sommes pas encore parce que nous n’avons pas la capacité de confection suffisante en région –, de faire produire l’ensemble de nos équipements par des entreprises régionales. Avec un objectif sous-jacent, celui de la relocalisation industrielle. Nous avons des confectionneurs régionaux qui adressent leur production en Afrique du Nord et dans les pays d’Europe de l’Est. Or, derrière le projet Occitanie Protect, il y a le projet de rapatrier la sous-traitance aujourd’hui réalisée à l’étranger. Certes, on ne va pas fermer les usines en Tunisie pour les réimplanter demain à Toulouse, en Ariège ou dans l’Hérault. Mais on peut trouver d’autres équilibres : du 60/40 ou du 70/30, assure Nicolas Schaeffer. L’objectif d’Occitanie Protect est donc aussi de consolider les emplois régionaux, voire d’en créer de nouveaux dans le secteur textile. »

Occitanie Protect a déjà identifié les structures qui pourraient en région fabriquer blouses et masques, « mais nous allons aussi en profiter pour tester avec ces entreprises certaines innovations : de nouvelles techniques d’assemblage par exemple, telle la soudure à ultrason ou le collage. On va essayer d’y mettre un peu de technologie en vue d’élaborer une gamme ou des produits premium. »

Au-delà du tissu, d’autres sujets, liés aux dispositifs de santé et à la protection sanitaire sont également visés par Occitanie Protect : les visières, la décontamination, etc. Ad’Occ s’est en effet attelée, en parallèle, à la création d’une plateforme régionale dématérialisée de mise en relation des industriels de la santé entre eux « puisque, ajoute Nicolas Schaeffer, pendant la crise, on a pu constater, par exemple, que certains qui fabriquaient du gel hydroalcoolique n’avaient pas de flacons, etc. Cette plateforme, qui compte plus de 200 entreprises, devient de fait aujourd’hui une plateforme de mise en relation clients fournisseurs. Elle va nous servir aussi à alimenter Occitanie Protect pour construire véritablement une filière régionale et être autosuffisants en quelque sorte – c’est un objectif vertueux et nous n’y sommes pas encore. Il s’agit d’être en capacité de répondre aux besoins de la population régionale en termes de dispositifs de protection individuelle, de viser l’indépendance économique régionale en vue de satisfaire un objectif de souveraineté économique nationale », affirme le directeur général d’Ad’Occ.

DIVERSIFICATION, RELOCALISATION, CONSOLIDATION

Le soutien apporté par la Région à la création de cette nouvelle filière stratégique pourrait ainsi prendre différentes formes, assure ce dernier : « on peut aider les entreprises régionales qui sont déjà dans cette voie à se consolider. On peut rapatrier sous forme de relocalisation des productions réalisées à l’extérieur du territoire occitan. Et on peut aussi aider des entreprises positionnées sur d’autres marchés à réorienter leur production vers la fabrication d’équipements de santé individuelle. C’est déjà le cas dans le secteur aéronautique. Certaines entreprises de ce secteur pratiquent déjà cette diversification. Des entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) font aussi cette démarche. D’autres encore, spécialisées dans la fabrication de matériaux composites, se réorientent dans la production de textiles, etc. »

Les premières livraisons de masques – destinés au grand public et aux professionnels en contact avec le grand public – ont eu lieu le 11 juin au profit du Conseil régional, tandis que les premières blouses sont attendues fin juillet. Alors que des fabricants de masques en région Auvergne Rhône-Alpes, ont récemment alerté l’opinion publique sur les difficultés qu’ils rencontraient désormais pour écouler leurs stocks, face à la concurrence des produits asiatiques, le directeur général d’Ad’Occ se veut rassurant. « Nous partageons cette inquiétude, puisque l’on parle aujourd’hui de surproduction de masques textiles en France. Cependant, elle concerne surtout les masques UNS2. Nous, nous travaillons sur des masques de niveau 1, dits UNS1, de très bonne qualité et très compétitifs. En outre ils présentent deux spécificités importantes. Ce sont d’une part des masques réutilisables que l’on peut laver et sécher normalement, alors que beaucoup de masques en tissu nécessitent d’être séchés dans un séchoir. Or tout le monde n’en dispose pas. D’autre part, les masques fabriqués à partir du tissu d’Adient sont en polyester carboné dont la durée de péremption est de sept ans. Cela signifie qu’ils sont stockables pendant longtemps. »

STOCKS STRATÉGIQUES

Ce dernier point est essentiel selon Nicolas Schaeffer : « on peut donc constituer des stocks stratégiques dans l’éventualité d’une nouvelle épidémie. Or, c’est bien ce qui a fait défaut dans la crise que nous traversons. C’est bien parce qu’il n’y avait plus de stocks nulle part que nous nous sommes retrouvés dans l’impossibilité de doter la population de masques. » Et puis cerise sur le gâteau, à la différence des masques chirurgicaux qui encombrent aujourd’hui les caniveaux, « ces masques en polyester sont 100 % recyclables », ajoute Nicolas Schaeffer. Les blouses qui seront produites seront elles aussi réutilisables, ce qui devrait nécessiter de la part des utilisateurs des changements d’habitude radicaux.

Six millions de masques devraient être produits d’ici la fin de l’année et quelque 400 000 blouses, qu’Occitanie Protect espère vendre non seulement aux collectivités mais bien à l’ensemble des professionnels en contact avec le public : commerçants, hôteliers, forces de l’Ordre, etc. « Nous sommes en pleine prospection », conclut Nicolas Schaeffer.