La nouvelle DG de l’IoT Valley en a souvent surpris plus d’un par ses compétences dans un domaine technologique réputé masculin. Femme frondeuse, elle affiche de belles ambitions pour faire de l’association le cœur névralgique de l’IoT en Europe.
Si Sylvie Vergez était une marathonienne, elle ferait la course en tête dans l’univers particulièrement masculin de l’Internet des objets (IoT) toulousain. Mais en s’assurant que personne n’est jamais largué. Après avoir baigné pendant plusieurs années dans l’écosystème de l’IoT Valley niché aux portes de la Ville rose (regroupant aujourd’hui plus de 40 start-up et partenaires), la quadra, qui a été nommée en décembre directrice générale – succédant à la direction bicéphale composée de Bertrand Ruiz, ex-directeur général,et Simon Vacher ex-directeur des opérations – n’a qu’une idée en tête : booster la création de valeur autour de la data et positionner le territoire occitan en tant que référence à l’échelle française voire européenne. « Mon rôle est de piloter l’évolution de la stratégie sur la création de valeurs autour de la data industrielle et d’accroître les leviers économiques générés par la collecte de données tout en répondant aux enjeux de l’industrie. Il ne s’agit pas de révolutionner l’IoT Valley mais d’impulser une prise de conscience. Lorsqu’un porteur de projet veut aller vers cette démarche, il a besoin d’une multitude d’expertises et c’est souvent compliquer d’innover seul. D’où l’importance de faire grandir notre écosystème, ce qui permettra aux industriels et startuppers de piocher dans notre boîte à outils en fonction de leurs besoins. Nous sommes aujourd’hui la plateforme la plus aboutie pour faire entrer ces acteurs dans la révolution de la data industrielle », explique la nouvelle dirigeante. L’enjeu est ainsi d’imaginer de l’intelligence autour de la data pour dessiner des modèles différents.
Cette ancienne chef d’entreprise, qui a, tout au long de son parcours, aidé les entrepreneurs à s’adapter aux transformations digitales en perpétuelle évolution, sait de quoi elle parle. Cette adepte des technologies et de l’électronique depuis sa jeunesse prêche l’innovation, mais pas seulement. Tandis que certaines technologies arrivent d’ores et déjà à maturité, et que le secteur industriel doit incontestablement plonger dans une nouvelle dimension, l’évaluation de la valeur de la donnée reste la clé du succès. « Un entrepreneur qui a passé des années à fabriquer un produit n’est pas forcément convaincu de la valeur ajoutée de l’IA. C’est là que nous avons une carte à jouer. L’IoT Valley a pour objectif d’accompagner la mise en œuvre de solutions technologiques via des référentiels mais aussi des modèles économiques basés sur ces innovations. C’est la brique qui manquait au sein de l’association, pointe-t-elle. Je connais bien le secteur et la connaissance d’usage pour créer des business models. Ainsi, depuis ma prise de fonction, nous avons planché sur une nouvelle méthodologie d’accompagnement des entrepreneurs et des partenaires industriels pour intégrer les fragments manquants sur l’identification du gisement de valeur autour de la data. » Du fait de cette insuffisance, 70 % des projets sont, jusqu’à présent, restés au stade de concept. L’objectif est d’atteindre à moyen terme 100 % de projets aboutis. L’Occitanie dispose pourtant d’un terreau fertile comprenant déjà un large tissu d’acteurs digitaux dotés de compétences pour transformer l’activité des industriels. Seul nuage à l’horizon : la difficulté d’accompagner toutes les entreprises et de flécher les compétences de chaque centre d’expertises. « C’est ce qui fait parfois que les projets n’arrivent pas à terme ».
Dans sa feuille de route, figure le rayonnement d’ici un an de deux projets d’envergure. « Ils sont déjà lancés, mais ils restent confidentiels. L’un d’eux concerne le domaine de la supply-chain et tisse forcément des liens avec d’autres régions car nous n’avons pas la capacité d’industrialisation nécessaire sur toute la chaîne de valeur en région », souligne la DG. De fait, si l’association occitane se donne des airs de grande dame, la lenteur de l’Hexagone en la matière est pourtant sans appel face à d’autres pays qui progressent à marche forcée. « Nous accusons un fort retard par rapport à la Suède, à la Chine, etc. » Quid des freins ? « Il existe clairement un problème d’acculturation de la data. Autre point, si les industriels rechignent à se lancer, c’est aussi à cause de problématiques organisationnelles. En effet, ajouter de l’IA dans un process demande derrière de délivrer un service. L’Iot Valley ambitionne ainsi d’accompagner la diversification d’activité des industriels. Cela fait partie de notre rôle d’incubateur », relève-t-elle.
Qu’on se le dise : la data est une denrée précieuse encore sous-estimée. « 15 % des chefs d’entreprise seulement sont convaincus que la data est un levier de croissance. Ce n’est clairement pas suffisant car c’est réellement l’enjeu économique pour tout industriel », avance la dirigeante. Ainsi, dans son nouveau costume, Sylvie Vergez n’hésite pas à dépoussiérer les méthodes, à innover et à sortir du cadre pour mettre l’Occitanie sur de bons rails. D’ailleurs selon elle, l’internet des objets n’est pas le seul levier technique pour créer de la valeur au sein des entreprises. Aujourd’hui, c’est bien l’usage de la data qui prend le pas. Seul mot d’ordre : prouver par l’exemple.
De son propre aveu, rentrer dans les cases et suivre les règles n’est pas sa ligne de conduite. Sylvie Vergez préfère de loin l’autonomie et un terrain de jeu bourré de challenges. Comme tout ingénieur informatique, elle veut comprendre, s’immerger dans un sujet et imaginer la manière dont elle pourrait l’aborder avec un angle inédit. Dès l’enfance, cette native de Tarbes aime faire les choses par elle-même comme réparer des cannes à pêche, fabriquer des mouches, et appâter les poissons à flanc de rivières. Un trait de caractère qui ne l’a indéniablement pas quitté. À ses heures perdues, cette mère de famille, aime rénover des meubles anciens et se frotter au bricolage. Née de parents commerçants dans le milieu de la pêche et de la chasse « qui se sont faits seuls », la valeur du travail, prépondérante dans ses souvenirs familiaux, l’a ainsi portée tout au long de sa carrière pour grimper les échelons. « J’ai commencé mes premiers pas professionnels au sein d’un restaurant qui appartenait à ma famille puis j’ai travaillé dans la boutique de mes parents. Plus qu’un apprentissage, les épauler me paraissait normal lors des périodes de forte affluence. » Enfant curieuse mais peu assidue sur les bancs de l’école, c’est la démonstration d’un outil électronique qui sonne comme un déclic et dessine les prémices d’une carrière sans faute. « J’étais en échec scolaire. C’est en troisième que s’est opéré un tournant. L’envie de fabriquer des dispositifs électroniques m’a sauvé la vie », sourit-elle.
Diplômée d’un BTS électronique, c’est lors d’un stage dans un service après-vente de réparation de téléviseur, qu’elle se rend compte que l’aspect commercial lui manque. « C’est finalement le contact avec les clients qui m’intéressait, pas le SAV même si j’aimais réparer et mettre les mains dans l’électronique ». Ainsi, trois jours avant de passer ses examens de fin d’études, elle postule chez Decock Électronique, une boutique toulousaine spécialisée dans l’électronique. « Auprès de mes collègues d’horizons très divers, j’ai pu apprendre davantage et me convaincre d’aller plus loin. D’ailleurs, à ce moment-là, j’ai pris conscience de l’importance de la composante informatique, ce qui m’a conduite par la suite à suivre une formation d’ingénieur informatique lorsque j’étais chef d’entreprise. Étant autodidacte au début, je ne faisais pas les choses dans les règles de l’art. Ça m’a ainsi permis d’être légitime pour porter d’autres projets ».
La magie opère. Si bien qu’elle se lance avec deux compères dans l’aventure entrepreneuriale qui, pour elle, durera 15 ans. Créée en 1994, Midiway est l’une des premières agences web régionales. L’entreprise se positionne par la suite sur le développement d’offres métiers orientées vers le secteur de l’assurance santé. « Nous étions quatre associés, dont une Finlandaise qui possédait bien plus d’expérience dans le domaine internet, les pays du Nord étant plus expérimentés sur ce sujet. Au début, pour lancer l’affaire, j’assemblais des ordinateurs, je les mettais en libre-service pour les étudiants. Mais l’objectif était d’aider les entreprises à être présentes sur la toile en créant des sites vitrine. Notre activité a évolué vers des applications métiers dans le milieu de l’assurance avec des technologies et des architectures complexes. » Portant le CA à 2 M€ et entourée d’une trentaine de collaborateurs, Sylvie Vergez prend pourtant une autre direction.
« J’avais obtenu une mission de trois ans pour le Groupement militaire de prévoyance des armées (GMPA). Ce qui m’a donné envie de retrouver les valeurs d’une corporation et de réellement opérer et pas seulement conseiller. » Ainsi, dotée d’un bon bagage, elle convainc en 2011 la Mutuelle Nationale des Sapeurs-Pompiers de France (MNSPF) dont elle devient directrice du développement pour accélérer l’intégration d’outils numériques et élargir les gammes de services aux adhérents. C’est dans ce cadre qu’elle rencontre l’opérateur Sigfox dont elle accompagnera le développement commercial pendant six ans sur l’ensemble du territoire national avec l’envie de créer des services autour de technologies, tout en baignant dans l’IoT Valley. L’association est d’ailleurs née sur les fondements de la TIC Valley en 2011 à l’initiative de quatre entrepreneurs toulousains, dont Ludovic Le Moan, ancien CEO de Sigfox. « Les entreprises venaient nous chercher. J’ai vécu les expériences les plus enrichissantes de ma carrière. Lors des présentations de projets au sein du CoDIR, les gens étaient surpris, car j’avais souvent le profil le plus technique. C’était inattendu, cela a provoqué des situations où je me suis amusée », lâche-t-elle dans un éclat de rire.
À la question de savoir si être une femme dans ce milieu n’est pas un frein, son propos est net. « Depuis mes études, j’ai finalement toujours été soutenue. Je ne me suis pas posé de question. Au contraire, je me suis retrouvée dans des situations où mes compétences techniques surprenaient. Et puis, je porte des convictions et je cherche des solutions pour les mettre en œuvre, ce qui met en confiance. »
Se frayer un chemin n’a donc jamais été difficile pour cette frondeuse née. Après s’être particulièrement investie dans l’acculturation des entreprises et le développement de solutions digitales et IoT pendant plus de 25 ans, son poste actuel est-il alors un aboutissement ? « Pas du tout mais j’ai de beaux challenges devant moi, répond-elle. On est venu me chercher à plusieurs reprises mais je n’avais pas l’ambition de quitter Sigfox. Et puis l’année dernière, j’ai finalement eu envie d’être plus dans le partage, la collaboration et la transmission d’expérience. Je me suis engagée dans cette mission, même si l’esprit d’entreprendre risque de me manquer. Cependant, on facilite la création d’entreprise alors qui sait… », conclut-elle.