L’innovation et la performance industrielle, clés du redécollage

Alors que les plans sociaux s’égrènent, la filière tente de réagir. Comme en témoigne le succès des RDV Business Aerospace Valley organisés mi septembre au Stade Toulousain. Un lieu inspirant puisque le mot d’ordre est plus que jamais de jouer collectif.

Le plan de relance que l’État met sur la table – 15 Mds € au global – pour aider les entreprises de la filière aéronautique à traverser cette crise « sans précédent » suffira-t-il ? Si l’on en juge par la multiplication des plans sociaux – 27 sont à l’étude au sein de la Direccte d’Occitanie depuis le début du mois de septembre, selon les chiffres donnés par Christophe Lerouge, son directeur, à l’AFP –, on est tenté d’en douter. Pour autant, la filière ne baisse pas les bras. C’est ce qu’est venu expliquer Yann Barbaux, président d’Aerospace Valley, aux chefs d’entreprise du secteur réunis le 15 septembre au Stade Toulousain, à l’occasion des Rendez-vous Business organisés par le pôle de compétitivité mondial. En marge de moments d’échanges et de networking, deux tables rondes ont rythmé l’événement, l’une relative justement au plan de relance national et régional, l’autre sur la transformation digitale.

« On peut penser qu’il s’agit d’une crise conjoncturelle, liée à cette pandémie, a expliqué en préambule Yann Barbaux, devant ce parterre d’industriels. La question est de savoir quand nous allons en sortir. Les prévisionnistes parlent de 2023-2025 pour revenir au niveau de 2019. De fait, on n’en sait rien. D’autant que pendant cette crise sanitaire, un certain nombre de personnes se sont lâchées sur les méfaits du transport aérien. En plus d’une crise conjoncturelle, s’ajoutent donc des effets plus structurels liés à l’évolution des modes de transports. Tout cela conjugué, même avec une bonne boule de cristal, on a beaucoup de mal à savoir quand nous sortirons de cette situation. Nous sommes dès lors contraints de nous caler sur la réalité. Airbus a stabilisé son niveau de production qui est en réduction de 40 % par rapport à avant la crise. Ce qui se traduit pour la majorité des entreprises de la filière, compte tenu des stocks écoulés, par des baisses de charge qui vont au-delà de ça. Et puis à cette crise liée à la pandémie, s’ajoute enfin celle relative aux Boeing 737 max et 787, qui peut également durement impacter certains des membres du pôle. On se retrouve donc avec des taux d’activité très faibles. »

INNOVER POUR SORTIR DE LA CRISE

Après le constat, reste à trouver les moyens de rebondir. Yann Barbaux a évoqué plusieurs pistes. « La priorité est de passer le cap, de tenir. Le gouvernement a rapidement mis en place un certain nombre de mesures avec le dispositif de l’activité partielle et les prêts garantis par l’État, notamment. Au-delà de ça, il faut redémarrer, ne pas perdre de temps et profiter de la période pour en sortir plus fort. Le meilleur des moyens, c’est l’innovation. Il faut essayer de se préparer à atteindre les objectifs qu’on s’est fixés sur le plan environnemental, compte tenu des exigences plus fortes et de la pression qui est mise par les ONG autour du changement climatique, à savoir mettre en service un avion décarboné en 2035. La priorité a été mise par l’industrie aéronautique depuis plusieurs années pour réduire les consommations et les émissions. Il faut désormais accélérer. Et puis, l’autre moyen de sortir de la crise plus fort qu’on y est rentré, c’est de continuer nos efforts dans l’amélioration de la performance industrielle. C’est-à-dire tout ce qui tourne autour de l’automatisation, de la robotisation et de la transition numérique », a-t-il ainsi précisé.

Une urgence que le gouvernement a bien comprise puisque dans le cadre du plan de relance, 1,5 Md € d’aides publiques seront investies sur les trois prochaines années pour soutenir la R & D et l’innovation via notamment le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac) dont les moyens sont ainsi largement boostés. Parmi les pistes de recherche figurent notamment la propulsion à l’hydrogène, l’hybridation électrique de la propulsion, le moteur ultra-sobre ou encore l’optimisation de la forme des aéronefs. Le plan de relance prévoit aussi dès à présent la création d’un fonds d’accompagnement public à la diversification, à la modernisation et à la transformation environnementale des procédés. Doté de 300 M € sur trois ans et piloté par la DGE, il suscite déjà beaucoup d’intérêt, comme l’a indiqué Olivier Renne, responsable du secteur aéronautique, à la Direccte Occitanie. « 760 dossiers ont déjà été déposés dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt, explique-t-il, ce qui représente quelque 850 projets et si l’on ajoute ceux déposés directement sur le site de Bpifrance, on est à près d’un millier de dossiers suite au lancement de l’appel à projets. » Un succès qui doit inciter les PME « à ne pas tarder pour déposer leur dossier, confirme Olivier Renne. Premier arrivé, premier servi ! » L’instruction des dossiers s’opérant en effet au fil de l’eau, les 11 premiers lauréats du fonds ont été dévoilés le 14 septembre, qui bénéficieront d’un montant total d’aides de près de 7,5 M €. Deux se situent en Occitanie : il s’agit de Dedienne Aerospace, PME toulousaine spécialisée dans la fabrication d’outillages de maintenance aéronautique, en particulier pour les moteurs, qui souhaite accélérer la transformation numérique de ses sites haut-garonnais et tarnais, et d’Aurock, installée à Albi et spécialiste des procédés de mise en forme à chaud de pièces métalliques, qui souhaite diversifier son activité.

RENFORCEMENT DES FONDS PROPRES

Un autre volet du plan de relance dédié au secteur aéronautique entérine la création d’un fonds d’investissement doté à terme d’1 Md €. Ce fonds d’investissement en fonds propres, qui vise à préserver les savoir-faire critiques et améliorer la compétitivité des PME et ETI, est doté d’une enveloppe de 630 M € (contre 500 M € initialement prévus) financée à hauteur de 200 M € par l’État dont 50 M € de Bpifrance. Les quatre grands donneurs d’ordre de la filière aéronautique française contribuent également à ce fonds à hauteur de 200 M € (Airbus 116 M €, Safran 58 M €, Dassault Aviation 13 M € et Thales 13 M €), Tikehau Capital, société de gestion d’actifs, investissant de son côté, sur ses fonds propres, 230 M €. Ce fonds, dénommé Ace Aéro Partenaires, est géré par Ace Management, filiale de Tikehau Capital. La présence de ces grands industriels au sein du fonds est « une nouveauté. C’est extrêmement important », assure Erwin Yonnet, managing partner au sein d’Ace Management qui accompagne déjà une trentaine d’entreprises du secteur. « Dans un contexte de crise, le chef d’entreprise se retrouve bien souvent seul. Le fait d’avoir quelqu’un qui puisse lui faire une sorte de benchmark sur ce qui se passe ailleurs ou qui lui donne les tendances, c’est très précieux. Si nous pouvons aider ces PME à avoir des discussions sur les innovations à développer, qu’il s’agisse d’innovation process ou d’innovation produit, pour que ces entreprise restent pérennes sur le territoire, c’est fondamental », ajoute-t-il.

Côté conseil, les entreprises peuvent aussi se tourner vers Bpifrance. La banque publique d’investissement, parmi les nombreux outils qu’elle met en œuvre pour accompagner les entreprises, finance « des missions de conseil de cinq à 10 jours qui permettent aux PME, avec l’aide d’un consultant, de réfléchir sur la diversification, les approvisionnements, les réserves de cash, etc. », détaille Anne-Cécile Brigot-Abadie, directrice régionale de Bpifrance. Dès janvier, un autre dispositif élaboré avec la Région doit en parallèle être lancé. « Il s’agit d’un programme d’accélération, poursuit Anne-Cécile Brigot-Abadie. Trente entreprises pourront bénéficier d’un accompagnement sur une durée de 12 mois, par un consultant dédié sur des sujets très divers, comme le développement commercial, le portefeuille client, les problèmes RH. S’y ajouteront des échanges entre pairs via des séminaires animés par TBS sur des thèmes tels que l’international, la digitalisation, ou encore la transition écologique ». Les sélections pour accéder à ce programme devraient être lancées dans les semaines à venir. Son coût de 28 K € est ramené à 12 K € grâce aux aides de la Région.

De son côté, le Conseil régional déploie son propre plan de soutien à la filière aéronautique. Doté de près de 100 M €, il se décline en trois volets : la formation (35 M €) en vue de préserver les compétences et les emplois des PME et les ETI ; l’innovation (43 M €), l’ambition étant de « faire de l’Occitanie le berceau de l’avion vert » ; le financement (12 M €) via la mise en place d’outils financiers pour appuyer la recapitalisation des entreprises notamment. En marge de ce plan, la région a décidé de flécher 9 M € vers la filière spatiale. « L’État sait qu’il ne pourra pas intervenir dans tous les dossiers, explique Brigitte Geoffriault, directrice de l’économie et de l’innovation du Conseil régional d’Occitanie. D’où un travail étroit, des échanges avec la Région pour partager les informations afin de diriger les projets vers les financements les plus adaptés. »

« C’est le collectif qui rend compétitif, confirme Yann Barbaux. Nous avons la chance d’avoir, avec le pôle Aerospace Valley, une association qui regroupe de nombreux membres : de grands groupes, des entreprises, des universités, etc. Il faut profiter de cette capacité de travailler tous ensemble, d’échanger des informations. Même si c’est difficile : lorsqu’on est en pleine crise, on a tendance à se replier sur soi-même. Le message à faire passer, au contraire, c’est qu’on s’en sortira tous ensemble. On gagnera tous ensemble. On ne lâche rien. »