Les observateurs retiennent leur souffle car si un accord sur le Brexit a été trouvé le 17 octobre, de nombreuses questions restent en suspens quant à son application. Sur le terrain, les directeurs des Maisons de champagne se veulent optimistes.
Dans le cadre du Viteff, la journaliste multi-primée (prix Albert-Londres en 2003, prix Varenne en 2015, prix Louise Weiss en 2016) Marion Van Renterghem, était invitée à apporter son analyse d’expert sur le Brexit, en animant une table ronde composée de Christophe Juarez, DG du champagne Nicolas Feuillatte et Charles-Armand de Belenet, DG du champagne Bollinger.
Pas tendre avec l’accord qui fait suite au référendum proposé aux Anglais le 23 juin 2016 sur la sortie de l’UE, dont le « oui » est sorti vainqueur à hauteur de 51,9 %, l’ex grand reporter au Monde fustige « les mensonges qui ont eu lieu durant la campagne » ayant conduit le peuple anglais « à ne pas savoir ce qu’il faisait ». La question centrale qui se pose est celle des conséquences économiques d’un tel retrait, que ce soit pour le Royaume-Uni ou pour ces partenaires européens. « Les Anglais sont ceux qui ont le plus participé depuis des années à l’élaboration des accords commerciaux européens, ils se sont battus pour le Marché Unique et l’Union douanière », insiste Marion Van Renterghem, précisant que si le Brexit a bel et bien lieu, « il faudra au moins dix ans pour renégocier de nouveaux accords ».
DES IMPACTS DIFFÉRENTS
Des effets de ce « cataclysme européen » ce sont déjà fait sentir, avec « la dévaluation de la livre sterling de 20%, des délocalisations de sièges d’entreprises » et plus localement en 2016, « un chiffre d’affaires réalisé Outre-Manche, historiquement la première destination du champagne, qui a plongé de 16 % sur l’ensemble de l’année écoulée ».
Pour l’instant, l’annonce du Brexit a eu des impacts différents sur l’industrie du champagne, selon l’approche financière des Maisons. « Nous avions des contrats commerciaux en euros, nous avons donc été très vite impactés par le résultat du référendum », souligne le directeur général de Nicolas Feuillatte. « Nous avons été soumis à une augmentation significative des prix à la consommation de nos champagnes de l’ordre de 20 et 25%, ce qui a entraîné une chute de nos ventes à ce moment là ». Pour Bollinger, la problématique a été très différente : « Nous facturons en livre sterling avec la volonté de garder la main sur les prix. Ce qu’il s’est passé c’est que sur le marché du champagne, la livre a baissé de 20%, les prix ont augmenté de 20 et donc le marché s’est effondré de 20%. Or, comme Bollinger facture les coûts en livres, nous avons décidé de ne répercuter qu’une partie de cette baisse à la vente, ce qui fait que la Maison a eu une performance stable et même positive. »
Faut-il alors s’alarmer du Brexit ou rester optimiste quant à l’impact sur l’industrie du champagne ? Brisons tout de suite le suspense, selon les propos de Christophe Juarez et Charles-Armand de Belenet, si une inquiétude peut légitiment se faire ressentir, l’industrie du champagne a anticipé les scenarii possibles, notamment en stockant plus de 15 millions de bouteilles sur le sol britannique, afin d’éviter l’explosion des frais de douanes et les embouteillages de camions entre Douvres et Calais, soit 10 000 camions par jour. « 90 % de nos ventes se font à l’International avec le marché anglais qui représente aujourd’hui un tiers de nos ventes », tient à rappeler le Directeur général de Bollinger. « Plus que des chiffres, c’est une histoire d’amour avec l’Angleterre. Le marché est en train de gagner en maturité, il faut se positionner sur la valorisation du champagne, le terroir, les spécificités. On a fait le lancement de la Grande Année 2008 cette année, ça a été un des plus beaux succès en Angleterre de ces dernières années, malgré le Brexit. »
Et si la société est en train de se fragmenter entre les différentes couches sociales anglaises, l’ambition des Maisons est de s’adresser à tous les réseaux de distribution. « Il y a encore beaucoup de choses à faire sur ce marché qui est très porteur », abonde quant à lui Christophe Juarez. « Suite au Brexit, nous avons décidé de distinguer nos cuvées, de proposer des gammes différentes selon les secteurs, grande distribution ou café-hôtel-restaurant (CHR). »
GARDER UNE VISION SUR LE LONG TERME
Depuis 2016, aux risques encourus, la principale réponse est de « garder une vision sur le long terme ». « Le marché répond plutôt bien quand on comprend ce qui est en train de se passer, vigilance en terme de stocks et de prix, et confiance en terme d’investissement, sont les maîtres mots », insiste Charles-Armand de Belenet. Philosophe, il ose une métaphore sur la situation actuelle du Brexit avec cette citation de Napoléon : « Je ne pourrais jamais me passer de champagne. En cas de victoire je le mérite, en cas de défaite, j’en aurais besoin. »