Sabine TertreL’industrie au féminin, une chimère ?

Seul maître à bord de la société Air Support depuis 2017, elle a su s’imposer, depuis plus de vingt ans, dans un milieu encore perçu comme très masculin. Présidente de l’UIMM du Gers, elle se bat pour la place des femmes dans l’industrie.

Fin janvier, Sabine Tertre recevait Agnès Pannier-Runacher, ministre chargée de l’Industrie et d’Elisabeth Moreno, ministre chargée de l’Égalité femmes-hommes, lors d’un déplacement axé sur le thème de la place des femmes dans l’industrie. En effet, on célébrait en ce mois de janvier, les dix ans de la loi Copé-Zimmermann instaurant un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des grandes et moyennes entreprises. Un quota largement dépassé dans l’entreprise gersoise Air Support, société de maintenance aéronautique que dirige SabineTertre. Cette PME implantée depuis huit ans à Pujaudran réunit au sein de son comité de direction près de 60 % de femmes.

Dotée d’un caractère bien trempé, le regard à la fois perçant et rieur, un côté extraverti qu’elle a conservé de ses jeunes années, la quadra, juchée sur ses talons, sait pertinemment où elle va. Surtout depuis qu’elle est devenue, en 2017, seul maître à bord de la PME, son associé ayant fait valoir ses droits à la retraite. Depuis, elle jouit d’une grande liberté pour donner un nouveau souffle à une entité qui était alors presque au bord du gouffre. Entrée en 1999 en tant que responsable administrative et financière, Sabine Tertre détient aujourd’hui 70 % des parts (30 % pour iXO Private Equity).

Derrière cette assurance affichée se cache une bosseuse acharnée qui n’a jamais baissé les bras face aux nombreux défis parfois teintés d’adversité masculine. « Quand je suis arrivée au sein de la Caso en alternance, on m’a dit : “la machine à café est là” et j’ai rétorqué : “ça tombe bien, je n’aime pas le café et je ne suis pas venue pour ça”, se souvient la dirigeante, sans aucune pointe d’amertume. Un franc-parler qui a finalement donné le ton. « En tant que femme dans un milieu masculin, il faut faire bien plus ses preuves que les autres salariés. On finit par s’imposer par son caractère et ses compétences mais avec doublement plus d’énergie ». En plus de 20 ans de carrière, elle a su appréhender les rouages du milieu industriel, dans lequel la marche vers le succès reste, pour les femmes, toujours plus haute. « Concernant, la place des femmes dans l’industrie, il y a encore tellement de chemin à faire. Et pourtant, c’est simple : c’est la compétence qui prime et notre porte est ouverte. Que cela soit dans l’industrie en général, en Occitanie ou au sein d’Air Support, les choses n’ont pas vraiment changé : le ratio est sensiblement le même depuis deux décennies, avec 30 % de femmes et 70 % d’hommes. Néanmoins, les femmes qu’elles soient responsable qualité, responsable supply chain ou responsable RH sont désormais représentées au CoDir. Les choses doivent continuer d’évoluer. C’est impensable en 2021 de tenir à l’égard des femmes, qui veulent intégrer des écoles d’ingénieurs, des discours dépassés tels que “Mais vous êtes une fille !” Les femmes représentent 52 % de la population et s’en priver, c’est se priver de la moitié des richesses humaines. Des études démontrent par ailleurs que les garçons faisant des jeux de construction développent plus de facultés dans certains domaines, mais ce ne sont pas des choses innées, elles se cultivent et s’inculquent », pointe la chef d’entreprise, qui a ainsi longuement échangé sur les problématiques du genre avec les deux représentantes de l’État. À 46 ans, Sabine Tertre, femme engagée et passionnée, qui est également présidente de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) du Gers, défend sans relâche la place des femmes dans l’industrie. « Ce n’est plus un milieu sale, avec de nombreuses contraintes physiques. Au contraire, le secteur évolue, se modernise, se robotise, se digitalise, avec de belles opportunités à la clé, souligne-t-elle. C’est notamment à travers des actions dans le cadre de la Semaine de l’industrie, des visites de terrain, des témoignages de femmes ingénieures, des dirigeantes auprès des jeunes qu’on arrivera à attirer des talents féminins. Nous avons également réalisé une vidéo en partenariat avec Pôle emploi destinée aux femmes en recherche d’emploi ». Redorer l’image du secteur est un travail de longue haleine. Mais ne vous y trompez pas. Sabine Tertre ne brandit pas l’étendard d’un féminisme exacerbé, qui évolue au grès des vents. Elle prône haut et fort la mixité. « La mixité en apportant des visions différentes fera notre richesse. Il ne s’agit pas d’intégrer les femmes contre la volonté des hommes mais de faire équipe. Chez nous, tous les emplois sont mixtes ! »

La quadra a pris du galon au fil des années, devenant dans une petite équipe d’une dizaine de personnes au départ « responsable de production, DRH, etc. et j’ai fait petit à petit grossir l’entreprise avec le fondateur ». Elle se bat ainsi sur tous les fronts, afin que l’entreprise ait les reins solides. « Les dernières années n’ont pas été faciles. J’ai dû me battre pour que l’entreprise atteigne une croissance à deux chiffres. Depuis 2013, nous avons triplé notre CA passant de 8 M€ à 26M€ et de 48 salariés à 120.» Se battre, c’est peu dire, depuis que la Covid a cloué une majorité d’avions sur le tarmac. Ainsi, avant que la pandémie ne fige en grande partie l’activité, l’entreprise a généré 26 M€ de CA en 2019, dont 22 M€ pour la partie MRO, représentant 7 000 opérations de maintenance par an et 4 M€ pour l’activité d’assistance technique. « Notre principale activité, la MRO, à savoir la réparation d’équipements embarqués dont principalement des équipements moteurs pour le compte de motoristes, constructeurs d’avions, ateliers de maintenance et compagnies aériennes, accuse une baisse d’activité de 45 % de mars à décembre. La tendance s’améliore actuellement avec un recul de 30 %. Pour tenir bon, nous avons pénétré de nouveaux marchés en Asie qui redémarrent actuellement, élargi le panel des équipements à réparer en développant d’autres bancs d’essai, etc. Ces choix stratégiques portent aujourd’hui leurs fruits ». Quid des prévisions ? « Heureusement, cette activité concerne les court-courriers et le fret aérien qui retrouvent leur dynamisme en Asie, en Amérique du Sud, etc. Seule l’Europe reste encore atone. Nous constatons un retour des équipements à réparer depuis fin janvier et les compagnies aériennes s’apprêtent également à préparer l’été ». Pour ce qui est de la deuxième activité plus axée sur les long-courriers – intervention sur l’ensemble des équipements de cabine, avec une spécialisation sur les sièges –, l’entreprise a fortement subi la baisse de cadence de ses clients, tel Airbus, avec une chute de CA estimée à 80 %, ce qui a provoqué une vague de licenciements – « une vingtaine de salariés dont quelques intérimaires. Sans compter que 70% de l’équipe sont actuellement en chômage partiel de longue durée », précise Sabine Tertre. Un coup de massue. Pour autant, la chef d’entreprise refuse de sombrer dans le pessimisme. « Il faut entraîner derrière nous les salariés présents, l’ensemble de nos partenaires, etc. Nous espérons retrouver un niveau d’activité pré-Covid d’ici mars 2023. C’est audacieux mais je ne lâche rien ! », sourit-elle. Parmi ses ambitions, figure un plan de développement stratégique à l’horizon de cinq ans. « Je maintiens une politique forte d’investissement depuis que je suis dirigeante et ça paye !». La PME est d’ailleurs lauréate du plan France Relance et a bénéficié d’un soutien d’environ 1 M€. « Nous visons le développement d’un nouveau banc d’essai kérosène et la digitalisation de l’ensemble des processus de réparation d’ici 18 mois. On parle toujours d’usine du futur, moi, je parle d’atelier de maintenance du futur ! Digitaliser cette partie est beaucoup plus complexe que la production, par exemple. »

Cette femme, qui n’a pas froid aux yeux, et prend son rôle très à cœur, ne pensait pourtant pas un jour endosser le costume de chef d’entreprise. Née de parents fonctionnaires, passant la plus grande partie de son enfance au vert dans le piémont pyrénéen et affûtant ses facultés organisationnelles dans les comités des fêtes aux côtés de ses grands-parents, elle intègre, après une prépa HEC, l’école Sup de Co à Pau avec l’envie de sauter dans le monde du travail. « C’était une école pionnière dans les années 90 en proposant un cursus en alternance. D’ailleurs je défends l’alternance ! ». C’est là, qu’elle choisit l’industrie plutôt que le milieu bancaire omniprésent dans la capitale du Béarn. « J’aimais particulièrement les études de cas relatives à la production des usines, etc. puis mon évolution dans l’industrie a été une question de rencontres et d’opportunités ». Guy Servanty, fondateur de la Caso lui offre un contrat d’apprentissage. « J’étais rattachée au service de Bruno Bergoend, l’actuel président de l’UIMM Occitanie, c’est un joli clin d’œil de la vie. Je développais un service formation en CAO. Ce furent deux années très intenses », se souvient-elle. Diplôme et lettre d’embauche en poche, l’aventure s’arrête brutalement. « Il y a eu un plan social, l’entreprise a été rachetée par Labinal ». Elle intègre alors en 1996, une petite structure spécialisée dans la documentation technique et les études de fiabilité pour l’aéronautique et l’armée de terre avant de rejoindre, en 1999, Air Support et d’en prendre la direction générale cinq ans plus tard. Sa vision du management ? « Je n’aime pas le terme de management participatif… pour moi, c’est accompagner mes équipes, les faire progresser, leur donner la chance de faire des choses, déceler les compétences tout autant que les limites. C’est savoir écouter et trancher. Lors de la visite ministérielle, on m’a dit : “Il semble qu’il fait bon vivre dans votre entreprise”, c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire », conclut cette mère de famille – elle a une fille de 18 ans – à l’agenda bien rempli, amoureuse des voyages qui rêve de reprendre l’avion pour l’océan Indien.

Parcours

1974 Naissance à Toulouse
1994 Commence sa carrière dans l’aéronautique à la Caso alors qu’elle poursuit un cursus en alternance
1996 Diplômée de l’ESC Pau
1999 Intègre Air Support en tant que responsable financière avant de devenir directrice générale en 2004
2017 Acquiert le contrôle du capital et prend la présidence