Le placement en détention provisoire le lundi 22 avril d’Issad Rebrab, première fortune et propriétaire du plus important groupe privé d’Algérie, a semé trouble, stupéfaction et inquiétude dans le Ardennes.
Le 7 novembre, le Pdg du groupe Cevital (18 000 collaborateurs, 4 Md€ de chiffre d’affaires) avait profité de la venue d’Emmanuel Macron à Charleville-Mézières pour dévoiler sur le site de PSA, son intention de créer sur place trois unités industrielles liées au traitement de l’eau. Développé par sa filiale EvCon, ce projet d’envergure (250 M€ d’investissements) devait aboutir à la création sur un site de 13 hectares d’une usine high-tech susceptible de déboucher sur la création de 250 emplois pour arriver à terme à 1 000 emplois directs aux Ayvelles.
Après quelques retards à l’allumage liés aux obligations administratives et environnementales et au montage du plan financier, le démarrage de la production était acté pour le second semestre 2019. Mais, Issad Rebrab semble victime de l’offensive judiciaire lancée contre de puissants patrons depuis la chute du président Bouteflika, alors que Cevital devait concrétiser une levée de fonds de 175 M€ pour construire son usine ardennaise.
RELATIONS TENDUES AVEC LE POUVOIR
Son arrestation survenue après celles d’autres patrons a d’autant plus surpris les observateurs de la vie politique algérienne qu’Issad Rebrab n’est pas un affidé du clan Bouteflika même si ses affaires ont prospéré sous ce régime. Il entretenait, en effet, des relations tendues avec le clan présidentiel en étant en conflit ouvert depuis 2015 avec les autorités, les accusant de bloquer ses investissements en Algérie. Connu pour ses différents litiges avec l’administration en place, Issad Rebrab qui fêtera ses 75 ans en mai, avait à de nombreuses reprises pointé les entraves au bon développement de son groupe industriel.
Présenté au parquet dans le cadre d’une enquête anticorruption, l’ancien expert-comptable est « soupçonné de fausse déclaration concernant le mouvement de capitaux de et vers l’étranger, surfacturation, importation de matériel usagé en dépit de l’octroi d’avantages bancaires, fiscaux et douaniers (destinés au matériel neuf ) ». Son groupe a réagi dans un communiqué, soulignant que les accusations ne concernent « ni une affaire de corruption, ni de détournement, ni de dilapidation des deniers publics ». En ajoutant que le Pdgr est visé par une plainte des Douanes algériennes, datant de 2018 et déposée sur la base d’une seule et unique expertise, effectuée à la demande de la Direction des Douanes.
ATTENDRE ET ESPÉRER
Cette incarcération peut-elle compromettre le plus gros projet industriel présenté dans les Ardennes depuis l’implantation de PSA ? Impliqué depuis l’été dans ce dossier, Jean-Louis Amat, directeur de l’agence Ardennes Développement Economique reste confiant malgré les derniers aléas : « Je reste persuadé que le projet industriel de Cevital sera poussé jusqu’à son terme. Ces dernières semaines, les échanges entre M. Rebrab et les services de l’État allaient dans le bon sens. Plusieurs hypothèses restaient possibles quant au montage financier. Par ailleurs, l’acquisition des terrains et des bâtiments semblait imminente ». Président de la chambre économique des Ardennes, Géraud Spire se montre un peu plus dubitatif : « On ne peut qu’avoir des craintes. C’est lui qui depuis le début s’est impliqué à fond dans ce projet. Est-ce que les choses vont pouvoir continuer d’avancer en l’absence du décideur ? Il est à souhaiter que le traitement dont fait l’objet Issad Rebrab ne ressemble pas à celui de Carlos Ghosn au Japon… ».
Mais l’Ardennais Kamal Benkoussa, patron d’EvCon et à l’origine du projet, se veut rassurant : « Le cabinet GNAT, maître d’œuvre désigné sur le projet, suit la feuille de route qui lui a été dictée. Les événements actuels ne remettent rien en cause. EvCon honorera ses engagements. Quand on dit, on fait. C’est dans l’ADN du groupe Cevital ». Rappelons qu’Issad Rebrab avait réussi sans casse sociale les reprises d’Oxxo et FagorBrandt en France.