« L’huissier est un partenaire de confiance des entreprises »

Rencontre avec Patrice Gras, Président de l’Union nationale des huissiers de justice.

« L’huissier de justice est un acteur économique et un garant du lien social des territoires ». C’est en ces termes que Patrice Gras, président de l’Union nationale des huissiers de justice (UNHJ) présente son métier. À l’occasion des 20e Universités du syndicat, organisées les 17 et 18 octobre à Lyon, il aura à cœur de mobiliser ses membres pour inventer, proposer, prospecter et construire les nouveaux champs d’actions qui s’offrent à une profession qui souffre d’une mauvaise image. À la fois officier de justice ministériel et entrepreneur, l’huissier est présenté comme un « amortisseur social » et un « partenaire de confiance des entreprises » par Patrice Gras.

Pouvez-vous nous présenter ces universités ?

Nous en sommes à nos 20e. Ces rendez-vous annuels sur deux jours servent à se rencontrer, à être prospectif et à comprendre comment le monde bouge. C’est une pause pour définir chaque année l’avenir à travers diverses thématiques : stratégie d’offres, huissier de justice 3.0, huissier de justice : une marque. Cette dernière thématique a rencontré un franc succès l’année dernière. Nous avons pu dresser un portrait chinois de notre profession, avec ses forces et ses faiblesses. Si nous étions un vêtement, nous serions un jean : il est à la fois à la mode et utile pour des travaux, donc très résistant. Si nous étions une chaussure, nous serions une basket car l’huissier de justice est agile. Il rencontre aussi bien des patrons du CAC 40 que des jeunes de quartiers populaires, ou des personnes en milieu rural.

Quelle est l’image de l’huissier de justice ?

Je me rappelle avoir été invité, il y a quelques années, dans une émission de télévision consacrée aux professions mal aimées. Je me suis retrouvé entouré de responsables de pompes funèbres, d’inspecteurs du Fisc, et d’arbitres de football… Aujourd’hui, la question est de changer la vision qu’ont les professionnels du privé et les responsables
politiques sur notre métier car ils n’ont aucune connaissance de notre profession et des expertises que nous pouvons leur apporter. Nous sommes un amortisseur social en France. Si l’huissier de justice devait appliquer la totalité des décisions de justice, stricto sensu, ce serait la révolution. Nous sommes des hommes et femmes de terrain avec un pied au milieu du salon et un autre au milieu de l’entreprise.

La profession a acquis une certaine maturité sur le digital. Où en est-on aujourd’hui ?

Notre ordre a développé un certain nombre d’outils numériques et essaye d’apporter à la profession des solutions. Nous travaillons actuellement sur le transfert des dossiers de manière dématérialisée et les échanges grands comptes se font sur le système EDI [Ndlr Electronic Data Interchange, échange de données informatisé]. Nous n’en sommes qu’au début car on peut imaginer que des opérations comme les significations de jugements se feront un jour en ligne. Idem pour la blockchain au sein de laquelle nous intégrons l’huissier de justice pour ajouter une brique supplémentaire de vérification. L’huissier de justice ne peut plus travailler hors de cet environnement digital.

En quoi l’huissier est-il un partenaire de confiance des entreprises ?

Le montant des créances passées en perte aujourd’hui et par an en France est de 56 milliards d’euros. Chaque année, ce sont 25 % des TPE-PME du pays qui tombent sous le coup d’une liquidation judiciaire à cause d’impayés. Soit 300 000 emplois menacés. Il faut que les chefs d’entreprises sachent que l’huissier de justice peut procéder au recouvrement et au conseil. Nous sommes une entreprise d’environ 15 000 personnes, avec 3 300 professionnels et 12 000 collaborateurs au service des entreprises. Nous défendons le maillage territorial menacé par les lois Macron qui ont conduit au regroupement d’études et à la désertification de certains bassins de vie. Nous devons nous battre pour que l’huissier de justice reste un juriste de proximité. En matière de recouvrement amiable, nous ne collectons que 10 % des créances. Le reste est recouvert par des sociétés privées spécialisées.

Un recouvrement de qualité amiable doit aujourd’hui passer par un huissier de justice. Notre syndicat a d’ailleurs signé une charte éthique sur le sujet. Au-delà de nos obligations légales, nous apportons des valeurs morales. On s’interdit d’appeler par exemple en dehors des heures légales, de joindre un débiteur sur son lieu de travail ou de le menacer. Dans plusieurs cas, la mauvaise image des huissiers de justices est portée des personnes qui ne le sont pas.

Comment ces sociétés de recouvrement ont-elles pris autant de part de marché ?

Pendant longtemps, nous avons considéré à tort que ce recouvrement amiable n’était pas à la mode. Nous avons laissé un vide il y a une vingtaine d’années dont se sont emparées ces sociétés. Aujourd’hui, nous sommes positionnés sur ce marché. L’idée n’est pas de se plaindre mais plutôt répondre aux problématiques d’un client : que souhaite-t-il et comment pouvons-nous agir. Dans la chaîne de recouvrement, nous intégrons la médiation car nous savons que ce sera un passage obligé pour obtenir une date d’audience dans un tribunal si un dossier doit être porté en justice.

L’huissier de justice n’est plus un exécutant mais s’intègre dans un parcours d’accompagnement. Et nous constatons qu’un nombre infime de dossier termine en exécution stricto sensu comme un enlèvement d’une voiture, une expulsion ou une saisie de meubles. Car au préalable, il y a un parcours de l’impayé. Autrement dit, l’impayé n’est pas inéluctable. Nous gérons de l’humain et pas un numéro de dossier. L’huissier de justice est un acteur économique et garant social des territoires.

Quel est le contexte législatif dans lequel évolue la profession ?

Nous sommes à l’origine du dépôt du projet de la facture exécutoire par le sénateur François Patriat. Il s’agit de permettre aux TPE-PME d’accéder, dans le cadre de la déjudiciarisation, à une procédure simple rapide et peu chère. Dans un délai d’un mois, et pour une somme facturée maximale de 300 euros, un huissier de justice peut délivrer un titre exécutoire pour une petite créance.
On désengorge ainsi les tribunaux par ce type de procédure. Il doit y avoir une moralisation de l’économie. On ne peut plus pénaliser les petites entreprises.

Quelles sont vos relations avec les autres professions du droit et du chiffre ?

On ne peut pas dire qu’il y a des stratégies communes, mais il y a la possibilité de création de sociétés pluriprofessionnelles. On peut développer des synergies et permettre aux entrepreneurs du droit et du chiffre de travailler ensemble. A l’horizon de 10 ans, nous verrons émerger ce type de structure.

Quelles sont les relations entretenues entre le syndicat et la chambre nationale ?

Elles sont cordiales. Nous servons l’intérêt commun. Notre syndicat ne s’occupe pas de politique. Depuis quatre ans, je me consacre au développement économique de nos membres. A ces Universités, l’Ordre sera bien sûr présent. Nous avons tous en commun notre diplôme d’huissier de justice et les chicaneries appartiennent à un monde ancien. Nous accueillerons bien sûr nos 432 membres mais ces Universités sont ouvertes à tous ! L’occasion aussi de démontrer que ce n’est pas incompatible.

Dates clés

1991
Installation à la SCP Carminati, Riquier, Salvi, Gras.
2006
Vice-président de l’UNHJ.
2013
Référent huissier de justice à Eurojuris France.
2015
Élu président de l’Union nationale des huissiers de justice (UNHJ).
2019
Installation à la SAS ID Facto Versailles comme associé.