Les vins de Bourgogne construisent l’avenir

En octobre dernier, Louis-Fabrice Latour évoquait les menaces liées à l’affaire Boeing- Airbus, à la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine ou encore au Brexit… Mais en aucun cas la menace d’une pandémie aurait-elle été imaginable. Face à ce constat, l’interprofession des vins de Bourgogne préfère se donner les moyens de construire l’avenir.

Passage oblige dans la vie d’une association, l’assemblée générale du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) était, cette année, l’occasion de revenir sur une année pour le moins mouvementée. « L’année 2019 a été exceptionnellement bonne pour la Bourgogne. Et pourtant, il y a un an, je vous avertissais déjà de la menace de la taxe américaine sur nos vins. Ce qui nous préoccupait alors était le Brexit », a tenu à rappeler Louis-Fabrice Latour, président du BIVB. À ce moment-là, une incertitude pesait sur le marché britannique et la mise en place d’une taxe américaine sur les vins tranquilles était évoquée – elle sera finalement de 25 % – sans parler de la baisse drastique de la consommation de vin en France, particulièrement sur les rouges, ou encore de la perte de vitesse des appellations d’origine contrôlée (AOC) en grande distribution. Toutefois, « 2019 fut une bonne année, observe le président de l’interprofession. La Bourgogne a franchi pour la première fois le cap du milliard d’euros à l’export, l’économie américaine tournait à plein, sans parler du sud-est asiatique. Le développement sur les marchés à monopole comme le Canada, la Suède et la Norvège nous portait. Et le retour du Japon comme très bon client était peut-être l’illustration d’un effet de l’accord de libre- échange signé avec ce pays ». À tous ces facteurs sont venus se greffer les effets de la crise liée au Covid-19, comme l’évoque Louis-Fabrice Latour. « Pendant cette crise, le Comité permanent du BIVB s’est réuni en audioconférence tous les jeudis matins pour évaluer la situation, perçue très différemment suivant les types de marché, à un moment où la vigne poussait rapidement, mobilisant les équipes. La production de vin, elle, après un arrêt de 15 jours, reprenait timidement au gré des commandes. » L’arrêt de la CHR (hôtellerie et restauration), le ralentissement du report sur la grande distribution et l’affaiblissement des échanges extérieurs n’ont pas aidé. « Tout cela nous a conduit à une baisse de 30 % de notre activité sur les premiers mois de la maladie », constate-t-il en date du 29 juin.

DEUX ANS DE STOCKS

Alors que l’exercice 2018-2019 atteignait des records, avec 1,566 million d’hectolitres sortis de propriété, l’exercice 2019-2020 a chuté à 1,285 million d’hectolitres sortis, un chiffre qui caracole avec les sorties de l’exercice 2003-2004 (1,246 million d’hectolitres). En comparaison, l’exercice 2008-2009, impacté par la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, affichait 1,372 million d’hectolitres sortis. « La situation est assez saine puisque la Bourgogne a deux ans de stocks, sans pour autant être en situation de sur-stocks », note le président du BIVB. Ce stock est en effet de l’ordre de quelque trois millions d’hectolitres. « Tout en reconnaissant que certains puissent y trouver une utilité, la Bourgogne n’a pas souhaité la distillation. Nous ne voulons pas céder au défaitisme. Par respect pour nos vins et ceux qui les aiment, nous nous voulons raisonnablement optimistes. On ne sait pas exactement ce qui nous attend, mais nous ne devons pas désarmer. C’est pourquoi nous avons gardé un budget d’actions inchangé », explique-t-il. En effet, si le BIVB a présenté un résultat déficitaire de 800.000 euros estimé à fin juin, il a aussi été rappelé un excédent de 1,6 million d’euros dégagé sur l’exercice 2018-2019. Le budget 2020-2021 a ainsi été voté à l’équilibre à 12,625 millions d’euros, dont 46 % dédiés aux actions de marketing et de communication et 36 % dédiées à la mise en œuvre. « Nous sommes en pleine crise, nous ne connaissons pas l’avenir, mais nous nous donnons les moyens de le construire, avec confiance », conclut Louis-Fabrice Latour.

DES PROJETS PHARES

« Nous croyons à nos vins [et] à la recherche technique, tant sur le potentiel de production que sur la qualité des vins, complète François Labet, président délégué du BIVB. Nous participons ainsi à l’effort national, dans le cadre de la lutte contre le dépérissement de notre vignoble ». Pour l’exercice 2020-2021, 1,237 million d’euros de budget ont été votés pour les actions technique et qualité. Entre autres actions exceptionnelles, le projet Premox. « Nous sommes réputés pour nos vins de garde, en particulier nos blancs. C’est un sujet qui nous mobilise depuis des années, sur lequel nous avons fait de réelles avancées qui permettent de maîtriser les phénomènes d’oxydation prématurée. Mais, dans notre conception d’un vin le plus proche possible de l’expression des conditions naturelles, nous avons réengagé un vaste programme sur le potentiel de vieillissement de nos vins, afin d’être les plus précis possible sur nos itinéraires de vinifications », explique-t-il. Ce projet représente un engagement financier de 150.000 euros.

« Au-delà de la recherche technique et de son appropriation par les vignerons, nous accompagnons nos deux familles [viticulture et négoce, Ndlr] dans une innovation majeure pour nous, la communication sur nos métiers », complète le président délégué de l’interprofession. Pour ce faire, 150.000 euros supplémentaires ont été injectés dans le développement du projet Vita Bourgogne. Dès le mois de septembre, un site internet sera lancé pour présenter au grand public les métiers de la vigne et du vin. En structurant l’offre et la recherche d’emploi viti-vinicole en Bourgogne, en adaptant l’offre de formation aux besoins de la production et en communiquant auprès des publics-cible pour les attirer, orienter, former, employer et fidéliser, le BIVB souhaite organiser une coopération et une coordination entre les acteurs-clé de l’emploi et de la formation, ainsi que les professionnels. Un des objectifs étant de valoriser et d’augmenter la visibilité des opportunités de formation et d’emploi pour augmenter l’afflux de candidats et, à terme, résorber la pénurie de main d’œuvre sur les métiers en tension.

« Croire en l’avenir quand tout va mal, c’est simplement faire comme nos pères avant nous, a conclu François Labet, souhaitant convaincre l’interprofession. Ils n’ont pas baissé les bras face au phylloxera, à la crise des années 1930 ou aux années difficiles d’après-guerre. Comme eux, nous croyons dans la Bourgogne et dans ses vins. Nous allons traverser des temps difficiles et nous devons le faire ensemble, sans nous désunir et avec détermination ».