Les transitions professionnelles au cœur de la réforme de la fonction publique

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Par Isabelle Desbarats, professeur de droit à l’université Toulouse 1 Capitole et membre du Centre de droit des affaires.

Véritable serpent de mer, l’objectif de réduction du nombre de fonctionnaires vient, une nouvelle fois, d’être révisé à la baisse. En effet, alors que le candidat Macron s’était engagé à supprimer 120 000 postes de fonctionnaires sur la durée du quinquennat, l’ambition du président a été réduite dans un contexte marqué par la crise des Gilets jaunes et un ralentissement de l’économie. Récemment dévoilé par le ministre de l’Action et des comptes publics, le nouvel objectif vise la suppression de 85 000 postes d’agents publics d’ici à 2022, dont 15000 dans la fonction publique d’État (et non plus 50 000) et 2 000 en 2020. Ce changement de cap est cependant à mettre en miroir avec l’adoption de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 dite de
« transformation de la fonction publique ».
En effet, alors que la France est souvent considérée comme le mauvais élève européen au regard des réformes attendues du secteur public, cette loi ambitionne d’y concourir par d’autres voies, notamment via une facilitation des mobilités des agents publics vers le secteur privé. Dans ce but, la loi s’inscrit dans un continuum de textes reflétant un processus de « travaillisation » du droit de la fonction publique et donc de rapprochement avec le droit applicable aux salariés du secteur privé. Un premier exemple de cette inspiration « travailliste » résulte de l’élargisse- ment des cas de recours au contrat, initialement introduit dans la fonction publique par une loi de 2005, ce qui devrait, à terme, contribuer à une réduction du nombre de fonctionnaires, si ce n’est d’agents publics. Une deuxième illustration est fournie par la reconfiguration du dialogue social au sein du secteur public, directement inspirée de l’une des ordonnances Macron et que le Conseil constitutionnel a jugée compatible avec le principe de participation : une refonte des acteurs, des processus et des modalités du dialogue social justifiée, comme dans le secteur privé, par la complexité des dispositifs antérieurs, source d’insécurité juridique pour les employeurs publics.

Mais c’est d’une autre façon encore que le législateur de 2019 a décidé de renforcer le processus de « travaillisation » des fonctions publiques. En témoigne une accentuation du glissement d’un système d’emploi vers une logique de carrière des agents publics, via plusieurs dispositifs tendant à favoriser leur mobilité et à accompagner leurs transitions professionnelles. Plus précisément, si toutes ces mesures ambitionnent de fluidifier la mobilité inter et extra-fonctions publiques, toutes présentent aussi une dimension managériale en s’inscrivant dans une logique d’individualisation et de flexibilité des parcours professionnels. Autre similitude : l’ambition de faire des agents publics les propres acteurs de leur parcours, à l’image du comportement attendu des salariés du secteur privé.

Première mesure en ce sens : une modification des règles applicables au compte personnel de formation en vue de garantir la portabilité des droits liés, en cas de mobilité entre les secteurs public et privé. En effet, pour faciliter le passage du privé vers le public et inversement, la loi introduit de nouvelles règles destinées à pallier le fait que la conversion des droits se fait en fonction d’unités différentes, selon qu’il s’agit de droits acquis dans le secteur privé (en euros) ou bien dans le secteur public (en heures). Reste une incertitude : celle de savoir comment, concrètement, s’opérera une telle convertibilité en euros des droits acquis au titre d’une activité dans le secteur public lorsque l’agent part exercer une activité dans le privé et, en sens inverse, en heures des droits acquis au titre d’une activité régie par le droit du travail.

Deuxième mesure instaurée pour favoriser la mobilité des agents publics : l’instauration d’un mécanisme de rupture conventionnelle, ici encore directement inspiré du droit du travail. Pour assouplir les voies de sorties de la fonction publique, le législateur de 2019 a ainsi décidé d’en créer une nouvelle, s’ajoutant aux dispositifs classiques que sont l’admission à la retraite, la démission acceptée par l’administration, la révocation, l’abandon de poste, ou encore le licenciement essentiellement invoqué en cas d’insuffisance professionnelle. À l’avenir, les contractuels en CDI ainsi que les fonctionnaires titulaires (à compter de 2020 et pour une durée expérimentale de cinq ans) pourront être concernés par ce nouveau mécanisme de rupture ouvrant droit aux allocations-chômage ainsi qu’à une indemnité de rupture dont le montant sera fixé par décret, plusieurs questions restant en suspens. Un remboursement de cette indemnité pourrait-il être envisageable ? Dans quel cas ? À la charge de quels fonctionnaires?

Une troisième évolution, enfin, devrait favoriser les transitions professionnelles des agents publics, comme c’est le cas pour les salariés. Il s’agit de la création d’un dispositif global d’accompagnement des restructurations, ce qui devrait requérir le déploiement d’outils RH en vue de l’élaboration et de la mise en œuvre des projets professionnels des agents concernés. Évoquons encore la création de dispositifs de mobilité intrafonctions publiques, tels que ceux destinés à favoriser la mobilité des fonctionnaires de l’État vers les fonctions publiques hospitalière et territoriale, ainsi que la « portabilité du CDI » entre les versants de la fonction publique, ce qui, d’ailleurs, soulèvera la question de savoir si, en pareil cas, l’accord du nouvel employeur est requis.

Clairement, les maîtres-mots du management des entreprises – mobilités, transitions, individualisation, flexibilité… – migrent ainsi vers le secteur public, conduisant à l’identification de nouveaux leviers managériaux auxquels les administrations devront recourir conformément aux nouvelles « lignes directrices de gestion » créées par la loi. Dans ces conditions, est-ce à dire que, « jusqu’ici armature d’une fonction publique de carrière, le statut général (est) en sursis ? » ( J. Filaire, AJFP 2019, 258). Assiste-t-on plutôt à l’émergence d’un « statut modernisé, adapté aux (…) nouveaux besoins de la société et qui renoue avec la promesse républicaine d’un service public pour tous ? »1. L’avenir le dira. Dans l’attente, telles sont quelques-unes des questions qui seront débattues lors de la troisième conférence (26 novembre) du cycle de rencontres dédiées à l’analyse de la loi réformant la fonction publique et co-organisées par le Centre de droit des affaires et l’Institut Maurice Hauriou de l’université Toulouse 1 Capitole.

https://www.fonction publique.gouv.fr/files/files/Espace_Presse/dussopt/20190327- dp-PJL.pdf