Les sols peuvent sauver l’agriculture et la planète

Des spécialistes du végétal ont participé à Planet A, qui a aussi accueilli de nombreux décideurs politiques internationaux durant deux jours à Châlons. (Photo : Philippe Demoor)

Châlons a accueilli les spécialistes (politiques, scientifiques, agriculteurs, ONG, entreprises…) les 27 et 28 juin lors de la deuxième édition de Planet A.

En présentant les enjeux mondiaux auxquels la Terre est confrontée, Benoist Apparu, maire de Châlons, résume l’importance de débattre de ces questions lors d’un évènement comme Planet A : « Nous devons assurer la sécurité alimentaire. Dans la bande sahélienne par exemple, 75 millions de tonnes de céréales sont produites par an alors qu’il en faudra 300 millions en 2030. Il faut aussi préserver nos ressources (l’eau, la biodiversité, les sols) et lutter contre le changement climatique », indique l’élu. Il ajoute que « l’agriculture est une réponse » et souligne le rôle de l’évènement qui réunit la filière agricole, des politiques, des ONG, des scientifiques, des entreprises, etc. « Nous voulons installer ce forum comme un outil de préparation agricole des COP (la COP 21 s’était tenue à Paris en 2015, la 25e aura lieu au Chili en décembre, ndlr) ».

Les enjeux sont en tout cas partagés par de nombreux spécialistes internationaux venus en Champagne pour l’occasion. « Nous n’avons qu’une planète. Toute prédation s’y fait au détriment des autres. Nous devons voir le partage et la coopération comme un kit de survie », estime le député Dominique Potier, directeur de l’observatoire de l’agriculture et du monde rural de la Fondation Jean-Jaurès et co-auteur du livre La Terre en commun. Déjà présent l’an dernier lors de Planet A, le professeur Rattan Lal (co-récipiendaire du prix Nobel de la Paix 2017) était à l’origine de la thématique 2019 centrée sur la qualité des sols. « L’érosion des sols est un problème sérieux, qui va augmenter de 36 % en Afrique d’ici 2019 et de 14 % dans le monde. Cela représente une perte de 8 milliards de dollars. Cela aura un impact sur la paix en provoquant la faim, des crises politiques et de l’insécurité », s’inquiète celui qui rappelle que le monde compte déjà 71 millions de réfugiés cette année. Il est donc impératif de consommer moins de terres et moins d’eau, de réduire l’utilisation des pesticides et de fertilisants… Avec également la lutte contre le gaspillage et l’augmentation de la productivité agricole comme objectifs. « Nous pouvons augmenter de près de 50 millions le nombre de tonnes alimentaires produites dans les pays en développement ». Un enjeu capital alors que, selon lui, à chaque minute, 32 personnes meurent de la faim et que la déforestation gagne 15 hectares… Né en Inde, il cite Gandhi en complétant la liste des sept péchés énoncés par son compatriote par son refus d’utiliser « la technologie sans sagesse ». Godfrey Nzamujo, directeur du centre Songhaï (lieu d’expérimentations au Bénin) estime en tout cas que le progrès scientifique doit servir à inventer une nouvelle agriculture pour « produire plus, mieux et avec moins ». Il précise que si chaque terroir a ses spécificités et son intelligence, il est important de « croiser les regards ».

« 4 POUR 1000 » : AUGMENTER LE STOCKAGE DE CARBONE DU SOL

Initiative lancée lors de la COP 21 en France, « 4 pour 1000 » vise à augmenter le taux de croissance annuel de 0,4% (soit 4 ‰) des stocks de carbone du sol pour réduire la concentration de CO2 liée aux activités humaines. « Les courbes montrent la corrélation entre l’augmentation de la population et la déforestation. L’agriculture en est en partie responsable en causant 25 % des émissions de gaz à effet de serre », observe Paul Luu, secrétaire exécutif du mouvement. Encourager l’agro-écologie pour augmenter la quantité de matière organique du sol devrait ainsi « améliorer la fertilité des sols et la production agricole tout en limitant le réchauffement climatique ».

Au nom de la Banque Mondiale, Erick Fernandes met en tout cas en avant le sentiment d’urgence : « La maison brûle. Pourquoi restez-vous au lit ? Nous devons agir tout de suite. La Banque Mondiale finance des opérations (Sahel, Chine, Inde…) pour régénérer les sols ».

QUELLE AGRICULTURE DEMAIN ?

Pierre Marie-Aubert, chercheur au think tank Iddri n’hésite pas à proposer un scénario radical pour aller plus loin en pariant sur un changement des comportements alimentaires : « Diminuer la production animale de 45 % d’ici 2050 et celle du végétal de 30 % permettrait de s’affranchir des intrants de synthèse, des importations de soja, de retrouver de la biodiversité et de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % ». Sans aller aussi loin, François Mandin, agriculteur et président du réseau APAD (Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable) rappelle que les agriculteurs ont déjà fait évoluer leurs modèles depuis des années. Il insiste cependant sur « la nécessité que les agriculteurs soient au centre », reconnaissant « un besoin d’être coaché mais pas d’être jugé », rappelant que s’ils pensent à l’avenir, les agriculteurs doivent aussi déjà assurer leur survie.

LA RECHERCHE AU CŒUR DE LA BIOÉCONOMIE
Le Bioeconomy Day de l’Université met en lumière les synergies entre les acteurs de la R&D.

Pour limiter la dépendance aux produits fossiles, les acteurs agro-industriels du territoire se sont mobilisés depuis longtemps pour développer la bioéconomie. Ils sont épaulés par des structures de recherche comme celles de l’Université de Reims Champagne-Ardenne qui a organisé son Bioeoconomy Day, mardi 25 juin. « C’est un enjeu majeur pour notre société. Pour apporter des solutions durables, l’ensemble des acteurs doivent travailler ensemble. Notre stratégie est de nous positionner comme un acteur important car la bio-économie fédère 160 enseignants-chercheurs, 12 laboratoires et 5 chaires à l’Université. Nous collaborons avec 20 pays et nous avons notamment créé un master en ingénierie biorraffinerie et bioéconomie », présente Guillaume Gellé, le président de l’URCA.

LA SFR CONDORCET ET LE PÔLE IAR ONT UN RAYONNEMENT INTER-RÉGIONAL L’Université porte également la Structure Fédérative de Recherche Condorcet qui rayonne dans le Grand Est, les Hauts-de-France et la Wallonie. 680 chercheurs (31 laboratoires dont ceux de l’INRA et du CNRS) échangent ainsi sur la production végétale durable, la transformation de la biomasse, les matériaux agro-sourcés… Le partenariat avec les Hauts-de-France et l’Ile-de-France s’est également concrétisé par la signature du biopacte lors de la Foire de Châlons 2018. « Nous avons inscrit la bioéconomie comme notre deuxième priorité avec l’usine du futur, commente Philippe Mangin, vice-président du Conseil régional du Grand Est. Nous définissons cette filière comme le remplacement d’une économie pétrosourcée par une économie bio-sourcée, cela dépasse l’agriculture ». Celle-ci reste évidemment au cœur du sujet avec 3 millions d’hectares dans la région et « un dynamisme incontestable » marqué par le site de Pomacle-Bazancourt, par l’association TerraSolis qui pilote Terralab (ex-base aérienne 112) et par l’activité du pôle IAR. Son président, Yvon Le Henaff, souligne justement « la forte mobilisation des territoires » et voit sa dimension inter-régionale (IAR a été créé à l’origine par la Picardie et la Champagne-Ardenne) comme une opportunité. « Nous avons accompagné des projets à hauteur de 2 Md€ », ajoute-t-il. Autant d’atouts qui permettent à Philippe Mangin d’affirmer la volonté du Grand Est « de créer un éco-système favorable pour être un leader international ». Sa place lui est en tout cas reconnue par Dirk Carrez, directeur du consortium européen Biobased Industrie et nommé Docteur Honoris Causa par l’URCA : « Cette région est un exemple de ce que nous essayons de développer au niveau européen. La bioéconomie pèse 2 300 Md€ et emploie 19 millions de salariés en Europe. Le consortium en représente 700 M€ et 3,6 millions d’emplois. L’Europe a apporté 1 Md€ sur la période 2014-2020, aidant les industriels à investir 2,7 milliards d’euros ».
Au-delà des chiffres, les acteurs savent toutefois qu’ils doivent faire plus de pédagogie et mieux communiquer encore sur les atouts de cette filière pour l’environnement et pour la société. « Nous devons être capable d’expliquer ces enjeux », annonce Guillaume Gellé, notamment pour convaincre de la pertinence des biocarburants ou encore de la méthanisation.

(Photo : Philippe Demoor)

Le Bioeconomy Day de l’URCA a réuni les spécialistes de la filière. (photo : Philippe Demoor)