Les smart-cities de demain s’imaginent au Siivim

Les 8 et 9 octobre derniers, le Journal du Palais était partenaire du Sommet international de l’innovation des villes moyennes (Siivim) qui s’est déroulé à la maison des Sports de Nevers. Créé par les villes de Nevers et Shawinigan au Québec, sous la direction Jérémie Nester, ce sommet unique au monde est destiné à construire les smart-cities de demain à travers les technologies numériques et l’innovation.

L’hélium

Créée à Metz en 2017, l’entreprise Energy 45-8 a découvert dans la Nièvre le nouvel Or de demain : un gisement d’hélium dont elle entend faire le premier gisement d’Europe. 

La Nièvre serait-elle en passe de devenir le nouvel Eldorado de la conquête de l’hélium, le deuxième gaz le plus abondant dans l’univers après l’hydrogène ? C’est en tous cas ce que pense Nicolas Pelissier, président de la société Moselienne Energy 45-8, seule entreprise d’Europe à s’être engagée depuis 2017 dans l’exploitation de ce gaz noble. Ce que l’on sait moins en revanche, ce sont ses diverses applications médicales, industrielles – l’hélium est un conducteur thermique sans concurrence utilisé dans l’IRM et la fibre optique – ou aéronavales. La France utilise aujourd’hui neuf millions de mètres cubes par an – au prix de 10 à 12 euros/m3 – qu’elle importe à 100 % des États-Unis, d’Algérie ou du Qatar. Or, détaille Nicolas Pelissier, « Pour être transporté, l’hélium doit être liquéfié à -269 degrés alors que 74 % de son usage se fait sous forme de gaz ». Une double opération qui a donc une conséquence : le prix du mètre cube a été multiplié par trois en cinq ans et les 30 sites d’extraction existants dans le monde (dont 22 aux USA) sont aujourd’hui à flux tendu. C’est ici que la Nièvre et principalement Saint-Parize-le-Châtel, bien connue pour ses eaux gazeuses mais depuis peu pour son gisement d’hélium qui pourrait atteindre plusieurs dizaines de millions de mètre cube selon les premières estimations, a sa carte à jouer pour devenir le premier département fournisseur d’hélium et assurer jusqu’à 20 % de la consommation française mais aussi d’un autre gaz, moins populaire, le CO2 : « Nous avons détecté des fuites dans l’atmosphère ainsi que des émanations de CO2 équivalentes à celles libérées annuellement par une ville de 10.000 habitants. Or l’industrie est en pénurie de CO2 pur. Les gisements français se trouvent dans le Sud et dans le Nord et son transport double tous les 300 kilomètres ». Si la filière ne créerait pas plus d’une dizaine d’emplois directs, c’est en revanche d’emplois indirects dont pourrait bénéficier le département : « Les entreprises cherchent à se rapprocher des sources de CO2 et d’hélium. C’est une extraction sans conséquence sur l’environnement, qui ne prend pas plus de place qu’un hangar agricole et sans impact géologique puisque nous carottons à une centaine de mètres de profondeur sur quelques centimètres de diamètre ». Inscrite dans les appels à projet du Plan de Relance de 100 milliards récemment lancé par le gouvernement, l’entreprise Energy45-8 espère démarrer l’exploitation en 2026 et offrir à la Nièvre une nouvelle filière industrielle d’avenir.

Nicolas Pelissier, président de la société Moselienne Energy45-8

Aéronautique

En créant un dirigeable individuel Jean-Pierre David donne un sérieux coup de poésie à l’aéronautique et réalise l’un des plus vieux rêves de l’homme : voler. 

On le sait peu, mais l’un des premiers hommes à voler était Nivernais. André Giroud de la Villette, né à Clamecy en 1752, fut en effet l’un des deux premiers aéronautes de l’histoire lors du premier vol habité à bord d’une montgolfière, le 19 octobre 1783. En 2020, un jeune savant un peu fou mais empreint de poésie poursuit ce rêve digne d’Icare : Jean-Pierre David, « aérosculpteur de ballons » a inventé « l’aéroplume », un dirigeable capable de porter un homme. Exit le vieux souvenir du Hedinburg (qui explosa aux USA en 1937, tuant 36 passagers) et qui mit un sérieux coup de frein aux dirigeables, c’est sous un ballon d’hélium – donc sans risque d’explosion – muni de deux ailes dirigées par la force des bras que les visiteurs du Siivim ont pu tester l’engin : « Une expérience unique », selon le président de Energy 45- 8 : le pionnier de l’extraction d’hélium en Europe s’est naturellement prêté au jeu. « L’apprentissage se fait en quelques minutes et il est curieux de voir comme les enfants ont un instinct immédiat pour apprendre à diriger le ballon » s’émerveille Jean-Pierre David : « le vol en ballon provoque les mêmes effets qu’une heure de Yoga et donne des résultats étonnants sur des personnes atteintes de handicaps physiques et mentaux ». Au Siivim, l’inventeur a présenté un autre projet un peu fou : construire à Nevers un « Aerium », bulle immense équipée d’une tour de 40 mètres de haut qui permettrait de créer le premier parc dédié au vol individuel mais surtout une école de pilotage de dirigeables. Budget : de quatre à huit millions d’euros. Et Nevers lui apparaît aujourd’hui comme le site idéal : « Nous sommes dans le centre de la France et le projet d’extraction d’hélium est un atout supplémentaire parce qu’il réduit les frais de transport de la matière première, s’enthousiasme Jean-Pierre David. Je n’ai pas besoin d’argent mais d’un site et d’une réelle volonté politique ». Des pistes sont déjà envisagées (dont une précisément en bout de piste de l’aéroport de La Sangsue à Nevers-Marzy) et les élus semblent avoir été conquis puisque même le président de Nevers Agglomération, Denis Thuriot, a fait son baptême d’hélium.

Jean-Pierre David, inventeur de l’aéroplume.

Mobilité

Avec la Geebee, la trottinette sort des villes et s’attaque aux campagnes. 

Si je vous dis « mobipode » ou « véhicule motorisé monoplace à deux roues alignées qui se conduit debout », vous penserez (ou pas) « trottinette ». Une trottinette, oui. Mais pas de celles qui font hurler les automobilistes et frissonner les piétons. La Geebee est une trottinette à l’esprit campagne, qui quitte le bitume pour les chemins ruraux. Avec cette invention, la société Concept Geebee installée à Sherbrooke, dans la région de l’Estrie au Québec, démontre que les nouvelles mobilités ne sont pas réservées aux urbains. Hybride entre le vélo sans selle et la trottinette, la Geebee est dotée d’un moteur surpuissant – bridé toutefois à 23 km/h – mais surtout de roues de 18 pouces tout-terrain. L’objectif, selon Sabine Le Nevannau, présidente de Concept Geebee, est d’offrir aux ruraux un moyen de déplacement alternatif : « Au Québec, les agriculteurs l’utilisent à la place de motos ou de quad, on peut envisager de la mettre en location pour le tourisme ou les loisirs en forêt ».

FABRIQUÉE LOCALEMENT !

Disponible depuis 18 mois à la location au sein du réseau Keolis de Nevers (environ 15 euros la journée), la Geebee fait en réalité un retour aux sources puisqu’elle a été conçue par Jean-Luc Le Névannau, un Parisien qui pilotait parfois sa moto sur le circuit de Magny-Cours, expatrié au Québec depuis l’an 2000. L’engin est de surcroît produit localement par deux ESAT – établissements d’aide par le travail – neversois pour le marché européen. C’est son côté « attachant » mais aussi ses performances – 50 à 60 kilomètres d’autonomie – qui ont séduit Rodolphe Vincent, concessionnaire PSA de Nevers qui, depuis le mois de mars 2020, est devenu le premier revendeur en Bourgogne Franche-Comté. À l’origine destinée surtout aux collectivités (La police municipale de Nevers en est équipée depuis 2018), la Geebee est donc désormais disponible pour les particuliers et son champs d’utilisation reste infini : « C’est un véhicule utilisable par tout le monde, argumente Rodolphe Vincent, entre la trottinette et le vélo, bien plus sécuritaire que ce que l’on trouve généralement sur le marché. Nous envisageons d’ailleurs de le proposer comme véhicule de courtoisie au sein de nos concessions ». Alors, évidemment, on l’a essayée et la plaisir est au rendez-vous. La puissance, la robustesse et la stabilité ont toutefois un prix : 3.500 euros, « Mais c’est à peine plus qu’un vélo électrique premium », conclut Rodolphe Vincent.


Start-up : pour vivre, il faut voir grand

À travers le Siivim et Iveo, un organisme de coopération international des incubateurs, les start-up visent l’international. 

Tirant des leçons de la Fable de la Fontaine La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf – et qui creva de trop bomber le torse – les villes moyennes ont semble-t-il renoncé à vouloir courir derrière les grandes métropoles ou se distinguer des territoires ruraux pour se bâtir une identité propre : les « villes médianes » et un modèle économique : l’incubateur. Pour Alain Boursier, vice-président de Nevers Agglomération en charge du numérique, « toutes les success stories sont nées dans les villes moyennes. Parce que nous y mettons les moyens. » Exemple éclatant : la Silicon Valley californienne, « trois villages qui ont décidé de travailler ensemble ». C’est dans cette optique que les villes médianes se sont engagées dans une mondialisation des incubateurs à travers un organisme non lucratif, Iveo, créé au Québec, qui joue les entremetteurs entre les pays. Pour Philippe Nadeau, directeur général du DigiHub de Shawinigan au Québec : « Il fallait sortir des métropoles. La force des incubateurs est de pouvoir se connecter où qu’ils soient. De mettre un panier de services communs pour les start-up ».

TROUVER DES INTÉRÊTS COMMUNS

Laurent Gauze, président de Pyrénées Méditerranée Invest, l’agence de développement économique de la communauté d’agglomération de Perpignan voit encore plus grand : « Il faut penser le “entre territoires” avec les régions mais aussi entre pays », évoquant l’exemple de Perpignan qui « a des intérêts communs avec Madrid ou Barcelone ». Les enjeux communs entre Perpignan, ville frontalière de 123.000 habitants (323.000 sur l’aire urbaine) et Nevers (36.000 habitants, 110.000 sur l’agglomération) ne semblent pas évidents à première vue. Mais Charles Soufir, vice-président en charge de l’Économie des territoires, de l’Innovation, et du Numérique et des Fonds européens de la communauté d’agglomération Roissy Pays-de-France n’est pas d’accord : « Le numérique est un outil de développement qui permet de réunir des structures de formation, d’incubateurs même dans des territoires très impactés par le chômage comme Sarcelles. C’est un catalyseur de créateurs d’entreprises ». Cet universalisme est défendu par Henri Cukierman, président de la Chambre de Commerce France-Israël pour qui « le principal est que le créateur sache où il veut aller. Qu’il ait les idées claires, qui ont du sens et savoir quel service il veut apporter au client » mais aussi par Philippe Nadeau qui souligne : « Les réseaux d’incubateurs permettent à une start-up d’avoir une adresse au Québec, en Tunisie ou en France » pour créer « une Francophonie du numérique ».

DE L’IMPORTANCE D’ÊTRE SOUTENU…

Voie royale, la start-up ? « Non », nuance Henri Cukierman qui souligne qu’une start-up sur dix seulement arrivera à maturité pour devenir une société pérenne ou être valorisée sur les marchés «notamment à cause des problèmes de trésorerie ». Laurent Gauze souligne lui l’importance du benchmark : « vérifier que le projet n’a pas été fait pour moins cher par quelqu’un d’autre. Une difficulté car les start-up foisonnent ». Alain Boursier prône lui « un rapprochement entre les start- up et les entreprises pérennes ». La conclusion revient à Pierre Fitzgibbon, ministre de l’économie et de l’innovation du Québec : « La coopération étrangère est nécessaire pour créer une économie circulaire. Mais les gouvernements ont aussi un devoir de participer au financement des entreprises. C’est grâce à ses investissements gouvernementaux que le Québec a aujourd’hui 260.000 entreprises pour cinq millions d’habitants ».