Nicolas Menet, sociologue, expert de la société du vieillissement et des solutions qui existent pour le « mieux vieillir » et directeur général du cluster national Silver Valley effectue un tour des régions pour présenter les enjeux d’une filière dont le futur s’envisage en milliards d’euros. Il était de passage à Dijon le 25 mars.
Quelles sont les tendances en matière d’innovations dédiées aux seniors et à leur mode de vie ?
Nicolas Menet. Il y a trois piliers : le logement et son adaptation, avec tout ce que cela suppose en termes d’assistance, la smart city avec une ville inclusive qui s’adapte aux seniors et la marchabilité de la ville avec l’accès aux services notamment. Dans notre cluster, nous comptons 317 porteurs de projet. Les plateformes de market place et de mise en relation se développent telle que Courseur pour les gens qui ont besoin de faire leurs courses ou encore les Talents d’Alfonse. On a aussi des objets connectés comme Blueinea, de la surveillance de l’activité au domicile, de la téléassistance avec Assystel Framboise ou des services transversaux comme Opti Budget ou Avocadoo.
De quelle manière votre cluster peut-il booster ce vivier d’innovations ?
Nous avons trois piliers à la Silver Valley : on propose des consultations personnalisées par le biais du programme « Être entrepreneur » avec HSBC, on fait du networking et de l’évènementiel pour faire connaître les adhérents avec des concours d’innovation, des rendez-vous affaires, des formations. Et on a créé un open lab avec 9 000 seniors franciliens qui, au quotidien, sont au cœur des innovations. Ils donnent leur retour, ils font du codesign, ils nous expliquent ce qu’est la vie à la retraite. Plus tôt vous êtes confrontés aux bénéficiaires du marché, plus tôt vous savez si votre innovation est pertinente ou s’il faut la modifier. On place l’usager au cœur de tout et grâce à de nombreux partenariats avec les Ehpad, les bailleurs sociaux, les promoteurs immobiliers, on est au contact immédiat de ce qui touche aux seniors. On est vraiment dans une innovation et un développement par l’usage.
Comment se comporte la France face à la thématique du «mieux vieillir » ?
Cela ne se sait pas mais la France est l’un des pays les plus structurés au monde sur le sujet. Trois grands marqueurs font qu’on a une avance considérable sur les autres. Cela commence par la canicule de 2003 qui a généré la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (la CNSA) puis en 2013 la création de la filière Silver économie lancée par Arnaud Montebourg et Michèle Delaunay. Cette filière a totalement structuré un concept qui n’existait pas dans le reste du monde et qui est un concept purement français. Depuis, on a créé toutes sortes d’initiatives, des pôles de compétitivité, des formations spécifiques dans les grandes écoles, des clusters et un ministère délégué à l’autonomie des personnes âgées traitant à la fois des dimensions sociales et de la dimension économique que cela pouvait apporter. Autre étape clé, 2016 avec la création de la loi d’adaptation de la société au vieillissement où pour la première fois au monde, la société s’adapte au vieillissement et non l’inverse. On est très en avance sur le sujet et 2019 devrait être une nouvelle date clé avec la loi Grand âge et autonomie. Aujourd’hui on est regardé de très près par nos voisins et aussi par les Chinois.
Peut-on dire que le marché de la Silver économie est dynamique ?
Il y a un très grand potentiel : 30% de la population française a plus de 55 ans, 16 millions de Français ont plus de 60 ans, 1,2 million d’entre-eux sont dépendants… C’est un marché qui représente 0,25 point de PIB en plus par an, 130 milliards d’euros potentiels pour 300 000 emplois… Ça c’est sur le papier, ce qui a été imaginé en 2013 pour 2020. Sauf que ce n’est pas le cas. L’expansion n’est pas totalement vraie, même si le contexte est là : la réglementation, les innovateurs sont là aussi. Mais pour que cela fonctionne, il faut que les grands groupes s’y mettent. Et ils s’y mettent enfin. Cela a pris beaucoup de temps mais depuis deux ans, on en voit comme Orange, SNCF, EDF, Suez, Engie qui commencent à être très actifs sur le sujet. Ils identifient des intrapreneurs, ils les soutiennent et c’est aussi le rôle de notre cluster Silver Valley de les accompagner y compris sur un plan national et international.
Vous dites que la France est en avance en termes de structuration. Qu’en est-il sur le plan des solutions?
Si on a bien créé l’environnement législatif et réglementaire, le marché a du mal à prendre. Imaginez : en Bourgogne Frambhe-Comté, vous avez un marché qui est limité. Donc, la stabilité de la start-up est très faible. Et comme vous avez des projets qui se ressemblent d’une région à l’autre, il y a une limitation totale. Au final, les collectivités ont financé des projets, on a des innovateurs qui existent, on peut afficher un dynamisme… Sauf que si la start-up n’est pas accompagnée à long terme, qu’on ne cherche pas à l’adosser au niveau national ou international ou qu’elle ne se regroupe pas avec d’autres start-up avec des offres complémentaires, c’est voué à l’échec et c’est de l’argent public qui n’est pas bien utilisé. Le marché domestique est trop petit pour accueillir toutes ces innovations.
Quel sont les enjeux auxquels le cluster va devoir faire face dans les années à venir ?
L’objectif de la Silver Valley, c’est justement d’accompagner tous ces projets pour leur donner une plus grande dimension. Sauf qu’aujourd’hui, 80% de nos start-up sont franciliennes. Nous avons l’ambition de regrouper les acteurs de la Silver économie venant d’autres régions, pour qu’ils puissent s’affilier au cluster et qu’ils pensent à l’international dès le départ, peu importe l’endroit où le porteur de projet se trouve sur le territoire. D’où le tour de France que nous sommes en train de faire ces dernières semaines, avec la volonté de délocaliser notre savoir-faire en région, en organisant des open lab dans les territoires. On le fait déjà avec certains de nos partenaires comme AG2R la Mondiale ou la Mutualité Sociale Agricole à Agen, Nantes, Bourg-en-Bresse et bientôt Toulon, Grenoble, Lille. Nous souhaitons aussi impliquer davantage les PME dans la Silver économie et leur faire comprendre que 30 % de leurs clients vont devenir des personnes âgées. Il y a pour eux aussi des offres de services à développer.
D’un point de vue sociétal, quels sont les défis à relever ?
Il faut regarder les aidants que l’innovation doit aussi accompagner, pour activer les logements pour leurs parents, trouver des solutions adaptées pour les problématiques médicales. Ces jeunes seniors qui ont aujourd’hui entre 55 et 70 ans sont les experts en vieillissement grâce à l’augmentation de la durée de vie. Il y a aussi un vrai besoin en termes d’emplois, notamment dans le secteur d’aide à la personne et de services à domicile comme dans la dimension hospitalière. Avec un nombre considérable de personnes à former.
Des ateliers à la CCI de Dijon
Nicolas Menet a animé à Dijon le 25 mars un atelier à la CCI de Bourgogne Franche- Comté. L’objectif : identifier et accompagner les entreprises qui souhaitent se positionner ou se développer sur le marché des séniors. Et les inviter à rejoindre le cluster Silver Valley pour bénéficier d’un programme d’accélération.