Les réponses des principaux pays européens à la pandémie

Cette semaine, le Think Tank rémois Droits de Cité étudie la mortalité liée à la
pandémie de Covid-19 dans cinq grands pays européens, en comparant les éléments essentiels de leur système de santé et les mesures spécifiques adoptées par ces nations face à cette crise exceptionnelle.

L’évolution de cette pandémie toujours en cours nous amènera peut-être à de nouvelles analyses dès lors que ses conséquences définitives auront été évaluées.

Les enjeux sont importants, car si le contrôle de la mortalité induite par le Covid-19 reste la priorité, les séquelles économiques viendront inévitablement obscurcir encore la scène dans un deuxième temps, comme le soulignent déjà de nombreuses voix qui laissent entrevoir une récession grave avec augmentation massive du chômage, nombreuses faillites d’entreprises, notamment les plus petites, et endettement massif des nations. Et il est clair que ces éléments pourraient avoir des conséquences sanitaires et sociales très sérieuses.

LA MORTALITÉ

Nous avons choisi d’étudier la mortalité liée au coronavirus Covid-19 observée dans les pays européens dont la population est supérieure à 45 millions d’habitants, à savoir la France, l’Allemagne, le Royaume Uni, l’Espagne et l’Italie, dont les modes de vie sont assez proches, du fait d’une proximité géographique et culturelle.

L’étude du taux de létalité (nombre de décès rapporté aux cas recensés), ne nous a pas parue pertinente, car les « cas recensés » ne sont pas représentatifs de l’étendue réelle de l’épidémie sur chaque territoire, en raison des stratégies de dépistage très différentes d’un pays à l’autre, de formes pauci- ou asymptomatiques. Notre étude sera basée sur le taux de mortalité rapporté au million d’habitants, qui parait un indicateur plus juste.

Cette mortalité rapportée au million d’habitants, observée au 17 avril 2020 s’établit comme dans les deux premier graphiques.

On constate très nettement une disparité du taux de mortalité entre les pays. L’Allemagne notamment possède un taux de mortalité 9 fois inférieur à celui observé en Espagne.

Plusieurs remarques doivent être faites à ce stade :

– le chiffre des décès au Royaume-Uni est manifestement sous-estimé, car les Britanniques n’incluent pas dans leurs statistiques les décès survenus au sein des EHPAD. Il est vraisemblable que la mortalité globale au Royaume-Uni dépasse le chiffre de 300.

– d’autre part, la chronologie de l’apparition de l’épidémie et les premiers décès au sein de ces 5 pays s’étalent sur plusieurs semaines (1er décès en France le 15 février, puis Italie, Espagne, Royaume Uni le 5 mars, et enfin Allemagne le 8 mars), et doit rendre prudente l’interprétation de ces chiffres, qui pourraient encore évoluer.

INDICATEURS DES POLITIQUES DE SANTE SELON LES PAYS

Nous allons maintenant étudier certains indicateurs des politiques de Santé promues par ces nations, en faisant un état des lieux puis en analysant les mesures conjoncturelles prises par chacune d’elles.

1 – dépenses par pays consacrées à la Santé :

L’habituel ratio dépenses de Santé/PIB ne nous a pas semblé être un indicateur pertinent pour comparer les pays face à cette crise sanitaire. La France et l’Allemagne arrivent en effet en tête des pays étudiés avec un rapport (11,2) bien supérieur à la moyenne européenne (9,5). Mais ces deux nations, dont les ratios dépenses de Santé/PIB sont très proches, ont en fait des dépenses de Santé par habitant différentes, comme on le verra ci- dessous, en raison d’un PIB rapporté à la population plus important en Allemagne qu’en France.

Nous analyserons donc le ratio dépense de Santé (en dollars) par habitant. Avec cet indicateur bien plus réaliste, la courbe est inversée par rapport à la précédente.Il apparait en effet que les pays qui ont investi d’une manière conséquente dans la Santé ont moins de mortalité que les autres. Mais certains critères complémentaires sont à prendre en considération.

2 – nombre de lits hospitaliers :

Ceci concerne le nombre de lits hospitaliers tant publics que privés. On observe une courbe comparable à la courbe précédente des dépenses de Santé par habitant. Néanmoins deux remarques s’imposent :

– l’équipement en lits bien supérieur en France par rapport à l’Espagne ou l’Italie ne se traduit pas par la différence de mortalité escomptée sur ces deux pays.

– l’Allemagne possède en outre un parc de lits de soins intensifs bien supérieur aux 4 autres pays, avec un ratio approximatif de 3 à 4.

3 – nombre de médecins :

La courbe montre que l’Allemagne arrive de nouveau en tête. On constate cette fois que la mortalité en France est inférieure à celle constatée en Espagne ainsi qu’en Italie alors que ces deux derniers pays ont plus de praticien.

4 – nombre d’infirmiers :

La courbe observée montre un parallélisme net entre le nombre de personnel infirmier et la mortalité, avec des disparités importantes, puisqu’il existe à peu près deux fois plus d’infirmiers en France et en Allemagne qu’en Italie ou en Espagne.

5 – dépenses pour la recherche médicale (publique et privée) :

On ne retrouve pas d’élément permettant de comparer les budgets spécifiquement alloués à la recherche médicale dans les différents pays étudiés, mais les budgets engagés pour la recherche et le développement tous secteurs confondus en sont probablement un reflet.

A titre indicatif, en 2018 et selon l’OCDE, le budget recherche et développement (tous secteurs confondus) et le ratio de ce budget rapporté au PIB des cinq pays étudiés s’établit comme suit (voir tableau).

L’Allemagne se distingue ici encore très significativement par son investissement dans la recherche et le développement.

MESURES CONJONCTURELLES POUR LUTTER CONTRE
LA PANDEMIE DE COVID-19

Les mesures essentielles sont le dépistage de la population, les mesures de distanciation sociale et gestes barrière, et le confinement, l’adaptation des systèmes de Santé et la dépendance industrielle dans le domaine sanitaire.

L’analyse des réactions des différents pays avant la fin de la pandémie doit rester prudente et intégrer un paramètre non négligeable que constitue le décalage temporel dans la progression de l’épidémie selon les territoires. Ainsi, l’Allemagne, où les premiers décès sont survenus le plus tardivement, a pu anticiper de bonnes décisions en s’inspirant de la situation constatée en France et surtout en Italie.

• le dépistage de la population :

Seule l’Allemagne l’a pratiqué. Ceci a permis de détecter les personnes pauci-symptomatiques porteuses du virus, de rechercher les contacts, d’isoler rapidement les malades confirmés positifs, et de protéger les patients fragiles. C’est vraisemblablement la mesure la plus importante. Cette stratégie de large dépistage a d’ailleurs également été choisie par d’autres pays, comme par exemple la Corée du Sud, où nous avons observé un taux de mortalité faible.

• les gestes barrière, les mesures de distanciation sociale et le confinement :

Les cinq nations ont adopté ces mesures, mais l’Allemagne est certainement le pays qui les a prises le plus précocement. Il faut souligner qu’en Allemagne la mise en œuvre du confinement a été dévolue aux Länder, qui l’ont appliqué en fonction des situations locales, avec globalement des mesures moins strictes (pas de nécessité d’attestation dérogatoire de sortie par exemple).

Certains modes de vie, telle la distanciation familiale habituelle seniors / jeunes en Allemagne, expliquent peut-être aussi l’atteinte prédominante des jeunes, et donc la moindre mortalité, alors que la proportion de seniors y est plus importante que dans d’autres pays européens.

• l’adaptation des systèmes de Santé :

Elle a été nécessaire dans les cinq pays, mais mise en œuvre de manière plus précoce et plus intensive en Allemagne, où par exemple le nombre de lits de soins intensifs est passé très rapidement de 25 000 à 40 000, dont 30 000 équipés de respirateurs.

• la dépendance industrielle sanitaire :

La délocalisation de production de matériels médicaux (masques, respirateurs, accessoires de soins… ) et des principes actifs de nombreux médicaments (60 à 80% sont fabriqués hors UE, principalement en Chine et en Inde) ne sont pas sans poser de problèmes, notamment quand il s’agit des MITM (médicaments d’intérêt thérapeutique majeur), tant en terme de quantité comme on le vit actuellement, que de qualité, comme l’ont révélé de précédents scandales sanitaires (avec impossibilité de contrôler les sous-traitants multiples dans ces pays hors UE).

À ce titre, il faut souligner que deux entreprises allemandes produisent des respirateurs, et que leur production a pu être très rapidement doublée voire triplée. En France, seul Air-Liquide produisait des respirateurs. Il s’est associé du fait de la crise à PSA, Valeo et Schneider Electric pour augmenter sa capacité de production.

SYNTHESE ET ANALYSE

Notre étude laisse entrevoir un rapport entre la mortalité liée à la pandémie et les moyens mis en œuvre par les nations pour garantir un système de Santé performant, ce qui n’est finalement guère surprenant. Un pays moderne se doit donc d’investir dans son système de Santé afin de garantir à l’ensemble de sa population une protection de haut niveau, mais ce n’est certainement pas suffisant…

Car au-delà de cette « quasi-évidence », la différence de mortalité très importante entre l’Allemagne et la France, de l’ordre de 1 à 5, nous interpelle, et ce alors que la France investit de manière conséquente dans la Santé, et que la médecine française était considérée il y a une quinzaine d’années comme une des meilleures, voire la meilleure du monde.

Il est trop tôt pour pouvoir déterminer avec un argumentaire incontestable les raisons de cet écart si important, mais on peut déjà constater des différences importantes entre les deux systèmes de Santé.

L’Allemagne a su prendre depuis 30 ans des mesures pragmatiques et courageuses tout en imposant le respect de l’équilibre financier de son système de Santé, et ce malgré une population plus âgée et donc plus consommatrice de soins. Cette rigueur budgétaire n’a semble-t-il pas diminué l’accessibilité aux soins. Par ailleurs, les allemands sont un peu mieux remboursés que nous sur la part obligatoire, (84% versus 78%), les infirmières sont mieux payées qu’en France, (environ 20%), de même que les médecins, (environ 30%). Il est intéressant de rechercher plus en détail ce qui rend l’organisation du système de Santé allemand a priori plus performant que le nôtre.

Revenons plus particulièrement sur plusieurs éléments :

* la couverture maladie :

Les systèmes d’assurance maladie français et allemands sont tous deux assuranciels, financés par des cotisations et non par l’impôt comme c’est le cas au Royaume-Uni. Mais contrairement aux français, les allemands ont le libre choix entre de nombreuses caisses d’assurance maladie plus ou moins concurrentielles entre elles. A partir d’un certain revenu, les salariés allemands peuvent également opter pour une caisse privée, ce qui concerne environ 10% de la population. Il s’agit probablement d’un système plus dynamique et moins couteux qu’en France.

* les établissements de santé :

Depuis la réunification, l’Allemagne n’a pas hésité à mettre en concurrence les secteurs privés et publics pour tirer le meilleur parti du secteur privé. Nous citerons deux mesures essentielles totalement impensables en France :

– d’une part un alignement des tarifs de santé publics et privés,

– d’autre part une obligation pour les établissements de santé d’être financièrement équilibrés, au risque pour ceux qui ne le sont pas d’être fermés ou vendus.

* centralisation ou décentralisation ?

L’organisation fédérale de l’Allemagne, qui a délégué aux Länder et à des organismes paritaires la gestion de la Santé, au même titre que la police, l’environnement, l’éducation ou encore l’aide sociale, est-elle à l’origine d’une gestion plus efficiente et plus fluide ?

Schématiquement, on oppose un système français jacobin, centralisé, complexe, qui laisse aux ARS le soin d’en assurer la synthèse et d’en déployer l’organisation territoriale, à un système allemand décentralisé, beaucoup plus souple et fluide, avec des acteurs décisionnaires proches de leur population.

En Allemagne, en matière de Santé, le ministère a la charge de l’élaboration de lois assurant définition et régulation du système de Santé, alors que les Länder en assurent la gestion opérationnelle. Cette organisation fédérale pourrait faire craindre un retard des décisions gouvernementales. En début de pandémie, une polémique est d’ailleurs née à ce sujet en Allemagne (comme aux Etats-Unis) qui a conduit le Parlement allemand à voter rapidement une loi augmentant les compétences du ministre de la Santé en cas d’épidémie. Mais en fait, les contacts très fréquents entre la chancelière et les Présidents de région ont permis d’harmoniser rapidement les décisions essentielles, modulées ensuite en fonction de la situation réelle de chaque région. Au-delà même, une certaine concurrence entre les Länder s’est instaurée, chacun s’efforçant d’être le plus performant. Et in fine, cette organisation régionale s’est révélée plutôt bénéfique pour lutter contre la pandémie.

En France, de très nombreuses lois ont tenté de traiter de cette question de la décentralisation depuis une quarantaine d’années. La décentralisation est officiellement inscrite dans la Constitution depuis 2003. Mais force est de constater que malgré la volonté de certains, la France reste un des pays les plus centralisés d’Europe, ou une nation décentralisée de manière très peu efficace… Deux chiffres résument ce propos : la France est le pays qui détient le plus de collectivités territoriales au sein de l’Union Européenne, (36 670), c’est également le pays où le ratio dépenses administratives locales / PIB demeure parmi les plus faibles, (11,7% versus 15,8% pour la moyenne européenne et 20,8% pour l’Allemagne).

CONCLUSION

La pandémie de Covid-19 remet en question nos certitudes et les choix stratégiques en matière de Santé de chacun de nos pays européens.

L’Europe ne pourra faire l’impasse d’une réflexion sur les systèmes de Santé de ses états membres. Elle aura probablement à proposer des directives visant entre autres à fédérer des stratégies industrielles communes pour assurer au sens littéral sa « survie », et à mettre en place des leviers de solidarité entre ses états membres, solidarité dont certains ont ici déjà su faire preuve.

Les enjeux mondiaux d’une telle pandémie devront aussi être pris en compte, pour proposer une aide aux populations ne pouvant faire face à de tels drames sanitaires, notamment l’Afrique, et à certaines franges de population exclues (réfugiés, détenus…), si l’on veut en éviter de lourdes et durables conséquences. Enfin, et plus particulièrement au niveau hexagonal, cette crise sanitaire est l’opportunité de reprendre un débat sur une décentralisation réelle du pays, avec un État essentiellement législateur et en charge des questions régaliennes, alors que les Régions et les Collectivités territoriales auraient un rôle de gestionnaire opérationnel.

Cette organisation différente pourrait à notre avis être plus efficiente pour la population, mais aussi pour l’économie. Elle justifie bien évidemment un état centralisateur capable d’initier rapidement des mesures fortes, pour s’opposer comme dans le cas présent à la dissémination virale et prévenir le risque de faillites massives d’entreprises. Mais la modulation dans le déploiement de ces mesures gagnerait sans doute à être déléguée aux acteurs locaux connaissant parfaitement leur territoire.

Les exemples sont nombreux :

– les modalités du confinement auraient certainement pu être déclinées selon les régions, on a vu l’exemple de l’Allemagne où cette disposition n’a pas compromis les résultats.

– la pénurie de certains équipements, comme les masques et gels hydro-alcooliques, aurait probablement trouvé des réponses plus adaptées au niveau des régions, au plus proche des entreprises capables d’adapter ou modifier leur production.

– un dialogue de ces mêmes acteurs locaux avec les responsables d’établissements médico-sociaux, serait certainement plus efficace pour assurer le dépistage et la protection des personnes fragiles, dans les EHPAD par exemple. La problématique est similaire pour les entreprises qui vont avoir à instaurer des règles pour protéger leurs salariés.

– les modalités du déconfinement nous paraissent aussi devoir être gérées par les acteurs locaux. A une vingtaine de jours de la date prévue du déconfinement, on peut raisonnablement penser qu’au sein de plusieurs territoires, un certain nombre d’entreprises pourraient d’ores et déjà reprendre une activité, limitant ainsi les conséquences majeures de fermetures prolongées…

Cette liste n’est pas exhaustive, de nombreux autres exemples pourraient être pris en considération.

A l’instar de ce que l’on constate au sein de nombreuses nations européennes, il faudra donc se reposer la question d’une gestion réellement décentralisée au plus proche du terrain, et de son potentiel plus efficient pour le pays, tant pour les établissements de santé et médico-sociaux, que pour les entreprises.