« Les réponses apportées ne sont pas à la hauteur »

Samuel Cette

Samuel Cette, président de la CPME31 et de la CPME Occitanie.

L’État avec l’appui des collectivités a mis en place un plan de soutien de 45 Mds€ en plus d’un fonds de garantie bancaire de 300 Mds€ pour venir en aide aux entreprises affectées par la pandémie. Des mesures que Samuel Cette, président de la CPME31 et de la CPME Occitanie, juge insuffisantes. Interview.

Les mesures décrétées pour lutter contre la propagation du Covid-19 ont de très lourdes conséquences sur le tissu économique. Comment la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) fait-elle front ?

Un vent de panique s’est emparé de nos entrepreneurs et nous avons souhaité y répondre selon plusieurs axes. La première réponse a été de bien analyser la situation. Nous avons donc procédé à plusieurs sondages, le but étant de mesurer les difficultés dans lesquelles ils se trouvent et d’évaluer leur état d’esprit. Ensuite, nous avons contacté tous nos adhérents. Les membres du conseil d’administration comme les collaborateurs de la CPME ont appelé chacun d’eux pour apprécier leur situation. Notre troisième axe d’intervention est d’affirmer des positions syndicales fortes vis-à-vis notamment du plan d’urgence mis en œuvre par l’État et les collectivités territoriales. Enfin le dernier point, nous essayons de faire œuvre de pédagogie. Nous avons créé des webinaires (des séminaires en ligne, NDLR) pour expliquer les démarches à accomplir pour en bénéficier et les actions mises en œuvre au sein de notre organisation. À noter que dans cette situation très grave, nous recevons aussi bien nos adhérents que ceux qui ne le sont pas.

Et bien entendu, ce qui se pratique en Haute-Garonne se pratique également dans toute l’Occitanie : le 31 met à disposition des autres départements l’ensemble de ses ressources.

Vous parlez d’un vent de panique. Comment expliquez-vous ce sentiment ?

De fait, il y a un paradoxe terrible. D’une part, on ne peut pas contester qu’au plus haut sommet de l’État, tout le monde a compris l’urgence. Mais d’autre part, les réponses qui sont apportées sont a minima désolantes, sinon insultantes.

Lorsqu’on octroie une aide de 1 500 € à une entreprise de moins de 10 salariés, il suffit de regarder la valeur ajoutée moyenne de ces entreprises, pour comprendre qu’elles ont des charges suffisamment importantes et considérer que cela ne représente qu’une obole. Selon le décret, soit votre entreprise est concernée par les arrêtés de fermeture des 14, 15 et 16 mars, auquel cas, forfaitairement vous percevrez 1 500 €, soit votre entreprise accuse – à la condition qu’elle réalise moins d’1 M€ de chiffre d’affaires et qu’elle emploie moins de 10 salariés – une baisse d’activité de 70 %, auquel cas vous pourrez également bénéficier de 1 500 €.

Eh bien ! quand une entreprise réalise 1 M€ de CA et qu’elle en perd 70 %, elle est moribonde, et ces 1 500 € ne changeront strictement rien. En revanche, l’État considère que si l’entreprise enregistre une baisse de -30 %, -40 % ou -60 %, tout va bien, elle gère…

Prenons l’exemple d’une entreprise de moins de 10 salariés, qui a, en moyenne, une masse salariale de 15 000 à 20 000 €, et qu’on y ajoute l’intégralité de ses charges, cette entreprise, si elle bénéficie du chômage partiel, va devoir avancer les salaires pour être remboursée un mois après… Et on prétend qu’elle sera sauvée en lui donnant 1 500 € ? Encore une fois, c’est une obole.

Le président de la République a parlé de « guerre ». Or je constate un écart important entre ce qu’il a annoncé et ce que mettent en œuvre les directions ministérielles. Qui dirige ? Qui avons-nous élu ? Un président de la République ou ces administrations ? Je trouve ça parfaitement inadapté.

Que va-t-il se passer selon vous ?

Ce qui va se passer, c’est une explosion en vol de toute une partie de notre tissu économique. Je rappelle que 93 % des entreprises ont moins de 10 salariés. Que viendra-t-on nous dire après ? Qu’on a du mal à repartir, qu’on va perdre beaucoup de PIB ? Le président de la République a employé des termes qui ne sont pas anodins : « quoi qu’il en coûte ». Ce sont des mots empruntés à Mario Draghi, ancien président de la BCE, qui, en 2012, avait fait marcher la planche à billet et avait eu cette phrase « whatever it takes » : quoi qu’il en coûte on sauvera le système. Et ce quoi qu’il en coûte devient 1 500 € accordés sous des conditions drastiques à des petits patrons… On se moque du monde.

Et ce n’est pas tout. Les auto-entrepreneurs pourront en effet eux aussi en bénéficier. Soit. Seulement en moyenne, ils déclarent 400 € de rémunération par mois. Ils vont percevoir ainsi quatre mois de rémunération qui vont tomber du ciel, sinon de nos poches… Il y a un problème de calibrage en réalité, et dans le quantum et dans les attributaires.

La Région vient en support et ajoute 2 000 € de plus pour ceux qui ont pâti d’une baisse d’activité de 40 %. Mais c’est pareil. On ne parle pas là de patrons qui vont payer la mensualité de leur Maserati, mais de patrons qui se demandent comment ils vont faire face pour payer les loyers.

Sur ce point aussi, le président de la République a fait des annonces…

Oui, on nous dit : « vous pouvez reporter vos loyers ». Mais comment ? Tous les bailleurs ne sont pas des foncières puissantes et cotées en Bourse. La plupart du temps, ce sont des patrons pour qui ces loyers constituent leurs retraites. On offre avec l’argent des autres ! J’ai été pendant six ans juge au tribunal de commerce et là, la notion d’interdépendance économique est centrale dans les moments de difficulté. Si vous déshabillez l’un pour habiller l’autre, vous aurez la mort des deux, c’est évident.

En fait, je suis horrifié par la méconnaissance du milieu de l’entreprise. Il y a des gens de très grande qualité à la tête de la Direccte, de la DRFiP, de l’Urssaf, etc. Ce sont des gens très réactifs qui comprennent ce qu’est l’entreprise. Mais au-delà de ça, au sommet de l’Etat, il y a une inculture crasse en matière économique qui nous met en danger de mort.

Que pensez-vous du fonds de garantie bancaire annoncé par le gouvernement ?

Nous considérons à la CPME qu’il faut se concentrer sur ces prêts garantis à hauteur de 90 % par l’État. C’est le seul moyen de s’en sortir en réalité, puisque cela permettra de débloquer des fonds pour des montants sensiblement supérieurs et donc aux entreprises de passer ce moment difficile jusqu’à la reprise. Pour les 10 % restant, les entrepreneurs devront les garantir à titre personnel et donc fournir des documents qu’ils ne sont pas actuellement en mesure d’établir, ce qui va rallonger les délais. Il semble, selon certaines sources, mais ce n’est pas clairement dit, qu’aucune garantie complémentaire ne devra être demandée. Les banques vont-elles prendre à leur charge ces 10 % de risque si elles considèrent que l’entreprise est dans une situation saine ? Il y a une inquiétude sur ce point.

Cela dit, pour nous, la solution pour les petites entreprises pour passer ce cap, c’est l’endettement, à condition que la banque facture à prix coûtant et que le taux d’intérêt de Bpifrance reste relativement modéré, au moins pour la première année, autour de 0,25 %, puis 0,5 % sur les deux années qui suivent et, semble-t-il, 1 % pour les troisièmes, quatrièmes et cinquièmes années.

Vous avez employé une formule choc dans un communiqué que vous avez publié le 23 mars : « plutôt le tribunal de commerce que le tribunal correctionnel » par laquelle vous dénonciez les injonctions contradictoires envoyées par le gouvernement . À savoir : « restez chez vous » et en même temps « allez travailler ». Pouvez-vous expliquer votre position ?

Nous considérons que nos collaborateurs sont la principale valeur ajoutée de nos entreprises. C’est dans les moments les plus critiques qu’il est important de le rappeler. Il est aussi important dans de telles situations que l’on puisse avoir confiance en notre gouvernement. Si à juste titre, il réclame l’unité, lui nous doit de la transparence. Or, nous dire que nous n’avons pas besoin de masque ou de protection, alors qu’on sait tous que c’est central, c’est difficilement acceptable.

Nos patrons ont une visibilité, au-delà du confinement, à six mois, un an, 10 ans, et ils ne vont pas sacrifier ce qu’ils ont de plus cher pour dans quelques mois se le voir reprocher ou avoir mis par terre des années de confiance. Et je trouve particulièrement déplacé qu’un ministre nous adresse ce type d’injonction alors même que ce gouvernement a commis un certain nombre de fautes qui ne nous permettent pas d’assurer la sécurité de nos employés.

Dans ce cas, comprenez-vous la volonté de certains chefs d’entreprise, du secteur aéronautique notamment, de reprendre leur activité pour répondre aux besoins de leur donneur d’ordre, Airbus qui a relancé ses usines ?

Je le comprends parfaitement dans la mesure où ils ont des moyens qui leur permettent largement d’assurer la sécurité de leurs salariés. Je m’en félicite. Ils reprennent parce qu’ils sont en capacité d’assurer la sécurité de leurs collaborateurs.

Nous ne sommes pas suicidaires, nous n’avons pas pour projet de détruire nos propres entreprises. Je constate simplement que ce virus est suffisamment grave pour qu’on nous contraigne au confinement. En conséquence, si j’envoie mes collaborateurs travailler, il faut que je puisse leur apporter la sécurité. C’est le droit du travail, la responsabilité du chef d’entreprise mais c’est avant tout une question de logique et de préservation des siens, tout simplement.

Pour conclure, qu’attendez- vous des pouvoirs publics dans cette crise ?

Nous avons bien compris que ce n’est pas avec 1 500 € que nous allons nous en sortir. Nous sommes donc concentrés sur l’obtention des prêts de trésorerie. Mais il va y avoir une casse terrible. Pour ce qui nous concerne, nous répondons présents et sommes à l’écoute de nos entreprises.