Les Offices de tourisme de toute la France célébraient leur centenaire à Reims. L’occasion de faire un état des lieux des enjeux auxquels est confrontée la profession.
La Fédération des Offices de tourisme, qui compte aujourd’hui un peu plus de 1 100 structures pour environ 10 000 salariés, vit une profonde mutation de son activité. En cause notamment, l’ouverture du marché du tourisme au plus grand nombre avec les trajets à bas coûts ainsi que l’explosion des sites internet et blogs de voyage. « Je n’aime pas le terme de tourisme de masse », insiste Christian Mourisard, président des Offices de tourisme de France. « Il faut d’avantage encadrer certaines pratiques. Le tourisme c’est de l’économie certes, mais qu’il faut pratiquer dans une démarche de qualité, avec des valeurs de partage et de générosité.»
RESPECT DES VILLES ET DES SITES
L’attention se porte en effet sur la sur-fréquentation de certaines villes ou sites, qui dégrade de facto les territoires, que cela soit en qualité de vie ou même la qualité des sites eux-mêmes. On le voit par exemple dans des grandes villes comme Paris, avec l’explosion des logements de tourisme de type AirBnB, Barcelone ou encore Venise, qui se vident de leurs habitants pour ne devenir que des vitrines commerciales. Les collectivités prennent à bras le corps ce problème.
À Venise, face à l’ire de ses habitants, des mesures sont en réflexion comme des bornes d’entrées payantes dans certains secteurs de la ville ou l’encadrement très strict des dates et disponibilités des locations saisonnières. C’est pour cela que les offices de tourisme tiennent à travailler en collaboration étroite avec les collectivités. À Reims par exemple, si la fréquentation touristique a augmenté de 12 % entre 2018 et 2019 avec plus d’1,1 million de visiteurs à la cathédrale, il n’en reste pas moins que la Ville et le Grand Reims gardent à l’esprit l’importance du concept de « tourisme durable ».
ACCOMPAGNER LE VISITEUR GRÂCE À DE NOMBREUX SERVICES
Aujourd’hui, l’accompagnement des visiteurs n’est plus l’unique mission des Offices, ils travaillent main dans la main avec les collectivités dans le déploiement de stratégies marketing. Exit l’image désuète du syndicat d’initiative et de ses prospectus, les offices de tourisme se modernisent à grand renfort de campagne marketing, outils digitaux et nouveaux services. La clé est aujourd’hui de personnaliser les visites, au plus près de l’attente du visiteur et du voyageur par des propositions ciblées (lire ci- dessous).
Par ailleurs, les Offices de tourisme associent les habitants, en souhaitant en faire « des ambassadeurs » du territoire. « Les ambassadeurs sont à la fois des habitants et des acteurs économiques, des chefs d’entreprise qui peuvent se retrouver en réseau, comme par exemple Invest’in Reims », indique PhilippeVerger, le responsable de l’office de tourisme du grand Reims. « Cela peut être aussi des leaders d’opinion, des ambassadeurs du territoire à l’étranger car ils représentent une certaine identité, comme Arnaud Lallement en cuisine ou Pauline Ferrand Prévot en sport. Enfin, il y a les habitants qui portent une fierté civique qui peuvent être regroupés au sein d’actions portées par l’Office de tourisme ou la collectivité en proposant des actions type, comme Only Lyon. Ils récupèrent une carte ambassadeur qui donne certains avantages, des entrées dans les musées, dans certains établissements sous réserve d’être accompagnés par des personnes extérieures au territoire. »
ANTICIPER LES CHANGEMENTS
Le monde du tourisme se réinvente donc pour s’adapter aux mutations de la société. « On s’oblige à penser nos Offices de tourisme du futur, avec une réflexion sur l ‘ADN du changement. Dans le monde du tourisme ça bouge énormément, on en a le triste exemple avec la faillite de Thomas Cook. Il faut pouvoir s’adapter, anticiper et se pro- jeter comme les acteurs de terrains et animateurs de territoire que nous sommes », insiste Phillipe Verger.
TOURISME ET ÉMOTIONS, L’EXPÉRIENCE AUTORISÉE
Dans un tourisme en pleine transformation technologique, l’humain est plus que jamais placé au cœur de l’expérience et du voyage : c’était le thème de la première séquence inspirante du congrès national des Offices de tourisme 2019.
Pour Guillaume Colombo, directeur de la société GVB, stratégie de rayonnement, culture et tourisme, le voyage doit revenir aux fondamentaux : la connexion avec l’inconnu et avec les inconnus.
CAPITALISER SUR LES RETOURS CLIENTS
Ce lien, c’est celui des émotions. « Raccrocher les émotions avec les voyageurs et les touristes est essentiel. Aujourd’hui, 8 motivations sur 10 sont liées à l’émotionnel », précise-t-il. Que les émotions soient positives ou négatives, elles sont vecteurs de sens. Les entreprises touristiques doivent, plus que jamais, capitaliser sur les retours clients, notamment sur les réseaux sociaux. Désormais, avec l’instantanéité de l’expression sur internet, il n’y a plus de rupture dans la chaîne émotionnelle. Des entreprises travaillent aujourd’hui à des solutions d’appréhension de ces signaux pour progresser dans la qualité des prestations touristiques proposées par les offices de tourisme, à l’instar de la start-up troyenne Q’Emotion. Cette plateforme digitale collecte les avis des consommateurs sur internet pour générer un quotient émotionnel, qui devient vecteur de ressenti et cible expérientielle pointue.
PROVOQUER LES ÉMOTIONS
Au-delà des ressentis a posteriori, le tourisme d’aujourd’hui est à la recherche de nouvelles façons de générer les émotions chez les voyageurs pendant leurs expériences. Les stratégies d’accueil font de plus en plus appel aux cinq sens pour toucher émotionnellement les prospects, avec une faveur portée à l’olfactif. Ainsi, la commune de Shawinigan au Québec a entrepris de travailler sur la signature olfactive de cette destination et inspire la France. Une start-up canadienne, Stimulation Déjà-Vu, a fait de la création d’odeur sa spécialité, et spécifiquement dans le domaine du tourisme, afin de créer une émotion et même des souvenirs. « Créer cette identité olfactive, c’est générer une expérience consciente et affichée de projection dans l’intimité d’un territoire et de l’expérience touristique sur ce territoire », explique Audrey Bernard, créatrice de Stimulation Déjà-Vu. Joie, peur, tristesse ou colère : chacune des émotions humaines peut teinter une stratégie touristique, de manière collective et fédératrice. Le champ des possibles reste ouvert pour les Offices de tourisme français : mais prendre en compte les émotions, dès les débuts d’un projet, c’est s’assurer de susciter chez les voyageurs une qualité expérientielle toujours plus proche d’eux.
A.C.