Du 2 au 5 juin, plus de 3000 notaires français et internationaux se réuniront à Bruxelles pour un congrès placé sous le signe du droit international privé. À l’heure de la compétition mondiale entre les systèmes économiques, politiques et juridiques, la profession montre sa capacité d’adaptation à un monde en pleine mutation. Le point avec Maître Marc Cagniart, notaire à Paris et président du 115e congrès des notaires de France.
Pour la première fois, le congrès des notaires de France se déroule en dehors du territoire national. Est- ce un pas de plus de la profession vers l’ouverture à l’international ?
En effet, c’est historique, puisque le premier congrès des notaires s’est tenu en 1891 ! Dans chaque domaine, le monde évolue et notamment, la matière du droit international privé, de plus en plus présente dans nos dossiers. D’où la nécessité de proposer un congrès faisant le tour du sujet dans la pratique notariale. Symboliquement, c’est aussi une belle image d’être le premier des congrès à se tenir en dehors de l’Hexagone, puisque Bruxelles est la source de notre droit international privé, et c’est de cette capitale que nous viennent les règlements européens sur les successions, les régimes matrimoniaux, etc. Il est certain que les notaires auront des propositions à l’attention des institutions européennes, alors autant se réunir à l’endroit où se situe la source de notre droit.
Vous évoquiez l’internationalisation de la profession, comment la pratique notariale s’adapte-t-elle aux évolutions des modes de vie ?
L’effet frontière existe bel et bien mais plus vraiment dans la vie concrète. Néanmoins, il en résulte des conséquences juridiques auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés. On compte aujourd’hui plus de deux millions de Français expatriés à l’étranger, un chiffre qui a bondi de 28 % en dix ans. Dans nos dossiers, il y a presque systématiquement un élément d’extranéité : que ce soit un vendeur ou un acquéreur non-résident, ou encore des situations familiales avec quantité d’éléments d’extranéité, quant aux régimes matrimoniaux, aux lois applicables à la succession ou encore à la dispersion du patrimoine dans plusieurs pays. On ne peut donc plus uniquement appliquer la loi française. Il y a véritablement une réflexion et une analyse à mener pour appliquer correctement les règles de droit international privé : c’est l’un de nos rôles.
Mais aussi un besoin de formation ?
Le besoin de formation résulte d’un constat très simple : le droit international privé – tel que nous avons pu l’apprendre dans les universités il y a 15 ans – est un droit jurisprudentiel français et aujourd’hui nous appliquons un droit écrit européen. Nous nous formons sur le tas du fait de l’obligation d’appliquer cette matière, mais ce n’est pas propre aux notaires français. C’est notamment le cas du règlement sur les successions que nous devons appliquer mais c’est aussi le cas des notaires de l’Union européenne. À l’occasion du congrès, nous allons donc confronter les pratiques.
Parleriez-vous d’une harmonisation du droit en Europe ?
En effet, les règlements européens permettent une règle de conflit identique entre tous les pays de l’Union européenne. C’est pour cela que l’enjeu du congrès est « L’international : qualifier, rattacher, authentifier ». Nous devons respecter les cultures juridiques de tous les pays de l’Union. Les articulations entre les différents systèmes ont été facilitées et rendues homogènes dans l’Union européenne et le règlement nous aide à appliquer la loi. Le notaire va donc potentiellement appliquer des lois étrangères. Prenons un exemple : si un Allemand prend sa retraite à Paris, mais en ayant laissé des dispositions en Allemagne, dans lesquelles il désigne la loi allemande comme applicable à sa succession, en tant que notaire français, nous autorisons la succession avec la loi allemande. Se parler entre notariats est indispensable pour permettre l’application convenable des règlements et des lois étrangères.
Cela rend-il le travail du notaire plus complexe ?
Nous l’avons évoqué, le congrès permet de créer des réseaux et d’identifier des correspondants. Mais, la complexité réside dans la masse de dossiers avec un élément d’extranéité et la multiplication des cas dans lesquels nous devons appliquer les règlements européens.
La ministre de la Justice Nicole Belloubet interviendra lundi 3 juin lors de la séance solennelle d’ouverture. Qu’attendez-vous de son intervention ?
En ouverture, nous proposons toujours un temps d’actualité, avec un dialogue entre le président du Conseil supérieur du notariat – Jean-François Humbert – et la garde des Sceaux. Cet échange porte sur des sujets professionnels : l’autorité de la concurrence, la loi de croissance, etc. Je pense que Nicole Belloubet interviendra également sur une proposition faite le lundi après-midi par la première commission, sur la question de la codification du droit international privé français. Aujourd’hui, quand la profession se pose une question sur le droit international privé français, tout est dispersé ! C’est comme si on entrait dans une bibliothèque sans aucun classement ! Les praticiens – qu’ils soient notaires, avocats ou magistrats –, peuvent être désorientés quant à la hiérarchie des normes. Vu de l’étranger, notre droit est illisible ! Et ce n’est ni compétitif ni attractif. Nous proposons donc un code de droit international privé, comme c’est le cas en Belgique. Nous avions déjà fait cette proposition lors du congrès de 2015 mais aujourd’hui il semblerait qu’il y ait une forte volonté politique. Nous ne pouvons que nous réjouir de cet élan national car en termes d’attractivité et de sécurité pour les citoyens, nous aurons fait un grand pas, signe d’une vraie simplification.
Qu’en est-il de la digitalisation ? Les notaires sont-ils dans l’ère du temps ?
Il suffit de venir dans un office notarial pour voir que le digital fait partie de notre quotidien ! Les actes papiers sont marginaux et nous échangeons avec les confrères et les clients via des data rooms électroniques. La signature électronique est une réalité. La profession est même en avance par rapport aux autres professionnels du droit !
Comment définiriez-vous la profession de notaire, ce juriste de proximité auquel les Français sont attachés ?
Le notaire est au carrefour des intérêts privés de ses clients, il est là pour conseiller, orienter et éviter de prendre des risques juridiques. Étant au carrefour des intérêts de l’État, qui est notre autorité de tutelle, nous avons bien entendu une obligation de loyauté, à la jonction des intérêts de la nation et de nos clients.
Propos recueillis par Amandine Pinot, La Gazette Nord-Pas-de-Calais pour RésoHebdoEco.