Voilà quatre ans que ce trentenaire a repris la librairie du Mau à Châlons-en-Champagne. Il livre son parcours, ses coups de cœur littéraires et les coulisses de la vie d’une librairie.
Si Yannick Guerin a toujours été accompagné de nombreux ouvrages, rien ne le destinait pourtant à être un jour, à la tête d’une librairie. Enfant, il se rêvait plus dans les grands espaces américains que dans une salle de classe. C’est pourquoi, peu enthousiasmé par les
études, il se laisse diriger vers un bac pro équipements et installations électriques puis passe un BTS électrotechnique. Se servant des connaissances acquises et étant plus à l’aise dans l’action, il décide de se frotter très tôt au marché du travail, à l’âge de 21 ans, dans le commerce de distribution de matériel électrique. « J’ai commencé à travailler pour CGE distribution (CGED) à Saint-Martin-sur-le-Pré, en commençant comme vendeur, puis j’ai évolué comme commercial en charge d’un portefeuille clients. J’ai beaucoup appris sur le tas, car j’ai été bien formé et bien accompagné. Les choses que j’ai apprises là-bas, je m’en sers encore aujourd’hui », souligne Yannick Guerin. Le jeune homme prend goût à cette vie de commercial, faite de challenges et de rencontres, même si ce n’est pas toujours évident : « On reçoit des refus et lorsque l’on travaille avec une clientèle de professionnels du bâtiment notamment, les retours sont plutôt cash. Mais c’est bien, ça apprend aussi à se blinder. »
DE VENDEUR EN ÉLECTRONIQUE AUX ÉQUIPEMENTS SPORTIFS
Au bout de six années, Yannick Guerin se voit offrir l’opportunité de s’impliquer dans l’entreprise spécialisée dans les équipements sportifs « Lepape ». « J’étais vendeur dans le concept store des Champs-Élysées. C’était une toute autre ambiance. Là j’avais affaire à une clientèle de CSP+, des stars du monde du sport, des grands chefs d’entreprise… et je devais opérer une méthodologie complétement différente. » Ce monde du sport, Yannick Guerin s’y sent complètement à son aise puisqu’il est en parallèle joueur semi-professionnel de rugby. « Forcément, les clients voient quand vous vous y connaissez. Après avoir été directeur adjoint de la boutique, j’ai supervisé l’ouverture d’un nouveau concept store, à Lyon, sur la presqu’île. » Là, le travail est considérable. Il faut monter la nouvelle structure, embaucher, former les vendeurs et les collaborateurs. L’aventure est intense. Presque trop pour le jeune homme qui termine l’année d’ouverture et celle qui la suit, « lessivé ». « La pression était immense car on travaillait avec de très gros chiffres d’affaires et donc d’objectifs et de résultats. Et comme je suis passionné et très impliqué dans tout ce que je fais, à un moment donné, j’ai eu besoin de me retrouver. »
DE LA “NATURE WRITING” AUX MANGAS…
C’est pourquoi Yannick Guerin retourne à ses racines, à Châlons auprès de sa famille et de ses amis afin de déterminer quel sens il veut désormais donner à sa vie professionnelle. Et puis la passion des livres reprend le dessus. Cet amoureux de la mouvance littéraire « nature writing », née aux États-Unis et traitant des grands espaces et de la nature comme personnage à part entière se voit bien évoluer au sein d’une librairie, entouré de ses auteurs favoris, David Vann, Richard Wagamese ou encore Jack London. C’est pourquoi, il décide de reprendre le chemin des cours et de faire une formation d’une année, spécialisée dans le commerce en milieu culturel, le CFCL, à Reims, seule formation de ce type en France. « Je me suis dit qu’il fallait que j’obtienne un diplôme spécialisé pour entrer dans le milieu du livre, un peu intimidé sans doute par mon parcours. Finalement, dans la promotion, nous nous sommes retrouvés avec des profils de tous âges et tous horizons. »
Au terme de la formation, le jeune homme entame un stage à la librairie du Mau à Châlons, établissement ayant pignon sur rue, place de la République. L’expérience y est tellement concluante, qu’il est engagé immédiatement. « J’ai commencé comme réceptionneur, on ne s’en doute pas mais c’est un travail d’envergure dans une librairie de cette taille. » Quelques mois plus tard, la directrice part et propose son nom à la direction générale du groupe Albin-Michel dont dépend la structure. C’est ainsi qu’il devient directeur en 2018 d’une surface de vente de 550 mètres carrés et de 9 salariés.
Une de ses premières décisions a été de réinstaurer une cohésion d’équipe en donnant à chacun des responsabilités bien déterminées. « Chaque libraire est responsable de son rayon, de sa mise en place, des commandes mais aussi des conseils. Chacun a donc une spécificité selon sa sensibilité et ça, c’est très important », confie celui qui avoue aujourd’hui pratiquer « un management participatif et non pas directif ». L’objectif principal est aussi de créer « un lieu chaleureux et de proximité, où lorsqu’on voit régulièrement un client, on finit par l’appeler par son prénom ». La librairie du Mau se distingue aussi par son grand rayon BD et jeunesse, deux secteurs qui ne désemplissent pas.
Ainsi, la librairie « se porte plutôt bien », même si, comme tous les autres commerces, elle a été fortement touchée par la crise du Covid. « Fermer pendant deux mois a inévitablement fait plonger nos ventes. On a fait un mois à zéro, et puis 15 jours avant le déconfinement, nous avons mis en place un drive qui a très bien fonctionné. Les gens venaient s’aérer un peu l’esprit et aussi, nous avons constaté un phénomène assez nouveau, celui de compléter des collections, comme celle des Tintin par exemple ! »
Depuis la réouverture, le trafic est en revanche fortement à la hausse, avec 250 clients par jour en moyenne. La Ville a aussi participé à ce retour des Châlonnais dans leurs commerces, grâce à la mise en place de chèques dits « de relance » soit 25€ pour un achat de 20€ et 10€ pour un achat de 8€. « Ça a très bien marché », confie Yannick Guerin. Il faut dire que la période estivale est propice aux achats de livres. « On est dans la lecture plaisir, légère, sur les plages », indique le libraire montrant tout le rayon d’ouvrages en tête des ventes. Et si le mois d’août est traditionnellement plus calme, de septembre à décembre, c’est la période où se concentre le plus gros du chiffre d’affaires avec la rentrée littéraire et les achats de Noël. « Si on conserve ce rythme et que le Covid ne nécessite pas un reconfinement, ce qui serait une catastrophe pour nos métiers, je pressens une bonne fin d’année », se veut optimiste, Yannick Guerin.
