Les investisseurs s’intéressent bel et bien aux indices RSE.

Par Luc Paugam, professeur associé, comptabilité et contrôle de gestion, à HEC Paris Business School, Hervé Stolowy, professeur, comptabilité et contrôle de gestion à HEC Paris Business School et Rodolphe Durand, professeur stratégie et politique d’entreprise à HEC Paris Business School.

De nombreuses entreprises investissent des ressources colossales pour améliorer la notoriété de leurs activités de responsabilité sociale et maximiser leurs chances d’intégrer des indices de durabilité reconnus. Selon un article de la Harvard Business Review du 31 janvier 2018, 92 % des 250 plus grandes compagnies du monde ont produit un rapport de Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) en 2015, contre 64 % en 2005. Les sociétés figurant dans le classement de Fortune Global 500 dépensent près de 20 Mds $ par an en activités de RSE.

En tant que membres d’une équipe interdisciplinaire (le Centre S&O à HEC Paris) qui s’intéresse à la stratégie organisationnelle et à la communication des entreprises, nous pensons qu’il est important pour les entreprises de comprendre les implications financières d’un modèle commercial viable afin d’atteindre leurs objectifs de durabilité.

Se pose une question cruciale qui relève aussi bien de la stratégie que de la finance dans ce domaine : la responsabilité sociale des entreprises est-elle payante pour ces dernières ? Au cours de notre étude « Do investors actually value sustainability indices ? » (Les investisseurs attachent-ils de l’importance aux indices de durabilité ?), nous nous sommes posés cette question en ciblant plus particulièrement le Dow Jones Sustainability World Index (DJSI), le classement de durabilité international le plus connu.

IMPACT MINIME SUR LE PRIX DES ACTIONS

Chaque année, le DJSI propose un classement des « meilleurs élèves » sélectionnés parmi un groupe de sociétés performantes en matière de durabilité économique, environnementale et sociale. Il évalue des critères allant de la gouvernance d’entreprise aux pratiques professionnelles, en passant par l’atténuation du changement climatique et les normes des chaînes d’approvisionnement.

La composition de l’indice évolue d’une année sur l’autre ; des entreprises sont intégrées, d’autres exclues, et certaines conservent leur place au classement. Les recherches réalisées par le passé ont révélé que l’intégration, le maintien ou l’exclusion d’une entreprise du DJSI n’ont qu’un impact minime sur le prix de ses actions et le volume d’échanges d’actions, par rapport aux autres entreprises de la même industrie à la rentabilité similaire.

Nos travaux ont confirmé cette théorie, mais nous avons poussé l’enquête un peu plus loin. Nous avons cherché à évaluer l’effet du DJSI sur la notoriété d’une compagnie auprès des analystes financiers et sur le pourcentage d’actions détenues par des investisseurs à long terme. Pour cela, nous avons comparé des entreprises membres du DJSI à d’autres sociétés affichant de fortes performances de RSE, mais non classées au Dow Jones Index. Notre « groupe de contrôle » se composait d’entreprises présentant un faible écart de performances de RSE par rapport à celles du DJSI. Nous les avons définies en nous servant des critères employés par le DJSI.

ATTIRER L’ATTENTION DES ACTEURS CLÉS

Examiner les effets de la notoriété de la RSE est crucial. Pourquoi ? D’abord à cause de la quantité de ressources que les entreprises dédient à ces activités. Par exemple, de plus en plus de sociétés mettent en place des systèmes d’informations permettant de créer des rapports de RSE, ou payent des assureurs externes, experts en RSE, pour réaliser des audits. Les évaluateurs de RSE utilisent ces données pour estimer les activités de RSE des entreprises. Il est donc naturel de se demander si investir de telles quantités de ressources pour s’assurer une place dans les classements de durabilité a un véritable impact positif sur le marché, outre les bénéfices intrinsèques de l’activisme de la RSE.

Ensuite, le nombre et l’importance des indices de durabilité ont radicalement augmenté au fil du temps. Il semble donc nécessaire d’effectuer un examen empirique des effets que peut avoir le classement d’une entreprise au sein de ces référentiels.

Nous avons découvert que l’intégration ou le maintien dans le DJSI attire davantage l’attention des analystes financiers. Les articles rédigés sur ces compagnies sont plus nombreux. On constate aussi une augmentation du pourcentage d’actions détenues par des investisseurs à long terme. Cette tendance semble indiquer que les investisseurs professionnels prêtent de plus en plus d’attention aux sociétés connues pour être performantes en RSE. Par conséquent, les entreprises peuvent tirer un avantage concret de leurs activités de RSE, et plus particulièrement de leur classement au DJSI.

AUGMENTER L’IMPORTANCE DES INDICATEURS

L’influence des indicateurs de durabilité n’a peut-être pas encore atteint son plein potentiel, mais face aux nombreux défis climatiques et à la pression croissante des exigences de la société civile, leur impact ne peut qu’augmenter avec le temps.

Les sondages des analystes financiers, par exemple, indiquent que les performances en RSE sont en train de devenir un facteur plus important dans les décisions d’investissement. D’après le CFA Institute, 78 % des analystes prenaient en compte en 2017 les performances environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) lors de décisions liées à l’investissement.

Ce domaine est de toute évidence en cours d’évolution et nous pensons qu’il sera nécessaire d’approfondir ces recherches dans une décennie, afin d’observer si les tendances dévoilées dans cette étude sont devenues la norme. Dans tous les cas, notre enquête permet d’établir une compréhension plus exhaustive de l’attrait de la RSE, de sa notoriété, et de l’importance des classements de durabilité dans la stratégie organisationnelle et l’investissement.

Article paru le 23 août 2020 sur le site theconversation.com