Les huissiers de justice font le constat de la reprise

Christine Valès, huissier de justice à Toulouse et membre du bureau de la chambre nationale.

Les huissiers de justice développent Legalpreuve.fr, une offre de service pour sécuriser la reprise d’activité au sein des entreprises. Les explications de Christine Valès, huissier de justice à Toulouse et membre du bureau de la chambre nationale.

Comment les huissiers de justice ont-ils vécu cette période de confinement ?

Les huissiers de justice ont, dès le début de la crise sanitaire, répondu à leurs obligations d’officier public et ministériel en respectant toutes les mesures barrières. Ils ont assuré le service public de la Justice chaque fois qu’on le leur demandait. La chambre nationale a même élaboré, pour les 3 200 huissiers de justice de France, des modalités de signification « sans contact » de manière à satisfaire tous les cas de figure. Dans le ressort de la cour d’appel de Toulouse, la chambre régionale et les chambres départementales ont également mis en place un tour de rôle d’huissier de justice afin de répondre aux demandes des tribunaux et d’assurer la signification des actes notamment pénaux. Il n’y a donc eu aucune rupture dans la chaîne de signification, s’agissant notamment des contentieux maintenus tels que les violences familiales, les conflits de voisinage, etc.

S’agissant de l’activité de recouvrement, les organismes institutionnels et les services de contentieux ont souhaité un arrêt total de l’exécution, privilégiant les démarches amiables. Il n’y a pas eu de procédure de recouvrement de loyers impayés et d’expulsion non plus.

Pour ce qui est des constats d’affichage des permis de construire, ils ont été maintenus au début du confinement pour les chantiers déjà engagés pour permettre le recours des tiers. Mais l’arrêt de l’activité de construction a certainement ralenti l’affichage des permis.

En revanche, nous avons été sollicités pour établir des constats dans les grandes surfaces et les commerces alimentaires. C’est ce qui nous a amenés, au sein de la chambre nationale, à réfléchir à l’élaboration d’un constat de reprise d’activité plus étendu, dans le prolongement du plan de déconfinement.

En quoi l’offre nouvelle, déployée via le site Legal-preuve.fr, est-elle différente ?

Il s’agit d’aider les entreprises dans leur reprise d’activité en contribuant à rassurer les clients et les salariés en leur permettant de faire réaliser un constat dédié (le constat d’huissier de justice règles sanitaires Covid-19 de reprise d’activité) et d’afficher une signature visuelle de ce constat dans leurs lieux d’activité. Ce service comprend avant toute chose une mission de conseil, sachant qu’avec la publication par le ministère du Travail des fiches métiers et des guides de bonnes pratiques, les entreprises ont anticipé la mise en œuvre de nombreuses directives. Ce constat de reprise est donc un constat de vérification de la mise en conformité sanitaire. Dans cette optique, l’huissier de justice suit, pour l’établissement du constat, un protocole élaboré par la chambre nationale afin qu’il puisse vérifier que l’entreprise a correctement rempli toutes ses obligations.

Ce constat peut être communiqué à tout tiers qui en ferait la demande. Si le constat a été rédigé pour protéger les salariés de l’entreprise, il faut vérifier que toutes les mesures ont bien été prises pour les sécuriser et ainsi pouvoir les rassurer. Le constat peut aussi viser à rassurer les clients d’une boutique ou d’un commerce, qui arriveraient après nos constatations et qui relèveraient des anomalies. L’huissier peut donc être tenu de rédiger plusieurs constats. Sachant que ces constats sont dressés à l’instant T, ils ont vocation à être renouvelés dans le temps afin de vérifier la pérennité des mesures mises en place.

La demande vis-à-vis de ce nouveau constat est-elle forte?

Nous en avons effectivement effectué beaucoup dans les petits commerces, chez les coiffeurs, dans la grande distribution pour constater la sécurisation des parcours clients notamment, et dans les entreprises pour montrer aux salariés que tout a été mis en œuvre pour les sécuriser. Sur le plan local, nous avons communiqué auprès de la chambre de commerce et d’industrie et de la chambre des métiers et de l’artisanat. Des collectivités territoriales telles des mairies et des écoles nous ont aussi sollicités. Dans certaines régions, des partenariats avec des mairies ou des conseils départementaux sont même à l’étude. Ce constat peut être généralisé dans tous les secteurs où une mise en conformité est nécessaire afin de sécuriser des salariés ou des tiers.

Des initiatives concurrentes ont depuis émergé face à Legal-preuve.fr. Comment vous distinguez-vous ?

Ce constat n’est ni une certification, ni un label. C’est une signature. Il comporte des mentions authentiques qui lui confèrent une sécurité juridique supérieure. En cas de contentieux, plus l’entreprise aura d’éléments de preuve précis pour montrer qu’elle avait tout mis en place pour que cela n’arrive pas, plus sa responsabilité sera dégagée. C’est en cela que ces constats sont importants. Nous ne réalisons pas de simples clichés photographiques d’une situation. C’est par la qualité juridique apportée à ses constatations que l’huissier de justice amène cette plus-value et peut gagner la confiance des magistrats. C’est très important de faire la différence.

En marge de la création de ce nouveau type de constat, vous avez aussi travaillé sur le terrain de la médiation…

Je suis effectivement présidente de l’association de médiation des huissiers de justice Medicys, et dans ce cadre, nous nous sommes effectivement rendu compte que beaucoup de contentieux, relatifs aux loyers notamment, risquaient de surgir, pour lesquels on ne pourrait pas apporter de réponse juridique en cette période. Grâce à notre plateforme de médiation, nous avons assuré des médiations gratuites avec mise en place d’un numéro d’appel d’urgence. Le domaine des loyers et celui des conflits de voisinage se sont avérés des questions récurrentes. Nous avons donc géré grâce à la médiation et au recouvrement amiable beaucoup d’impayés locatifs, mais aussi des problèmes de doubles loyers, s’agissant de personnes qui devaient changer d’habitation, ainsi que de nombreux conflits de voisinage liés au bruit, et quelques situations d’enfants en danger.

Comment se passe la reprise ? Quelles conséquences la crise sanitaire aura-t-elle sur les études d’huissier de justice ?

L’activité, au cours de la première semaine, a été très faible. La relance de l’activité au sein des juridictions va nous aider à reprendre. Mais nous craignons une fin d’année très compliquée. En fonction du maintien ou non des mesures de chômage partiel, les conséquences économiques pourraient être très lourdes. Nous sommes des entreprises comme les autres et subissons les mêmes problématiques.

Nous avons aussi employé le temps du confinement pour proposer énormément de formations en e-learning aux huissiers de justice. Notamment pour devenir commissaire de justice. 1 700 personnes ont ainsi pu être formées pendant cette période. Nous avons aussi créé des parcours de formation pour nos collaborateurs. Outre la formation initiale et continue qui est le sujet phare des deux années de mise en place de la nouvelle profession, nous avons aussi travaillé sur le futur examen professionnel qui permettra d’entrer à l’école de formation, l’Institut national de commissaire de justice, pour une rentrée en début d’année 2021.

Quel était le point de départ de la création de cette nouvelle profession de commissaire de justice, avec la fusion des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires en 2022 ?

C’était la volonté de créer une grande profession de l’exécution, rapprochant tous les acteurs de l’exécution. Seuls les commissaires-priseurs judiciaires et les huissiers de justice se sont réunis. Personnellement, je le regrette car cela avait un sens de pouvoir gérer le recouvrement de A à Z et ce dans toutes les situations, avec tous les acteurs tels les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires.

Comment appréhendez-vous la réforme ?

Très positivement, surtout dans la région car les commissaires-priseurs judiciaires et les huissiers de justice ont déjà appris à se connaître et à travailler ensemble.

Pour autant, les huissiers de justice avaient déjà la possibilité de procéder à des ventes aux enchères. Certains d’entre eux ne l’ont pas très bien vécu au début, car demain nous pourrons, certes, continuer à faire des ventes volontaires mais dans des structures commerciales réservées à cette fin, donc en dehors de nos études, comme les commissaires-priseurs judiciaires, et d’autres huissiers de justice y ont vu une nouvelle opportunité. Les commissaires-priseurs judiciaires, eux, pourront découvrir s’ils le souhaitent la totalité de nos missions et notamment nos activités accessoires telles que l’administration de biens, la médiation, l’assurance.

Depuis deux ans que nous construisons cette profession, nous apprenons beaucoup les uns des autres. Ma génération ira sans doute vers des associations avec des commissaires-priseurs judiciaires de façon à proposer au justiciable un service tout-en-un. Nous arrivons à nous comprendre car nous sommes des juristes, formés à des matières communes telles les procédures collectives, les tutelles, les successions, les régimes matrimoniaux, etc. Les jeunes commissaires de justice, eux, auront été formés pour exercer ce double métier. Je souhaite que ces nouveaux commissaires de justice, qui choisiraient d’exercer dans des structures sociétales commerciales, développent, ce qui était aussi un des vœux de départ de la réforme, l’interprofessionnalité, en s’associant avec des avocats, des notaires, des experts-comptables et puissent un jour créer une grande profession du droit. Ce serait une très belle évolution et un service très qualitatif pour le justiciable.