« Les femmes peuvent casser les clichés de notre profession »

Virginie Vellut

Présidente du Conseil Régional de l’Ordre des Experts-Comptables de Champagne Virginie Vellut est candidate à la Présidence du Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts-comptables.

Virginie Vellut est présidente du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables de Champagne et candidate aux élections 2020 à la présidence du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables. Elle nous a accordé un entretien à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes.

Réso Hebdo Éco. Qu’est-ce qui vous a mené vers l’expertise comptable ?

Virginie Vellut. Le hasard et les rencontres sont parfois les clés d’un parcours inattendu mais néanmoins riche et intéressant. Un enseignant de la faculté de Reims m’a parlé de la MSTCF (maîtrise des sciences et techniques comptables et financières, Ndlr) ; séduite, j’ai décidé de passer le concours d’entrée. Dans le cadre de ces études, je devais réaliser un stage de deux mois en cabinet. J’ai eu l’occasion de rencontrer Maurice Buat, alors président du Conseil régional de Champagne. Intéressé par mon profil, il m’a accueillie au sein de ses équipes. Le diplôme en poche, les associés du cabinet m’ont proposé une embauche et incité à démarrer le stage d’expertise comptable. La suite, c’est le stage de trois ans, le diplôme et l’association dans la foulée.

Le métier d’expert-comptable n’est-il pas perçu comme un métier d’homme ?

Aujourd’hui, il y a en France environ 21.000 experts-comptables dont 15.000 hommes et 6.000 femmes. Elles ne représentent que 30 % des effectifs alors qu’un stagiaire sur deux est une femme et que plus de deux tiers de nos effectifs sont féminins. Notre défi est de savoir conserver ces jeunes femmes dans la profession. Je garde en mémoire le souvenir de cet enseignant, lorsque j’étais en MSTCF, qui m’incitait à m’inscrire à l’agrégation pour devenir professeur, m’expliquant que le métier d’expert- comptable était un métier d’homme.

Ressentez-vous parfois des freins dans votre profession liés à votre statut de femme ?

La posture de l’homme au travail et la femme au foyer est un cliché heureusement désuet et la situation a bien évolué depuis une trentaine d’année. Lorsque j’ai débuté dans ce métier, concilier une vie personnelle avec tout son lot d’organisation de “femme de maison et de mère” et une vie professionnelle était très compliqué, entre les périodes fiscales intenses et les réunions en soirée. Aujourd’hui, les hommes s’investissent dans l’éducation des enfants, participent à la vie du foyer et souhaitent disposer de temps pour les loisirs. Alors, la profession, comme d’autres, s’adapte à cette aspiration d’un équilibre de vie.

Il reste cependant une difficulté à surmonter lorsqu’il s’agit d’asseoir une légitimité au sein d’une assemblée essentiellement masculine dont les codes de communication ne sont pas les nôtres et qui ont parfois tendance à faire front devant “le sexe dit faible”.

Quelles qualités faut-il pour exercer votre métier ?

Ce métier est en pleine mutation. Il faut bien sûr avoir une appétence pour les chiffres, de la rigueur, un esprit d’analyse et de synthèse. Mais de plus en plus, l’expert-comptable, conscient de son statut de chef d’entreprise, est à l’écoute, fait preuve d’empathie et tient compte des exigences éthiques. Toutes ces qualités relationnelles sont également nécessaires à l’accompagnement de nos clients dont nous sommes les partenaires de confiance. Nous devons nous adapter sans cesse, les accompagner, anticiper leurs besoins. Notre métier est clairement un métier de contact, c’est notamment ce qui le rend passionnant.

Pensez-vous que les femmes peuvent se construire une identité dans l’expertise comptable ?

J’en suis persuadée. L’identité se façonne du mix de nos valeurs, nos compétences, de l’appartenance à un groupe, de nos missions et de notre capacité d’analyse et de traitement en fonction de nos clients. Dans notre métier, chaque expert-comptable à sa façon propre d’exercer et pourtant chacun d’entre nous respecte la même éthique “Science, Indépendance, Conscience”.

Les femmes peuvent casser les clichés de notre profession et donner une identité professionnelle nouvelle et positive.

Toutes les nouvelles qualités requises et attendues pour exercer ce métier en pleine mutation sont pour beaucoup plutôt féminines. Notre mode de fonctionnement est différent du modèle masculin. Nous travaillons plus avec le sens de l’écoute, l’intuition, l’empathie, le pragmatisme, mais aussi le collectif. Cela conduit à insuffler dans nos cabinets un leadership nouveau, basé non pas sur l’autorité mais sur la prise en compte du collectif.

Notre profession se féminise (deux tiers sont des femmes) ; nous devons capitaliser sur cette richesse pour faire évoluer nos modes de management. Les notions de Qualité de vie et de bien-être au travail sont désormais de plus en plus intégrées par les managers. Nous devons en tout cas, continuer à fournir des pistes de réflexion, comme le fait Françoise Saves, présidente de l’association des femmes experts-comptables, pour aider à construire un sens à la profession, tout en y favorisant le bien-être.

Quelles sont les actions que vous souhaitez mettre en place pour donner aux jeunes femmes l’envie d’accéder à la gouvernance des cabinets d’expertise comptable ?

Notre métier reste et restera un ascenseur social formidable. Les opportunités sont nombreuses et variées. Le plein-emploi existe bel et bien dans notre profession. Et pourtant nous peinons à recruter, quel que soit le niveau de compétences. Nous devons proposer un accompagnement à la conduite du changement par les managers dans les cabinets en intégrant la dimension RH. Nos collaborateurs sont notre richesse. Il nous appartient de leur permettre d’évoluer tout en conciliant une vie personnelle épanouie. Nous avons aujourd’hui les outils pour cela, c’est une question de volonté mais surtout de conviction.

Il faut également permettre à ces jeunes femmes d’évoluer en confiance. Je reprendrai l’idée de Françoise Saves qui suggère de mettre en place un mentorat, un excellent vecteur d’accession à la gouvernance pour une jeune femme. J’ai pour ma part bénéficié de cette expérience ; mon maître de stage m’a incitée à m’associer alors que j’attendais des jumeaux. Cela n’a pas posé de problème aux associés. Nous sommes désormais huit associés dont quatre femmes, chacune a pu concilier maternité, enfant en bas âge, vacances scolaires sans aucune difficulté.

Des engagements simples peuvent être pris : ne pas programmer de réunions après 18 heures, favoriser le télétravail, développer les soft-skills, assurer l’équité homme/femme en matière de salaires, de formation, de responsabilités, de prise de parole etc. mais aussi former nos collaborateurs au management pour qu’ils puissent mesurer l’importance de ces changements de paradigme.

Et globalement que diriez-vous de la position des femmes dirigeantes ?

Des efforts existent dans les gouvernances d’entreprises et d’administrations ; la parité fait souvent débat et l’objet de décisions pour faire pencher la balance des choix. Cependant, on peut encore déplorer que les femmes soient, à compétences égales, encore minoritaires. Il suffit de constater qu’après le non-renouvellement du mandat d’Isabelle Kocher au poste de DG d’Engie, il ne reste plus qu’une femme à la tête d’une entreprise du CAC, Sophie Bellon de Sodexo.

Comme le dit si justement Tonie Marshall, célèbre réalisatrice de cinéma notamment du film Numéro Une : « Pour parvenir à 50 % de femmes dirigeantes dans les grandes entreprises à compétences égales, il faudrait faire de la discrimination positive. »

Comment voyez-vous l’avenir ?

Je suis très optimiste. Les employés et les coougeons maintenant, ce sera qui demain ? Il faut être acteur du changement.

Propos recueillis par Boris Stoykov, Affiches Parisiennes, pour RésoHebdoÉco, association regroupant 27 titres de presse hebdomadaire économique régionaux en France. facebook.com/resohebdoeco