« Les entreprises doivent faire la démarche de venir nous voir »

Jean-Marie Soyer

Le Président du Tribunal de commerce de Reims, Jean-Marie Soyer annonce une forte baisse des défaillances d’entreprises au premier trimestre 2020.

Le président du Tribunal de commerce de Reims, Jean-Marie Soyer, s’exprime sur l’activité du tribunal, insistant sur l’important travail de prévention effectué avec l’appui des experts-comptable et avocats, afin d’éviter les défaillances d’entreprises.

Pouvez-vous tout d’abord nous définir les missions du tribunal de commerce, rappeler dans quel cadre il intervient ?

Jean-Marie Soyer : Le Tribunal de commerce a deux missions principales : la première est de traiter les contentieux entre entreprises, l’autre est de faire un suivi de celles qui sont en difficulté. Il y a deux sous-produits: le produit traitement de l’entreprise, en cessation de paiement qui dépose le bilan et doit suivre, dans le cadre de son redressement judiciaire ou de son éventuelle liquidation, une procédure, et puis plus en amont, il y a tout le travail sur la prévention des entreprises, dans lequel on peut y mettre les missions had hoc et de conciliation.

Justement, comment le tribunal a-t-il traversé la crise sanitaire ?

Il y a eu une permanence. Le greffe a minima et le tribunal aussi, justement sur la prévention. On a eu à ce moment-là beaucoup d’appels. Bien sûr, nous avons suspendu beaucoup d’audiences. On a traité l’urgence c’est-à-dire les plans de cession. Nous en avons traité deux. On avait gardé les moyens de travailler. La partie « contentieux » est celle qui a été la plus impactée. Quant à la partie litige, elle avait été déjà pas mal touchée avec la grève des avocats. On a donc un stock de dossiers importants. On commence à voir apparaitre des dossiers mettant en cause les assurances, pour qu’elles fassent marcher le « risque d’exploitation ». C’est notre premier cas mais j’imagine, pas le dernier. On s’attend aussi à avoir beaucoup de contentieux sur les loyers, car les délais de paiement ne résultaient pas d’une obligation légale mais d’un accord à l’amiable avec le propriétaire des locaux exploités.

Sur la prévention, comment agissez-vous auprès des entreprises pour les encourager à prendre contact avec le Tribunal de commerce ?

Notre travail est un travail de communication. Traiter une entreprise qui vient vers nous, c’est simple, mais le plus compliqué c’est de les détecter. Nous n’avons pas de moyens spécifiques pour ça, nous avons donc besoin des autres, de relais. Ceux avec qui nous travaillons le plus, ce sont les Chambres de commerce, les Chambres de métiers, la Banque de France et puis, comme je suis un ancien expert-comptable, nous sommes en train de mettre en place une cellule de veille avec les comptables qui sont au cœur du sujet, car ils sont en première ligne. Toutefois, ils n’ont pas d’obligation légale de nous contacter, tout au plus une obligation morale. Il y a en revanche, une obligation par rapport aux commissaires aux comptes qui ont une obligation d’alerte, même s’ils ont vu leur champ d’activité restreint après les dernières mesures. Ils n’interviennent aujourd’hui que sur les plus grosses entreprises. Au niveau de l’organisation de la prévention au tribunal, il y a un service qui fait sa détection lui-même au regard des informations qui lui sont transmises: bilans, injonctions, etc. La vraie problématique c’est que ces informations interviennent tard, avec des bilans au 31 décembre et donc souvent, des activités fragilisées plusieurs mois auparavant.

Une fois qu’un expert-comptable vous contacte pour alerter sur la situation délicate d’un client, quelle réponse va apporter le Tribunal de commerce ?

On peut les aider, non pas financièrement car nous ne sommes pas un organisme d’État qui a de l’argent, mais nous pouvons les aider au niveau juridique par deux solutions : le mandat had hoc ou la conciliation. Le mandataire had hoc, c’est un professionnel de l’entreprise en difficulté que l’on nomme dans le cadre d’une procédure complétement confidentielle, c’est important de le souligner. Ce dernier a pour mission d’assister l’entreprise et de l’aider à gérer ses ennuis conjoncturels. Les ennuis structurels on peut difficilement les traiter. En revanche, pour les difficultés liées à une baisse d’activité, un marché qui vient de partir, une concurrence qui apparait et du coup une relation tendue avec son banquier ou ses fournisseurs, ce professionnel sait agir. L’année dernière, nous avons eu une activité soutenue, avec 19 mandats had hoc, dont 17 se sont bien terminés. Bien que nous ne puissions pas faire de miracles, nous pouvons en revanche faire en sorte que les choses se terminent bien si les entreprises font la démarche de venir nous voir en amont. En 2019, nous avons traité 287 procédures. Cette année, au 31 mai, nous n’en sommes qu’à 91 alors qu’à la même période l’année dernière, nous en étions à 150. Nous allons mettre en place une veille plus pratique, comme la mise en place d’un numéro vert dès septembre. Cette volonté date de quelques mois déjà, mais elle a été accélérée par la crise sanitaire.

Justement, dans le cadre de la crise sanitaire, l’économie s’est arrêtée brutalement. Est-ce que dans ce cadre-là, les entreprises vous ont plus contacté que d’habitude ?

Paradoxalement, non. Justement, nous venons de faire une réunion dite « prévention » avec les responsables des Chambres consulaires et le directeur départemental de la Banque de France, tout le monde est relativement surpris car nous n’avons pas de contact avec des entreprises en difficulté. On en a eu un certain nombre au début du confinement, il y a eu beaucoup d’angoisse. J’ai eu un certain nombre de sociétés au téléphone à ce moment-là, mais depuis, je n’ai pas eu de nouvelles. Ces entreprises ont en réalité été prises en charge par leur banquier dans le cadre du PGE, du chômage partiel, de renégociation de loyers, de report d’échéances fiscales, etc. C’est un constat général sur la Marne, puisqu’on travaille main dans la main avec le président du Tribunal de commerce de Châlons. On est assez bizarrement dans une sous-activité.

Est-ce que cela révèle une méconnaissance des entreprises de ce qu’elles peuvent faire avec le Tribunal de commerce en amont ou est-ce qu’elles n’ont tout simplement pas eu besoin de se manifester ?

Alors sur la méconnaissance, oui, c’est certain. Nous, Tribunal, nous faisons peur. Les chefs d’entreprises sont optimistes et souvent, ils ne voient que le mauvais côté, à savoir le traitement de la liquidation. Nous manquons déjà pas d’aura par rapport à ça. En fait, il n’y a pas de difficultés majeures aujourd’hui. Car les entreprises n’ont pas travaillé certes, mais elles n’ont pas eu de frais non plus et en plus, elles ont eu des avances de trésorerie. Le PGE dans la Marne représente quand même 785 millions d’euros. Tous ces reports font que les entreprises font le gros dos et ont mis cet argent de côté en attendant.

Tout l’arsenal de mesures a donc, pour vous, bien fonctionné ?

Ce qu’on peut mesurer, c’est que toutes les mesures financières ont bien marché car sinon, on serait en suractivité. À ces mesures purement financières se sont ajoutées des mesures judiciaires. La notion de cessation de paiement a par exemple été gelée du 13 mars au 20 août. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, on ne peut pas reprocher à une entreprise qui serait en cessation de paiement de ne pas déposer le bilan, elle n’en a pas l’obligation. C’est à la fois bien, car ça donne du souffle aux entreprises, mais ce que l’on craint c’est que certaines profitent de ces dispositions pour ne pas venir nous voir et donc que cette bouffée d’oxygène se transforme à terme, en asphyxie.

Peut-on craindre alors un effet boomerang au mois de septembre ou au mois de mars l’année prochaine quand il faudra rembourser ces avances de trésorerie avec une explosion des faillites de sociétés ?

On partage les mêmes réflexions. Ce que l’on sait, c’est que pour le moment, les voyants sont au vert. Là où on se fait le plus de soucis, c’est sur les secteurs de l’évènementiel, de la restauration mais aussi de l’activité champagne. On n’est même pas certain que les premières difficultés soient en septembre mais en effet, au mois d’avril. Selon les experts comptables, c’est au moment des premiers remboursements ou renégociations de PGE, si le chiffre d’affaires a du mal à rentrer d’ici là que les difficultés apparaîtront. Après, beaucoup de choses vont dépendre des 20 milliards d’euros d’épargne des particuliers. Que vont-ils en faire ? S’en serviront-ils pour consommer ou pas ? Il faut surveiller la reprise d’activité. Mais ce serait quand même étonnant qu’au mois d’avril prochain, tout aille bien.