Les « entrepreneurs en sursis » alertent les élus

L'Atypique Epernay

L’Atypique à Épernay n’a ouvert que 4 jours et a dû fermer ses portes le 14 mars, comme tous les établissements accueillant du public.

Avec la perspective d’un déconfinement le 11 mai, c’est désormais l’aspect économique qui occupe les esprits. Mais est-ce que les entreprises pourront reprendre les choses là où elles les avaient laissées ? Rien n’est moins sûr, notamment pour ceux qui avaient prévu d’ouvrir leur société juste avant le confinement.

Le désarroi s’entend sans peine dans la voix de Catherine Charton. Cette dynamique quinquagénaire a repris un bar à champagne « le projet d’une vie, d’enfin avoir quelque chose à soi, d’être son propre patron ». Problème, l’ouverture de son établissement, « l’Atypique », rue Flodoard à Epernay, s’est faite le 10 mars. Quatre jours plus tard, elle devait fermer à cause de l’état d’urgence sanitaire. « Ça a été comme un coup de massue », confie-t-elle.

PAS D’AIDES DE L’ETAT POUR LES ENTREPRISES CRÉÉES APRÈS LE 31 JANVIER 2020

Plusieurs mois qu’elle mûrissait le projet. Ainsi, Catherine Charton avait fait des travaux pour personnaliser le bar, racheter un peu de matériel et surtout de la marchandise. « En tout, plus de 120 000 euros ont été engagés. » Or, dans son cas précis, elle n’est éligible à aucune aide mise en place par l’État. Un trou dans la raquette des « 300 milliards mis sur la table… »

« Pour le moment, pour être éligible au Fonds de solidarité de 1500 euros, il faut avoir ouvert avant le 31 janvier 2020, car est pris en compte pour les entreprises créées après le 1er mars 2019, le chiffre d’affaires mensuel moyen entre la date de création et le 29 février 2020», explique Étienne Effa, directeur départemental des Finances publiques. Toutes les entreprises ayant été créées après cette date, se retrouvent ainsi laissées pour compte.

Face à ce constat, un collectif « d’entrepreneurs en sursis » s’est créé, avec à sa tête Denis Reclus, qui devait lui aussi lancer son activité, « Un monde de briques », dédiée à l’apprentissage ludo-éducatif. « Nous demandons l’élargissement des aides afin d’éviter que nos projets ne soient morts-nés », précise-t-il. « Nous, créateurs d’entreprises, avons engagé des frais sur nos économies et allons devoir honorer les mêmes charges que les autres. » D’un petit groupe de six dans la Marne et les Ardennes, le collectif s’organise sur les réseaux sociaux et essaime un peu partout en France avec de nouveaux membres en région PACA, en Bourgogne-Franche-Comté, dans le Lot, en Alsace, etc. « Sans soutien, les fonds de roulement prévus dans nos business plans seront épuisés à la sortie de cette crise et, n’ayant pas de clientèle constituée, une majorité d’entre nous ne pourra survivre et mettra la clé sous la porte avant même de l’ouvrir. »

Les stratégies de développement vont aussi être remises en cause. « J’avais trouvé un local, mais comme mon activité engage le travail avec des enfants, avec les nouvelles mesures sanitaires et de distanciation sociale, je vais devoir en chercher un plus grand.» Concernant ses projections financières, Denis Reclus craint de faire « une année blanche », le concept de sa société reposant également sur les partenariats avec les écoles et collectivités.

Pour d’autres encore, outre le décalage de la date d’ouverture, se posent aussi les problèmes d’approvisionnement ou de la qualité de la marchandise. « Nous travaillons avec des produits qui nécessitent une conservation particulière », note Catherine Charton, qui craint l’altération de qualité de son champagne. Pour Benjamin Tisserand, c’est l’approvisionnement qui est en jeu. En effet, ce jeune entrepreneur devait ouvrir « Mizzica », bar à manger, bar à vin et épicerie spécialisée dans les produits siciliens, le 18 mars dernier, avenue Jean-Jaurès à Reims. « Les travaux qui étaient en passe d’être terminés ont été arrêtés brutalement. Mais ça encore, je peux moi-même continuer. Là où nous avons un réel souci c’est pour faire venir les produits de Sicile où les conditions de confinement et de circulation de marchandises sont extrêmement strictes », explique-t-il.

CIRCULATION DE MARCHANDISE RESTREINTE AU SEIN DE L’EUROPE

Car convaincre un transporteur de traverser l’Italie puis la France n’est pas une mince affaire. « Je ne peux pas prendre le risque que le camion soit bloqué à la frontière car je travaille avec des produits frais, charcuterie et fromage notamment. Et comme je ne peux pas multiplier les camions avec le reste, conserves de tomates ou huile d’olive par exemple, c’est l’intégralité de ma cargaison qui serait en jeu. » Là encore aucune aide en perspective face à l’investissement de départ. « Les charges vont certes être reportées mais de toutes façons, il faudra les payer en septembre ou octobre et si je ne fais aucun chiffre cet été, ce sera pire. » Et alors que Benjamin Tisserand aurait pu ouvrir la partie épicerie, entrant dans la case « produits de première nécessité », sans marchandise, il doit se résoudre à repousser l’ouverture, espère-t-il, « seconde quinzaine du mois de mai ».

Interpellé par le collectif, Nicolas Resseguier, directeur départemental Marne de la Banque de France, déplore « que l’on se prive de l’investissement et du potentiel de ces nouvelles entreprises qui contribuent à faire vivre un territoire. Cette absence d’aide s’apparente à un ‘‘trou dans la raquette’’ dans la panoplie des aides publiques face à la crise sanitaire. » Localement, la communauté urbaine du Grand Reims s’est associée à une démarche initiée par la Région Grand Est, la Banque des Territoires, le Département de la Marne et les autres intercommunalités afin de constituer un fonds appelé « Fonds Résistance», permettant de proposer une avance de trésorerie remboursable dans un délai d’un an, à destination d’un plus large panel d’entreprises (voir ci-dessous). Nationalement, cette problématique a été portée à l’assemblée nationale par plusieurs députés et un décret devrait étendre l’attribution du Fonds de solidarité aux entreprises créées entre le 1er février et le 15 mars 2020.

LE FONDS RÉSISTANCE, UNE AIDE PRÉCIEUSE

Le Fonds Résistance sera abondé à hauteur de 2 € par habitant, par l’ensemble des collectivités partenaires. Ce qui représentera plus de 2,3 millions d’euros pour le territoire du Grand Reims. Il permettra d’octroyer des aides de 5 000 à 10 000 € pour les entreprises.

La Région a défini les critères d’éligibilité que doit respecter la structure :

  • Etre constitué sous statut de micro / auto entrepreneur d’entreprise individuelle, de société jusqu’à 10 salariés.
  • Etre immatriculé en région Grand Est
  • Etre indépendante dans la mesure où la structure n’a pas de lien capitalistique direct avec d’autres sociétés sauf si l’effectif total ne dépasse pas les 10 salariés.
  • Une part significative des recettes (perte de 50% ou plus du chiffre d’affaires au cours du mois de mars ou sur les 60 jours précédents le dépôt de la demande) est affecté par des circonstances directement imputables à la crise sanitaire et/ou aux fermetures administratives liées à cette dernière.
  • Ne pas pouvoir bénéficier d’un prêt bancaire, ni être éligible aux mesures d’accompagnement proposées par la Région sous forme de prêt rebond via bpifrance.
  • Disposer d’un numéro SIRET au moment de la demande.

Les dossiers sont à envoyer à eco@grandreims.fr