Les enseignements européens de la crise sanitaire

Il aura fallu cette épidémie en provenance de Chine pour réveiller certaines réalités de crise et déclencher nombre d’actions au niveau européen et des nations. L’heure devra aussi être à la capitalisation et au courage du retour d’expérience pour aller au-delà de mesures ponctuelles. L’occasion aussi de faire le point sur l’état des lieux de l’autonomie européenne sur certains sujets stratégiques.

Il s’agit de la première épidémie de ce genre avec mise en quarantaine dans une Europe moderne qui doit montrer sa capacité d’agir sur les flammes et gérer le coupe-feu par des mesures innovantes mais aussi se rappeler des anciennes dispositions prises lors de la peste mais aussi Ebola en Afrique, qui semble bien loin autant historiquement que géographiquement.

Nous aimons réagir en situation de crise avérée pour éviter d’être blâmé en cas d’erreur. La France, dont les études montrent le lien d’origine de contamination en Europe, est passée ensuite rapidement d’un état d’urgence économique à un état dit « de guerre » en employant les mêmes solutions qu’en Espagne et qu’en Italie pour enrayer et stabiliser la situation et partiellement qu’en Chine. La fermeture concertée de l’espace Schengen va permettre un isolement de grande ampleur et celui entre régions commence à porter ses fruits en France.

Nous devons être conscients des réalités de prises de décision et de solidarité dans cette Europe unie dans la diversité avec des approches communes et spécifiques dans les domaines d’intervention réservés, partagés ou instruits par subsidiarité trop souvent méconnus. Montesquieu aurait aussi pu analyser quel était le système le plus adapté en situation de crise entre une démocratie, une république ou une dictature.

Le coup d’après est en cours d’élaboration alimenté par de très nombreuses interrogations et propositions tant au niveau de la gouvernance que des dispositions stratégiques, opérationnelles, juridiques et surtout de la notion de solidarité sur la base notamment des mesures prises plus ou moins rapidement par les Institutions et les nations dans leurs réalités de fonctionnement.

LES MESURES PRISES PAR L’UE

Au-delà des appels d’offres, relevons d’abord les mesures sanitaires avec recommandations aux États membres : dépistage et coordination de la répartition des équipements avec ouverture des possibilités de fabrications de masques et respirateurs en conformité qualité, autorisation d’exportation en fonction des stocks disponibles (sauf pour plusieurs pays européens) avec distribution dans le cadre du mécanisme de protection civile de l’Union européenne (UE). Viennent ensuite les mesures aux frontières et à la mobilité approuvées sur la restriction temporaire pour les déplacements non essentiels à destination de l’UE (30 jours), avec exemptions accordées à certaines catégories de voyageurs, et la mise en place de voies réservées afin de garantir la continuité et la rapidité de la circulation des marchandises sur tout le territoire de l’UE. Des actions sont prises pour lutter contre la désinformation notamment à travers les réseaux sociaux afin de rétrograder ou supprimer les contenus trompeurs, illicites et préjudiciables, par exemple les théories du complot relatives à l’origine du virus ou à sa propagation prétendument intentionnelle tout en veillant à la liberté d’expression dans chaque État pour lutter contre la désinformation et permettre à nos citoyens d’accéder à des informations cruciales.

DES MESURES ÉCONOMIQUES ATTENDUES

Fonds de 20 milliards d’euros créé par la Banque européenne d’investissement (BEI) pour les PME sur fonds propres et avec l’appui partiel du budget de l’UE, qui attribuera quant à lui 29 milliards d’euros dont huit issus des fonds de la politique de cohésion non utilisés et garantira également le Fonds européen d’investissement (FEI), qui fournira des liquidités à au moins 100.000 entreprises, dont PME. Par ailleurs, les États pourront puiser 28 milliards d’euros dans les nouveaux budgets de cohésion. Le Fonds de solidarité de l’UE devrait désormais pouvoir apporter un soutien aux États membres touchés par des crises sanitaires publiques. Des mesures ont été créées pour permettre aux compagnies aériennes de conserver leurs créneaux sans avoir besoin de voler à vide et des incitations ont été faites pour soutenir le fret aérien ainsi que les transports essentiels. La Commission a adopté des règles temporaires en matière d’aides d’État afin que les gouvernements puissent injecter des liquidités dans l’économie et préserver l’emploi dans l’UE avec une flexibilité sur les règles budgétaires de déficit. La Banque centrale européenne complétera son premier programme de 120 milliards d’euros par un second à 750 pour l’achat de titres privés et publics pendant la crise. Un point important concerne le filtrage des investissements directs étrangers et les acquisitions de contrôle ou d’influence pour protéger les technologies et actifs européens critiques dans le contexte de la crise actuelle.

DES FONDS POUR LA RECHERCHE

La Commission a mobilisé jusqu’à 140 millions d’euros pour mettre au point des vaccins, de nouveaux traitements, des tests de dépistage et des systèmes médicaux. Dix-sept projets associant 136 équipes de recherche ont été sélectionnés pour bénéficier d’une enveloppe de 47,5 millions d’euros au titre du programme Horizon 2020 dont en matière de médicaments innovants à hauteur de 45 millions d’euros, qui doit être complété par l’industrie pharmaceutique. Un appel de l’Accélérateur du Conseil européen de l’innovation pour un montant de 164 millions d’euros a attiré un nombre important de jeunes entreprises et de PME.

UNE SOLIDARITÉ ENTRE ÉTATS MEMBRES

S’agissant des mesures prises par les États, on peut citer le don de masques plus autres équipements, de la France, l’Allemagne et de l’Autriche et bientôt de la République tchèque à l’Italie, et pour certains à l’Espagne, la Roumanie, la Suède. La Grèce va bientôt produire des unités mobiles pour la communauté. L’Allemagne et ses länders ont reçu de nombreux patients italiens et quelques français également accueillis à Luxembourg. A noter également le rapatriement cofinancé de plus de 4.000 citoyens européens du monde entier, dont 30 % ne faisaient pas partie des pays transporteurs dont France, Belgique, Luxembourg, Allemagne, République Tchèque, Lettonie, Italie et Slovaquie. On peut aussi se demander si les renforts de solidarité envoyés par certains pays à la frontière Grecque pour les migrants ne seraient pas finalement liés au virus.

Misons que ces éléments ne soient pas additionnés comme des coups politiques mais inclus dans une politique générale mêlant stratégie, identité, structure et prise de décision avec une culture du risque et de l’histoire renforcées n’empêchant pas l’audace. Et n’oublions pas qu’un virus nous aura finalement aidé à purifier et rafraîchir plus rapidement l’Europe et la planète par réduction temporaire, voire mutation de l’activité.

Par François Charles, Économiste, expert en stratégie, management, affaires européennes et internationales, Président de l’IRCE.