Maire d’Epernay, vice-président de la Région Grand Est et président de l’association des maires de la Marne, Franck Leroy est un observateur attentif des projets gouvernementaux de décentralisation. Un processus nécessaire, selon lui, qui doit donner encore plus de lattitude aux collectivités.
Franck Leroy, quel regard portez-vous sur la volonté affichée du gouvernement d’ouvrir un nouveau volet de décentralisation ?
La décentralisation n’est pas un concept figé une fois pour toutes. Notre société évolue à une vitesse soutenue. Cette évolution requiert de plus en plus de réactivité, de souplesse et d’innovation, ce que la lourdeur de l’Etat ne permet pas.
Depuis 1982, la décentralisation a largement permis à notre pays de se moderniser. Aujourd’hui, ce sont les collectivités territoriales qui assurent plus des 2/3 des investissements civils publics dans notre pays. C’est un incontestable succès.
Dernièrement, pendant la crise sanitaire, on a pu se rendre compte que les collectivités ont été d’une grande efficacité parce qu’elles connaissent leur territoire mieux que quiconque, qu’elles savent se mobiliser rapidement et qu’elles sont souvent plus efficaces qu’un Etat trop centralisé et soucieux d’appliquer la même règle partout alors que les situations diffèrent fortement d’un territoire à l’autre.
Aujourd’hui, on n’est plus au cœur d’un combat idéologique qui opposerait partisans de l’Etat et partisans de la décentralisation. Il faut privilégier une approche pragmatique de l’action publique qui prend en compte les singularités de nos territoires. Rapprochez les centres de décision de nos concitoyens et tout ira mieux !
Les annonces récemment faites par la Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales Jacqueline Gourault sont-elles de nature à satisfaire les collectivités territoriales ?
Jacqueline Gourault est une élue locale qui a vécu la décentralisation du côté des collectivités. Elle en connaît tous les avantages, mais aussi les insuffisances. La technostructure n’a, elle, jamais réellement fait confiance aux collectivités territoriales. Ce qui était accordé d’une main par les Ministres était repris de l’autre par les administrations centrales, jalouses de leurs prérogatives historiques.
Il est plus que temps de passer à autre chose. C’est ce que j’avais dit en novembre dernier au Président de la République lors de sa visite à Epernay.
Qu’attendez-vous d’une telle démarche et sur quels volets souhaiteriez-vous être impliqué ?
Les collectivités ne veulent pas plus de pouvoir pour le pouvoir mais pour être plus efficaces sur le terrain et répondre aux attentes de nos concitoyens. Dans le domaine économique, c’est aujourd’hui la Région qui détient les clés du développement. Donnons-lui tous les moyens pour construire des stratégies régionales avec les entreprises. En matière de numérique, la Région Grand-Est démontre qu’elle est aujourd’hui la plus performante avec ses Réseaux d’Initiative Publique Rosace et Losange (pour la fibre optique, NDLR) qui lui permettent de prendre une longueur d’avance, de faire de l’aménagement du territoire comme l’Etat n’en fait plus depuis 50 ans et, au passage, d’économiser beaucoup d’argent public. C’est encore une preuve que libérer les capacités d’action des Régions sert l’intérêt général.
On peut bien entendu faire le même constat au niveau municipal et intercommunal.
N’y a-t-il pas une contradiction entre les actes de ces dernières années et les paroles d’aujourd’hui ?
Il y a eu, au début du mandat, des erreurs de faites. Les élus locaux se sont sentis oubliés, comme s’ils faisaient partie de l’ancien monde. La crise des Gilets Jaunes et la crise du Coronavirus ont changé beaucoup de choses. Le Président a eu l’honnêteté de le reconnaître. Notre pays a besoin d’un Etat fort sur ses compétences et de collectivités dynamiques à ses côtés. Si l’Etat rabote les moyens d’action des collectivités, il affaiblit l’action publique et se tire une balle dans le pied.
Aujourd’hui, les choses changent. Depuis la crise sanitaire, les points de vue de l’Etat dans le Grand-Est et de la Région se sont considérablement rapprochés. J’y associe la Banque des Territoires qui est un acteur très engagé. Les personnalités de Jean Rottner et de Josiane Chevalier (respectivement président de la Région Grand Est et préfète du Grand Est, NDLR) y sont pour beaucoup dans ce rapprochement qui peut être une carte maîtresse pour l’avenir. Au niveau local, c’est un peu la même chose. Nous n’avons jamais aussi bien travaillé avec les représentants de l’Etat et c’est un signe encourageant.
L’autonomie fiscale des collectivités est-elle un préalable indispensable à tout acte de décentralisation ?
Il est clair qu’on ne peut pas donner des pouvoirs aux collectivités et, dans le même temps, restreindre leurs moyens d’action ou leur imposer de « manger dans la main » de l’Etat. Les collectivités locales sont aujourd’hui majeures et responsables. Elles gèrent souvent mieux les fonds publics que l’Etat lui-même à en juger par leurs déficits respectifs. La décentralisation a longtemps butté sur cette tutelle financière exercée par Bercy sur les collectivités. Les choses évoluent positivement même si l’Etat continue de décider seul certaines orientations. On l’a vu récemment avec la baisse des impôts de production que l’Etat a décidé seul alors même que ce sont les collectivités qui en subissent les conséquences.
Cette question aurait pu faire l’objet d’une concertation entre l’Etat et les collectivités concernées. En tant qu’élus, nous ne demandons qu’une chose : que les règles du jeu ne changent pas unilatéralement ; que nous ayons les moyens de soutenir le développement de nos territoires. Encore une fois, c’est aussi l’intérêt de l’Etat.
L’articulation Région, Département, agglos et communes est-elle envisageable et souhaitable ?
Elle peut paraître complexe vue de l’extérieur. Quand on comprend la logique du système, on identifie bien les responsabilités des uns et des autres, leurs complémentarités. La Région a pris des compétences structurantes qui lui donnent un poids incontestable aux côtés de l’Etat. Le Département est le chef de file des problématiques sociales. À l’échelon local, le tandem Commune/EPCI fonctionne de mieux en mieux, les intercommunalités portant des politiques que la plupart des petites communes ne pourraient porter elles- mêmes.
Ensuite, ce sont les femmes et les hommes qui doivent se parler et se coordonner pour donner sa pleine efficacité à la décentralisation. Ce sont des attentions à l’égard de chaque élu local pour qu’il se sente associé et impliqué dans les choix collectifs que nous faisons.
La décentralisation, est-ce une question de survie à long terme pour certaines collectivités ?
La décentralisation est avant tout, au risque de me répéter, un facteur d’efficacité pour notre pays. Je mets au défi quiconque de contester ce point de vue. Quand on voit les progrès réalisés depuis près de 40 ans, on ne peut que s’en féliciter. Il n’y a que l’extrême- droite qui persiste à critiquer l’émergence des Régions et des Intercommunalités.
Au moment où nous allons devoir relever des défis gigantesques sur le plan écologique, sur le plan énergétique ou avec l’essor de la société numérique, il faut que les collectivités puissent disposer de moyens d’action pour soutenir les dynamiques locales qui, au final, font bouger le pays tout entier.