Les courtiers au cœur des vendanges

Franck Hagard et Philippe Launois, co-présidents du SPCVC (Syndicat Professionnel des Courtiers en Vins de Champagne).

Acteurs incontournables dans le rouage champenois, les courtiers occupent un rôle majeur dans le bon déroulement des vendanges. Entretien avec Philippe Launois, co-président du Syndicat Professionnel des Courtiers en Vin de Champagne (SCPVC).

Inédite, la vendange 2020 l’est à plusieurs titres. Comme tous les acteurs champenois, les courtiers en font le constat. En premier lieu en raison d’un rendement particulièrement bas cette année, à 8000 kg/ha. « Cette baisse significative, c’est du jamais vu depuis 2009 où le rendement avait été abaissé de 13 600 à 9 700 kg », rappelle Philippe Launois, co-président du SPCVC (Syndicat Professionnel des Courtiers en Vins de Champagne). Pour retrouver une appellation aussi faible dans l’histoire champenoise, il faut d’ailleurs remonter à la vendange de 1993.

En second lieu, en raison de la prise de décision très tardive des accords interprofessionnels, avec des conséquences sur un modèle champenois qui fonctionne en effet essentiellement avec des contrats pluriannuels et des contrats ponctuels, passés entre des vignerons livreurs de raisin et des maisons de négoce qui s’approvisionnent auprès d’eux. Aujourd’hui, environ 70% des raisins produits en Champagne sont d’ailleurs engagés du vignoble vers le Négoce, dont près de 15% en contrats ponctuels. « Certains acteurs attendaient la décision du Comite Champagne pour savoir ce qu’ils vendraient réellement au Négoce. Et les Maisons ont joué le jeu », explique Philippe Launois. « D’autant qu’après le confinement nous avons passé de longues périodes à transformer des contrats ponctuels en contrats pluriannuels pour nos clients ». Une tendance qui permet de rassurer certains livreurs et de sécuriser les approvisionnements des Maisons dans de telles périodes d’incertitudes. Car la crise sanitaire et ses conséquences, encore difficiles à mesurer, renforcent les besoins des acteurs champenois de se protéger.

« Ces 20 dernières années, le curseur était systématiquement du côté du vignoble, notamment parce que le Négoce cherchait à développer ses approvisionnements. Depuis quelques années, le curseur a tendance à se recentrer, les Maisons étant plus méfiantes quant à l’avenir, avec des volumes d’expéditions en baisse ». Selon lui, la pire chose pouvait arriver à la Champagne aurait été une absence d’accord interprofessionnel sur les rendements : « Cela aurait eu pour conséquence de faire entrer les modalités de paiement dans le cadre de la Loi LME, avec un paiement des fournitures à 45 jours ». Impensable en Champagne où les acteurs sont habitués à répartir les paiements sur quatre échéances annuelles (en décembre, mars, juin et septembre).

Alors, dans ces conditions, faut-il que les Champenois s’attendent à des rendements aussi bas pendant plusieurs années ? « Même si nous espérons tous le contraire, il faut se préparer à une appellation basse dans les années à venir. Il faut toutefois souligner qu’à l’inverse de certaines régions viticoles qui ont opté pour une distillation d’une grande partie des récoltes 2019, voire même de 2018, la Champagne n’a pas choisi cette solution. Nous avons la chance que la décision interprofessionnelle, aussi douloureuse soit-elle pour tout le monde, s’avère à la fois raisonnable et solidaire. Sans elle, tous les raisins libres n’auraient pas été achetés. Or, à ce jour, nous n’avons pas connaissance de raisins invendus. Dans une période aussi compliquée, c’est une décision à mettre à l’actif de l’interprofession », insiste Philippe Launois.

DES RELATIONS DE CONFIANCE

Quid alors des conséquences de la baisse du rendement sur le prix du kg de raisin, établi, rappelons-le, librement entre vendeur et acheteur ? « Il est très difficile aujourd’hui de répondre à cette question. Dans les contrats pluriannuels, les prix sont fixés avec une clause d’indexation obligatoire, fixée librement entre les deux parties, et, depuis quelques années des clauses de sauvegarde. Depuis le début des années 90, les prix du raisin n’ont été à la baisse qu’à deux ou trois reprises. Et la dernière fois que c’est arrivé, c’était en 2009 », souligne le co-président du SPCVC.

Tout particulièrement mobilisés pendant la période des vendanges, les courtiers veillent à ce que les contrats passés entre vignerons et Maisons soient respectés à la lettre : qualité, quantités, crus, délais… « Cette année, la question de la qualité n’est pas un sujet. Mais nous intervenons sur des aménagements éventuels de contrats à apporter en cours de vendanges, si l’une ou l’autre partie a besoin de faire évoluer un accord, sur une quantité ou un cépage à livrer par exemple. Nous avons aussi quelques demandes de Récoltants-Manipulants qui manquent de raisins et qui souhaitent en acheter. Habituellement cette possibilité leur est offerte à hauteur de 5% du rendement des surfaces conservées, mais cette année le plafond est relevé à 15% », rappelle Philippe Launois, qui se définit comme une sorte de « médecin de famille professionnel », en raison des relations de confiance et de confidentialité qui lient les courtiers à leurs clients.

« Nous établissons une relation de confiance forte avec des relations durables. Nous avons la chance d’avoir un travail basé sur les relations humaines et sur le respect de la parole donnée. À nous ensuite de mettre en relations des vignerons et des Maisons qui partagent une même philosophie ». Une philosophie champenoise au long cours malgré les obstacles, qu’ils soient passés, présents ou futurs.