Les conséquences du Coronavirus sur l’éxécution de vos contrats

Votre entreprise est engagée dans la réalisation de prestations, fournitures de matériels, livraisons de différents types de marchandises et son fonctionnement est aujourd’hui fortement impacté. Quelles sont vos obligations en la matière ? Quelles sont les responsabilités encourues ? Comment sortir de la crise et quelles seront alors vos démarches ?

À ce stade, il est utile de préciser que les contrats peuvent inclure des clauses spécifiques qui régissent des situations de crise. Il y aura lieu dès lors de s’y reporter. Au préalable, il convient de s’interroger sur l’éventuelle exonération de l’entreprise qui n’exécute pas son obligation contractuelle. En droit des contrats, un évènement imprévisible, insurmontable et extérieur peut être une cause d’exonération de responsabilité : c’est le cas de force majeure.

Ces conditions sont cumulatives (mais appréciées différemment par les juridictions) et l’analyse de la jurisprudence afférentes aux autres épidémies ou catastrophes majeures subies permet de réfléchir à une éventuelle réponse.

1. UN ÉVÈNEMENT IMPRÉVISIBLE ?

L’entreprise qui ne voudrait pas supporter les conséquences financières découlant de son inexécution contractuelle doit prouver que l’évènement à l’origine de l’inexécution était imprévisible au moment de la naissance de l’obligation. La pandémie était-elle imprévisible ?

Il est certain qu’une épidémie récurrente dans une région ne saurait être qualifiée de force majeure, celle-ci étant par nature prévisible :

Ainsi, la dengue qui a sévi en août 2007 dans les Antilles Françaises n’a pas permis de mettre en cause la responsabilité de l’agence de voyages et obtenir des dommages et intérêts pour des voyageurs qui ont annulé leur périple. La Cour d’Appel de Nancy a jugé que plusieurs épidémies de dengue ayant sévi dans les Antilles françaises en 2001-2002, 2005-2006 et 2007 à la même période de l’année, ce n’est pas un phénomène nouveau… De même, le chikungunya qui a sévi sur l’île de Saint Barthélémy en 2013-2014 n’a pas été qualifié de cas de force majeure, selon la Cour d’Appel de Basse Terre.

Également, il a déjà été jugé par la Cour d’Appel de Nîmes pour le marathon de New York en novembre 2012, qu’un ouragan n’est pas un cas de force majeure dans la mesure où c’est un évènement climatique récurrent dans la zone géographique et à cette période de l’année, connu de tous.

En l’espèce, l’ampleur mondiale de la situation rencontrée avec le coronavirus permet de considérer que le critère de l’imprévisibilité serait retenu à tout le moins pour les régions géographiques non habituellement touchées, ce qui est certainement le cas de l’Europe.

Mais attention, l’imprévisibilité ne peut plus être établie à ce jour, et depuis quelques semaines maintenant, de telle sorte qu’un contrat conclu en mars 2020 ne pourrait exonérer le cocontractant défaillant sur le fondement d’un cas de force majeure….

Le critère doit exister au moment où l’obligation contractuelle est souscrite : un contrat de travail conclu postérieurement à la connaissance de l’épidémie ne permet pas sa rupture, c’est ce qui a été jugé par la Cour d’Appel de Saint Denis pour un contrat de travail touristique conclu à l’Ile de la Réunion six mois après le début de l’épidémie du chikungunya.

Si votre entreprise souscrit aujourd’hui une obligation de livraison et ne réalise pas la prestation aux délais indiqués, elle ne pourra échapper à sa responsabilité faute de pouvoir invoquer utilement un cas de force majeure.

Qu’en est-il d’une obligation de livraison conclue aujourd’hui à 6 mois ? A ce stade, la question reste en suspens. La rédaction de vos contrats de ce jour est primordiale aux fins d’anticiper les risques à venir, faute d’en maîtriser la durée.

2. UN ÉVÈNEMENT INSURMONTABLE ?

L’entreprise ne peut s’exonérer de sa responsabilité que si la pandémie constitue un évènement insurmontable c’est-à-dire que les circonstances rendent impossible la réalisation des obligations mises à votre charge contractuellement.

Mais il ne s’agit pas d’une impossibilité absolue : La Cour de Justice des Communautés Européennes a précisé qu’il s’agit « de difficultés anormales, indépendantes de la volonté de la personne et apparaissant inévitables mêmes si toutes les diligences utiles sont mises en œuvre ».

C’est le comportement du cocontractant qui est analysé ici à postériori. La difficulté étant de savoir ce qu’un individu ordinaire, normalement diligent, placé dans les mêmes circonstances de temps, de lieu, de conjoncture aurait dû faire…

Une agence de voyages qui vend des dossards pour participer au marathon de New York ne saurait voir sa responsabilité engagée à la suite de l’annulation du marathon. Une petite précision : le marathon a été annulé mais seulement la veille, par le Maire, en raison de polémiques politiques. Il s’agit d’un évènement insurmontable pour l’agence de voyages en France dont il est relevé qu’elle avait pris attache avec les hôtels et compagnies aériennes, outre l’association organisatrice pour s’assurer de la possibilité de maintenir le voyage.

Dans un cas de grippe aviaire intervenue en 2014-2015, un exploitant agricole invoquait un cas de force majeure pour justifier le manquement de paiement de ses fermages. La Cour d’Appel de Toulouse l’a débouté en jugeant que l’exploitant avait été victime d’un précédent épisode de grippe aviaire en 2015 n’ayant pas empêché le règlement des fermages à cette époque de telle sorte que l’évènement n’était pas insurmontable…

Dès lors, il vous appartient de tirer les conséquences financières de la pandémie et ne pas obligatoirement chercher à assurer la réalisation de vos obligations qui mettrait en péril la trésorerie de vos entreprises et vous priverait de la possibilité de vous exonérer de vos responsabilités en cas de récidive de pandémie…

La Cour d’Appel de Rennes a d’ailleurs jugé qu’un avocat victime de grippe (normale) n’était pas exonéré de sa responsabilité faute d’avoir régularisé ses conclusions dans le délai fixé par la juridiction, étant relevé qu’il exerçait dans une structure comptant plusieurs avocats, lesquels étaient en mesure d’accomplir les diligences requises.

Un avocat victime de coronavirus serait-il placé de la même manière face à ses responsabilités ? Rien ne permet d’en douter à ce jour, d’autant que chaque entreprise doit anticiper les conséquences d’une pandémie annoncée et envisager ainsi les modalités de réalisation des obligations découlant de son activité professionnelle, et donc mettre en place un fonctionnement de crise. A ce titre, il est rappelé que l’empêchement du gérant peut être pallié par la mise en place d’un mandataire ad hoc… ce qui suppose que les juridictions fonctionnent, elles, normalement…

3. UN ÉVÈNEMENT EXTÉRIEUR ?

Il est utile de préciser que c’est un évènement extérieur à votre entreprise qui seul peut justifier l’exonération de responsabilité.

Dans un cas de commande de masques FFP2 par une société française en Chine, il a été jugé que le défaut de livraison à la date fixée lié au blocage en douane n’était pas un cas de force majeure permettant d’exonérer la société française des conséquences financières vis-à-vis d’un de ses distributeurs français. La cour d’Appel de Poitiers a jugé qu’il appartenait à la société française de choisir un fabricant à même de produire des maques conformes aux normes européennes et de respecter les délais de livraison (…). Ainsi le blocage en douane de masques chinois non conformes n’est pas extérieur à l’entreprise…

La cause extérieure est acquise dans le cas de fermeture des frontières. L’entreprise est dans l’impossibilité de livrer ou de transporter les personnes et/ou marchandises en appli- cation d’une décision qu’elle n’a pas prise elle-même.

Mais attention à la reprise de l’activité à l’issue de cette période de force majeure temporaire. Il vous appartient de reprendre l’exécution normale du contrat dès la réouverture des frontières sous peine de mettre en jeu votre responsabilité au titre de la rupture brutale des relations commerciales.

A ce titre, dans le cadre de la crise bovine d’octobre 2018, à l’issue de la fermeture des frontières avec l’Espagne, la Cour d’Appel de Paris a condamné une entreprise française qui n’avait pas repris sa relation commerciale avec une entreprise espagnole au titre de la rupture brutale des relations commerciales…

Mais pourra-t-on qualifier d’extérieur une fermeture d’établissement découlant de la présence du virus et de l’absence de mesures de sécurité prises par l’entreprise ?

Il convient d’être particulièrement prudent et de se préserver de toute contamination par l’adoption de mesures de sécurité largement diffusées et appliquées.

D’une manière générale, j’attire votre attention sur la question de la preuve, l’entreprise qui veut s’exonérer de sa responsabilité ayant la charge de prouver l’évènement de force majeure. Il ne suffit pas d’invoquer une épidémie, une catastrophe naturelle ou une décision ministérielle pour être exonéré de ses responsabilités. En effet, il vous appartient de justifier des diligences accomplies au moment de l’évènement ou de l’impossibilité de toute réaction. Mais il importe également d’apporter la preuve de la force majeure sur la durée.

Une mesure de fermeture sur deux mois ne peut justifier une absence de livraison six mois après… sauf à établir le délai normal de fabrication et de reprise de service de livraison par exemple. En outre, la non-réalisation de vos obligations doit être liée à l’évènement qualifié de force majeure. Si votre entreprise présentait déjà des retards de livraison ou des difficultés financières, cet évènement ne saurait vous exonérer de vos responsabilités. Tous ces éléments sont à réunir maintenant pour anticiper les contentieux éventuels.

Par ailleurs, les contrats conclus postérieurement au 1er octobre 2016 peuvent être renégociés en raison de circonstances imprévisibles qui rendent l’exécution du contrat excessive pour le cocontractant qui n’en a pas assumé les risques au visa de l’article 1195 du Code Civil.

ME VIRGINIE BONNEROT
DEA DROIT DES CONTRATS
AVOCAT AU BARREAU DE REIMS
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