En juin, le relèvement des seuils obligatoires d’audit va faire perdre à la profession plus de la moitié de ses mandats, l’obligeant ainsi à développer de nouvelles missions.
Après le temps du refus et des protestations, celui de la résignation. Au sein de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes (CRCC) d’Occitanie, l’heure semble désormais à la projection dans l’avenir et à l’adaptation – son président, Jean- François Laffont, n’espérant plus grand-chose des ultimes tractations sur la loi Pacte qui prévoit de modifier les seuils à partir desquels une entreprise doit faire appel à un commissaire aux comptes. « La seule action que l’on peut avoir aujourd’hui est de discuter avec le gouvernement », pour essayer de trouver des compromis, explique le président de la CRCC, « mais cela fait un an qu’on discute avec lui, pour essayer de faire bouger les lignes, mais la loi actuelle n’est pas très différente du projet initial… ». Une loi qui, rappelle-t-il, est née « de la réforme européenne de 2016, pour laquelle l’Europe a fixé des seuils que chaque État-membre peut ensuite adapter : 4 M€ de bilan, 8 M€ de chiffre d’affaires et 50 salariés » ; sachant que cette obligation n’existe pas dans tous les pays de l’Union européenne, comme la Suède où elle a été abolie en 2010. À partir du 28 juin, les nouveaux seuils s’appliqueront donc, « ce qui changera totalement le mode de fonctionnement que nous avions jusqu’à présent, poursuit Jean-François Laffont, puisque sur les quatre millions d’entreprises que compte la France, nous étions présents dans 220 000 d’entre elles. Ce qui veut dire que nous certifiions alors 60 % de la valeur ajoutée française ! ». Or, dans ces 220 000, 153 000 sont en dessous de ces seuils… Résultat : « dès que la loi Pacte entrera en application, nous perdrons presque 80 % de nos mandats » en France – en fait, plutôt 70 %. En Occitanie, sur les 7 700 mandats, il devrait ainsi n’en rester que 2 500 pour 400 commissaires aux comptes.
Mais attention : ces nouvelles règles ne s’appliqueront que pour les nouveaux mandats ; ceux déjà en cours continueront d’être honorés jusqu’au terme de leur durée obligatoire de six ans. Ce qui devrait représenter « entre 2000 à 2500 mandats perdus par an » en France à partir de 2019, estime le président de la CRCC d’Occitanie. « Tout l’enjeu de cette loi est de savoir quand elle va entrer en vigueur. Selon le texte qui a été voté par l’Assemblée nationale, toutes les assemblées générales qui ont eu lieu entre le 1er janvier et le 28 juin et qui ont procédé à un renouvellement des commissaires aux comptes ne pourront pas être remises en cause. En revanche, si l’un de nos clients fait son assemblée générale à partir du 29 juin, il pourra, s’il le souhaite, ne pas renouveler » le mandat. « Cette année, 18 000 mandats sont ainsi concernés, et nous pensons que sur le conseil de leurs avocats et de leurs experts-comptables, beaucoup d’assemblées vont avoir lieu le 29 et 30 juin… », reconnaît Jean- François Laffont.
QUEL MÉTIER DEMAIN ?
Lequel regrette d’autant plus cette perte de marché que « dans ces 150 000 entreprises dont on va perdre les mandats, la charge d’un commissaire aux comptes ne représente en moyenne que 5 000 € par an ». Un faible prix à payer, selon lui, alors que « le commissaire aux comptes sécurise l’entreprise ! Car en vérifiant les règles d’achat et de vente, de circulation de l’information, nous sommes une sécurité pour le chef d’entreprise, que nous alertons s’il y a un problème : par exemple, si de l’argent est détourné par ses salariés ». Et le commissaire aux comptes de craindre que dans les cinq ans à venir, il y ait beaucoup « de problèmes sociaux et fiscaux, et des dépôts de bilan » du fait de la disparition de ces contrôles.
Quant aux professionnels de la certification des chiffres, « nous avons trois ans pour nous retourner et trouver de nouveaux marchés, estime Jean-François Laffont. C’est d’ailleurs ce qu’on nous a dit à Bercy : nous devons sortir de l’utilité légale, et rentrer dans une utilité de marché ». Or, s’il en est un qui va exister dans le futur, estime le président de la CRCC, « c’est celui de la sécurité financière ! Puisque l’entreprise est au centre de différentes parties prenantes : les banques, les assureurs crédit, les associés minoritaires, les sociétés de capital-risque, les clients, les fournisseurs… Autant d’acteurs qui auront besoin de cette sécurité ! Je suis donc persuadé qu’il y aura, pour les petites entreprises, une nécessité d’être certifiées financièrement (par exemple leur capacité à honorer leurs règlements, leurs crédits, etc.) pour travailler avec d’autres entreprises comme aujourd’hui, la certification Iso est nécessaire pour collaborer avec Airbus ! »
Aussi, pour Jean-François Laffont, « le principal enjeu pour nous aujourd’hui, c’est de transformer notre métier pour passer d’une mission légale à une mission contractuelle, en faisant connaître au chef d’entreprise les services qu’on peut lui apporter ». Une nécessité d’autant plus grande que la profession recrute 9000 jeunes par an.