En 2019, les jours des marchés financiers se suivent et parfois, ne se ressemblent pas. Ainsi la première semaine du mois de juin a-t-elle présenté un schéma peu courant : les actions mondiales ont connu un rebond de 3,6 % alors que, dans le même temps, le rendement des emprunts d’État continuait de se détendre.
Quelle mouche a donc piqué les investisseurs ? Traditionnellement, les acteurs financiers déterminent leurs allocations selon plusieurs facteurs clairement identifiés : données macroéconomiques, durée d’investissement, anticipations d’inflation, liquidité, perspectives de résultats des entreprises et in fine, données géopolitiques, afin de prendre en compte l’état des relations internationales, voire le contexte environnemental ou écologique selon les univers d’investissement. En résumé, les opérateurs analysent principalement le risque d’un point de vue macroéconomique, puis microéconomique – la sur ou sous-valorisation estimée des titres -, enfin complètent cette approche par leur anticipation de marché, elle-même notamment assise sur des données historiques, quantitatives et sectorielles le cas échéant.
Le phénomène – assez rare – de convergence des marchés actions et obligataires que l’on a pu observer au début du mois de juin s’explique par plusieurs facteur : Un fly to quality – « course à la qualité », en bon français ! – engendré par la montée des tensions liées à la guerre commerciale sino-américaine, et une baisse de la prime d’inflation résultant de la décrue du prix du pétrole, notamment. Sous réserve d’événements géopolitiques non anticipés – tels, par exemple, des suites inattendues qui seraient réservées à l’attaque de tankers, le 13 juin, en mer d’Oman, dans le détroit d’Ormuz -, ce mouvement de déflation des prix du brut pourrait s’accentuer dans les prochaines semaines : le 10 juin, lors d’une rencontre avec son homologue saoudien, le ministre russe de l’Énergie a indiqué entrevoir « de grands risques de surproduction » de pétrole dans le monde, n’excluant pas une chute des cours sous les 40 dollars le baril. À cet égard, les décisions de l’Opep +, à Vienne, début juillet, seront déterminantes. Il est probable que tout y sera mis en œuvre pour éviter un scénario de prix trop négatif. Mais il est également vraisemblable que la tendance de fond demeure, eu égard aux anticipations de ralentissement de la croissance mondiale.
Vraisemblablement toutefois, l’explication majeure du parcours inhabituels, début juin, des taux d’intérêt comparé à celui des actions réside-t-elle principalement dans l’évolution du message véhiculé par les Banques centrales. Celles-ci – même très diplomatiquement – ont nettement infléchi leur discours en l’espace de six mois. Ainsi la FED, puis la BCE ont-elles laissé entendre, respectivement le 1er mai et le 6 juin, que leurs taux directeurs pourraient être abaissés dans un avenir proche, alors que fin 2018, elles annonçaient plutôt un mouvement de hausse.
Depuis la crise financière de 2008 et la mise en œuvre de mesures d’assouplissement monétaire ou d’injections de liquidités dans le système financier, ce sont, clairement, les Banques centrales qui font le marché. Cet état de fait peut s’expliquer rationnellement. Dans le contexte de taux d’intérêts prévalant depuis maintenant dix ans, les conférences de presse des Banques centrales représentent un élément majeur d’appréciation. Elles permettent aux acteurs des marchés d’évaluer à quel point l’injection de liquidités et les faibles niveaux des taux courts continueront – ou non – de soutenir les primes de risque, ce surcroît convoité de retour sur investissement offert par une action, comparé à celui d’un investissement sans risque (en l’occurrence, les emprunts d’État).
Les messages récemment délivrés par les Banque centrales ont mis en évidence à quel point les temps ont changé depuis ceux – héroïques – des investisseurs d’antan. À Chicago, le 5 juin dernier, dans un contexte où l’inflation sous-jacente actuelle est bien inférieure à la cible et où les incertitudes sur les conséquences de la guerre commerciale avec la Chine augmentent, le président de la FED, Jerome Powell, a de nouveau évoqué une possible réduction des taux et défini le cadre dans lequel celle-ci pourrait être mise en œuvre. En conséquence de son intervention, le rendement des obligations à deux ans a atteint un nouveau point bas à 1,84 %, contre 3 % il y a un an. Au 14 juin, ce mouvement s’est accentué : le taux des US bonds à deux ans est de 1,81 %!
Cette baisse de taux est le reflet des attentes extrêmement agressives des marchés. En effet, les opérateurs anticipent désormais deux baisses du taux des Fed funds cette année aux États-Unis, la première en septembre, la seconde en décembre, puis au moins deux autres baisses en 2020. En conséquence de la communication accommodante du président de la FED le 5 juin, la majeure partie de la courbe des taux des obligations américaines est désormais inversée par rapport aux taux des Treasury-Bills à trois mois : tous les rendements obligataires, ce jusqu’à une maturité de trente ans !, sont inférieurs à celui des T-Bills à trois mois. Cette situation se produit rarement. Historiquement, elle est analysée comme un signal clair de récession à venir.
L’actuel niveau du prix des actifs serait-il donc trop agressif alors que les projections de la FED, communiquées en mars, affichaient encore une perspective de hausses en 2020 ? Le message que délivrera l’institution lors de son board du 19 juin devra être soigneusement calibré pour ne pas trop déstabiliser les marchés dans l’hypothèse d’une déception par rapport à leurs attentes, qui sont ambitieuses.
Dans ce contexte, à la BPBFC, nous pensons très naturellement que la probabilité d’un assouplissement préventif de la politique monétaire de la FED a augmenté mais qu’un nouveau « cycle d’assouplissement monétaire » – mesure répétitive et qui serait rendue nécessaire en cas de récession actuelle – n’est pas à l’ordre du jour. En effet, l’économie américaine est loin d’être en situation actuelle de récession. Nous estimons corrélativement que l’anticipation de « cycle d’assouplissement monétaire », qui est celle du marché, risque d’être déçue. La probabilité d’escalade dans les discussions sur la guerre commerciale est à considérer, de même que l’instabilité des cours du brut est prégnante. Certes l’aversion actuelle pour le risque est-elle compensée par un positionnement plutôt léger sur les actions et des attentes sur les résultats des entreprises plus faibles qu’historiquement mais la prime de risque est également moindre, la plupart des actifs orientés vers la croissance de l’économie ayant déjà rebondi.
Nous avons donc saisi certaines opportunités d’acquisitions d’actions que nous estimions décotées mais continuons, pour l’heure, de privilégier les investissements obligataires.
Marc Cheynet de Beaupré, directeur de BFC Banque Privée