Jade VincentLe visage du numérique responsable

Cette quadra œuvre depuis des années pour favoriser l’émergence du numérique responsable et l’accessibilité du Web. En 2020, elle a cofondé le collectif Good It afin de permettre au numérique de respecter sa promesse initiale.

Tandis que nous avons les yeux rivés sur la lumière bleue de nos écrans, avides d’informations plurielles et volatiles qui pullulent sur la toile et que les GAFAM dominent le marché du numérique, que reste-t-il de la promesse initiale du Web ? Cette question a fait l’objet du premier webinaire initié par le collectif toulousain Good It, créé en 2020 par Jade Vincent, Christophe Pham et Marie Bastide, et qui pointe du doigt les dérives du Web. « Le collectif pour un numérique responsable » veut pousser le secteur du numérique à l’introspection, aujourd’hui éloigné de son premier objectif, à savoir un espace libre, accessible à tous et bienveillant. Le numérique responsable et l’accessibilité du Web sont deux notions particulièrement mises au-devant de la scène et sur lesquelles se penche depuis longtemps la quadra, qui a par ailleurs cofondé en septembre dernier l’agence de conseil en communication et numérique responsable Rose Primaire.

Le collectif Good It, c’est l’histoire de femmes et d’hommes qui se donnent pour mission de sensibiliser les entreprises et l’ensemble des acteurs du numérique sur l’impact environnemental, social et sociétal des technologies de l’information et de la communication.

Tandis que la pandémie a contribué à accélérer la transition numérique des entreprises, l’empreinte écologique du numérique continue, elle, de s’alourdir, l’environnement payant ainsi un lourd tribut : boom de la consommation d’énergie, gestion de plus en plus difficile de la fin de vie des équipements, etc. Puis, en dépit des apparences, la fracture sociale liée au numérique se creuse progressivement, une problématique à laquelle l’éco-conception numérique tente d’apporter une solution en optimisant l’accessibilité. La liste des effets négatifs liés au secteur du numérique ne s’arrête pas là. « La fabrication de nos équipements constitue la principale source d’impacts environnementaux (énergie primaire, gaz à effet de serre, eau, électricité, ressources abiotiques) atteignant un taux de 63 % », souligne-t-elle.

La crise a-t-elle ainsi accentué une prise de conscience ? « J’ai l’impression que parmi les professionnels du numérique, le sujet arrive aujourd’hui à maturité. Un mouvement est en marche pour intégrer de meilleures pratiques. La question du sens au travail est aussi plus omniprésente, ce qui confère plus de poids au numérique responsable. Puis, les entreprises qui suivent une démarche RSE intègrent la partie numérique responsable avec la gestion d’achat et de renouvellement d’équipements », explique Jade Vincent. Le collectif Good It a ainsi pour objectif de créer des synergies avec des acteurs locaux comme le cluster des entreprises numériques occitanes Digital 113 et de rendre plus largement visible le numérique responsable en organisant des actions de sensibilisation auprès des écoles, des différents secteurs du numérique, des tiers lieux, des entreprises, etc. « Dans les écoles notamment, les étudiants y portent un intérêt grandissant. » Un avenir plus éthique du numérique serait-il en passe de se dessiner ? C’est un travail de longue haleine pour lequel la jeune femme n’est pas avare de son temps, tout comme les 25 bénévoles inscrits qui œuvrent pour redonner à l’univers du Web ses lettres de noblesse. « Nous souhaitons que tous les acteurs concernés par la création d’un service numérique soit représentés dans notre collectif, par exemple, un chef de projet, un UX designer, un développer front, un responsable ETI, etc., afin de développer et nourrir différents groupes de travail. L’un d’entre eux planche actuellement sur la sobriété éditoriale, un autre sur l’élaboration d’un annuaire des entreprises du numérique responsable. Nous avons d’ailleurs une gouvernance ouverte, ce qui permet un espace de liberté pour soulever d’autres enjeux. Nous lançons humblement la machine, nous sommes avant tout là pour éveiller les consciences », explique la cofondatrice, qui aujourd’hui n’est plus la seule à brandir son bâton de pèlerin. Dans l’Hexagone, d’autres collectifs, à l’instar de Good It, tissent leur toile.

Il aura fallu des décennies pour que la notion du numérique éthique trouve sa place après l’avènement du Web. Il y a plus de 10 ans, alors que Jade Vincent appréhende les rouages du numérique responsable, ce domaine reste confidentiel. L’accessibilité numérique est alors un sujet qui lui tient particulièrement à cœur, accompagnant sa mère non-voyante. « Beaucoup de progrès ont été réalisés en termes de dématérialisation notamment pour les sites des services administratifs. S’ils sont accessibles pour certaines personnes en situation de handicap, ces outils-là n’ont cependant pas beaucoup évolué pour les non-voyants qui naviguent avec un lecteur d’écran », affirme-t-elle.

Cette Grenobloise pure souche est tombée dans la spirale du numérique sur le tard, n’étant pas technophile durant sa jeunesse. « La culture numérique et les idées qui ont guidé les pionniers m’ont particulièrement intéressée après mes études. D’ailleurs, il y a un véritable manque de la culture du numérique dans l’enseignement », pointe-t-elle.

N’ayant pas de passion chevillée au corps, elle opte pour des études de gestion puis un master en marketing avant d’intégrer le groupe DHL International Express en tant que commerciale. Mais au bout de quatre années d’expérience humainement riches, elle se lasse du métier de la vente et met le cap vers d’autres horizons. Elle entame une reconversion professionnelle en production multimédia. Un de ses intervenants, expert en accessibilité Web la met sur les rails de l’association AccessiWeb. L’association planche sur des directives internationales soutenant l’accessibilité numérique. « À l’origine, Tim Berners Lee, fondateur du Web et du W3C, le consortium international et indépendant chargé de fixer les protocoles et normes pour leWeb, souhaitait faire du Web un outil accessible au plus grand nombre. Le W3C a ainsi lancé en 1996 une initiative WAI (Web Accessibility Initiative), qui pilote et définit les directives internationales (nommées WCAG), mais qui étaient néanmoins difficilement exploitables par les développeurs. Il fallait une traduction opérationnelle. C’était une des missions de l’association qui a créé un référentiel de bonnes pratiques », précise-t-elle. Alors salariée au sein de la structure associative, elle s’épanouit en diversifiant notamment le panel des formations avec un programme à la conduite de projet intégrant un objectif d’accessibilité. Elle intervient également au sein des entreprises. L’aventure s’arrête pourtant au bout de deux ans. Désireuse d’apporter sa pierre à l’édifice davantage sur le terrain, elle décide alors de rejoindre l’agence de marketing Web, Marquetis Groupe, en tant que directrice de clientèle. Elle est alors confrontée à une production de masse, un portefeuille client garni de grands comptes, où la notion d’accessibilité passe à la trappe.

L’aventure se solde par un déménagement, son conjoint sautant sur une opportunité dans la Ville rose, en 2013. Jade Vincent le suit en province et s’y sent comme un poisson dans l’eau. « J’ai tout de suite apprécié l’accueil chaleureux des habitants et les richesses de la région. » La Toulousaine d’adoption se réinsère facilement dans le monde du travail et intègre l’agence digitale X Prime, avant de rejoindre rapidement l’équipe de l’agence Icom en tant que directrice de clientèle digital. « C’est une connaissance qui m’a recommandée. J’ai tout de suite sauté sur l’occasion car l’agence était pionnière sur les questions de communication responsable. J’ai pu renouer avec mon sujet de prédilection. L’ancien dirigeant Daniel Luciani avait beaucoup œuvré pour faire avancer ce sujet, actuellement en vogue, mais, qui à l’époque, était encore en retrait. Il intégrait une dimension éthique et environnementale dans les messages, la fabrication des supports, etc. Ainsi, j’ai pu appliquer mes connaissances dans le domaine de la communication et réfléchir à la meilleure manière d’intégrer des pratiques responsables dans ces outils numériques spécifiques. Nous concevions des sites sur mesure et apportions une vigilance aux standards pour réaliser un code avec un bon niveau d’accessibilité. Il y a plusieurs façons de réaliser des sites internet, et il existe souvent des thèmes prêts à l’emploi, mais au final, la plupart de ces sites n’intègrent pas les critères d’accessibilité. Nous étions très attachés à faire de l’écoconception ». L’agence connaissant alors des remous internes, Jade Vincent la quitte à contrecœur. Elle décide de sauter le pas de l’entrepreneuriat et s’associe en septembre dernier avec Marie Gaillard et Élodie Hérisson pour créer Rose Primaire, avec la ferme intention de mettre de l’écoconception dans tous les projets qui visent notamment le secteur public et les associations.

« Faire des sites plus simples, visant à se concentrer uniquement sur les besoins essentiels des utilisateurs, facilitera leurs accès au plus grand nombre. Dans l’accessibilité comme pour l’écoconception, la phase de conception est déterminante. » Cette adhérente à l’Institut du numérique responsable (INR) depuis plus d’un an veut alors contribuer à améliorer le monde de demain, à son échelle. De l’accessibilité des sites internet aux personnes en situation de handicap, elle en tire ainsi une autre piste à explorer pour aller vers le numérique responsable. En parallèle, elle est depuis quelques mois animatrice des ateliers de la Fresque du climat – outil de sensibilisation qui permet de comprendre les principaux mécanismes du dérèglement climatique – et de la Fresque du numérique. Une passion pour le bénévolat ? « Je considère surtout que j’ai un petit rôle à jouer et je ne veux pas passer à côté. C’est ma façon de contribuer à l’urgence climatique », conclut cette mère de famille marathonienne à l’agenda bien rempli. La crise n’a, en aucun cas, eu raison de ses ambitions.

Parcours

1980 Naissance à Grenoble
2001 Obtient une licence techniques economiques de gestion
2003 Diplomée d’un master marketing des services (Skema Business School)
2004 Commence sa vie professionnelle chez DHL International Express en tant que commerciale
2009 Change de cap et suit un master création et production multimédia
2016 Intègre l’agence Icom
2020 Cofonde le collectif Good It avec Christophe Pham et Marie Bastide et crée, en parallèle, l’agence de communication Rose Primaire