Le tourisme dans l’incertitude

Les professionnels du secteur, qui en Occitanie, représente 10 % du PIB régional, attendent de savoir quand et comment ils pourront rouvrir leurs établissements
et tenter de sauver une saison qui paraît déjà bien compromise.

Les Français étaient inquiets, les voilà rassurés. Ils pourront partir en vacances en juillet et août, en France… c’est ce qu’a indiqué le Premier ministre, Édouard Philippe, jeudi 14 mai, à l’issue du cinquième comité interministériel du tourisme. Le chef du gouvernement, dans une courte allocution, a également énuméré les aides spécifiques mises en place par l’État pour aider les professionnels du secteur, fortement impactés par la crise du Covid-19. 10 % des prêts garantis par l’État (PGE), a-t-il notamment indiqué, ont été pré-accordés à des entreprises du secteur du tourisme, soit 62500 bénéficiaires au total, pour un montant global de 6,2 Mds€. Le fonds de solidarité devrait demeurer ouvert jusqu’à la fin 2020 pour les professionnels de la filière et l’accès à ces aides, dont le montant pourra atteindre 10 K€, est élargi aux entreprises jusqu’à 20 salariés et 2 M€ de chiffre d’affaires. Un PGE « saison » est également créé en direction de la filière, plus favorable que le PGE classique puisqu’il permettra de prendre en compte les chiffres d’affaires des trois meilleurs mois de l’année précédente. Autre annonce faite par le Premier ministre : l’enveloppe des prêts Tourisme distribués par Bpifrance, lesquels sont assortis d’un différé jusqu’à 24 mois, est portée de 250 M€ à 1 Md€. Les reports d’échéances de prêts opérés par les banques pourront aller jusqu’à 12 mois tandis que les TPE et PME à l’arrêt ou dont l’activité demeure très faible pourront bénéficier d’une exonération de charges de mars à juin. Les mesures de chômage partiel seront, elles, maintenues dans les mêmes conditions jusqu’en septembre, voire au-delà si le redémarrage d’activité est trop lent, a également indiqué le chef du gouvernement. Enfin un plan d’investissement en fonds propres, porté par Bpifrance et la Caisse des Dépôts est en cours de création abondé de 1,3 Md€ avec un effet de levier de 6,7 Mds€. Les collectivités locales pourront par ailleurs décider d’un allégement de la taxe de séjour des hébergements touristiques, voire de réduire des deux tiers la cotisation foncière des entreprises du secteur, l’État en finançant la moitié. Le gouvernement chiffre à 18 Mds€ l’effort consenti par l’État pour soutenir le secteur du tourisme.

ATTENTISME COUPABLE

Voilà pour les aides, en revanche côté calendrier, les professionnels du secteur du tourisme – il représente en Occitanie 108 000 emplois pour un chiffre d’affaires de 15,9 Mds€, soit 10 % du PIB régional – devront encore patienter jusqu’à la fin du mois de mai pour savoir quand et dans quelles conditions ils pourront rouvrir leurs établissements. Un attentisme incompréhensible pour Didier Arino, directeur général de Protourisme, cabinet conseil spécialisé, lequel s’est exprimé le 7 mai dernier à l’occasion d’un webinaire organisé par M Capital, société de capital-investissement basée à Toulouse. Selon Didier Arino, « on évite la noyade de bon nombre de professionnels en leur sortant la tête de l’eau mais on leur enfonce la tête dans le sable en ne leur donnant pas de perspective de réouverture et les modalités de cette réouverture. (…) Je pense qu’il fallait faire exactement le contraire, c’est- à-dire donner des échéances afin de pouvoir anticiper, notamment dans les endroits où les flux touristiques peuvent être gérés de façon assez facile, par exemple dans les espaces naturels. » Or selon le professionnel, « la réalité, c’est que bon nombre d’entreprises vont être en difficulté. On estime en effet que sur la saison estivale nous avons déjà perdu 50 % de chiffre d’affaires. Ça pourrait aller jusqu’à 70 % des nuitées et du chiffre d’affaires de l’ensemble du secteur ». Des chiffres très alarmants, d’autant que, ajoute-t-il, « depuis le début du confinement, six millions de Français ont renoncé à partir en vacances. » Pour le professionnel, si la mobilisation financière est considérable, « elle ne suffira pas. On estime déjà qu’un quart des entreprises touristiques disparaîtront. »

Est-il déjà trop tard ? Tout dépendra des annonces que fera le gouvernement à la fin du mois de mai, mais selon le DG de Protourisme, « si les gens ne peuvent pas se déplacer, il est évident que cette saison sera catastrophique. (…) Ce qui est certain c’est qu’il faudra se préparer à envoyer de l’information à sa clientèle pour pouvoir collecter les réservations de dernière minute. Mais à trop attendre, le pire ce serait des flux très importants au dernier moment, en proximité, avec tous les risques de mauvaise gestion de la distanciation sociale. » Quid de la règle des 100km? « Là encore, s’insurge le professionnel, on a une règle définie par l’État pour tout le monde, toutes les régions. À un moment donné il faut faire preuve de pragmatisme. On ne peut pas traiter de la même façon des régions où il y a très peu de circulation, des régions où il y a une clientèle de proximité et les endroits où il y a une très forte concentration urbaine. (…) On doit raisonner en fonction des territoires ». Sa recette pour tenter de sortir de la crise ? « Nous devons avoir un tourisme de précaution, c’est-à-dire un tourisme basé sur les quatre saisons ou, a minima, trois saisons, avec une clientèle de proximité et de péri-proximité conséquente quand on le peut, un tourisme diversifier dans les approches et dans les clientèles. » Quant aux grandes campagnes de communication annoncées, « les clients n’ont pas besoin de communication, mais d’informations. Il faut revenir à des choses basiques. Les gens sont inquiets, or, si l’on veut gommer les freins aux départs en vacances, il faut leur expliquer ce qui a été mis en œuvre pour sécuriser leur accueil. (…) Nous n’avons pas d’autre choix que la qualité car nous serons toujours plus chers que d’autres destinations, pas d’autre choix que de travailler en lien avec le patrimoine, sur sa richesse et sa diversité. »

DESTINATION RESPONSABLE

C’est précisément la stratégie mise en place dans ses établissements par Hadrien Pujol, directeur général de Cité Hôtels. À la tête d’un groupe hôtelier familial régional, il prépare la réouverture. « Nous allons informer notre clientèle sur ce que l’on fait dans nos établissements et sur la mise en place du protocole sanitaire, à la fois sur notre site internet et dans nos hôtels, détaille-t-il. Nous allons aussi travailler sur la commercialisation de notre offre en zone primaire, sachant qu’à Carcassonne par exemple 60 % de clientèle est internationale… » Alors que les festivals ont tous peu ou prou été annulés, il espère encore la mise en place « d’une offre d’animations culturelles à petite jauge, pour attirer la clientèle », mais, ajoute-t-il, « à nous aussi de proposer quelque chose de nouveaux, pour faire de nos hôtels de vrais lieux de vie. » Il prévoit aussi de jouer sur la carte du local dans ses restaurants « parce qu’on se rend compte que c’est cette chaîne de valeur économique, les petits producteurs, qui apportera quelque chose de vertueux à la destination ».

L’hôtelier plaide pour le partage d’informations avec les autres acteurs du tourisme « pour faire de notre destination une destination responsable » et pourquoi pas mettre en place, à cette échelle, un label ?

« Ce qui est sûr, ajoute-t-il, c’est que l’année sera pourrie. Le risque est sur le moyen terme. C’est en échangeant avec les CCI et nos organisations syndicales, qu’on apportera les réponses pour pouvoir passer ce cap, assurer les remboursements de PGE, passer l’hiver sans oblitérer nos capacités d’investissement ou de rénovation de nos établissements. »

ET DEMAIN ?

Préparer l’avenir, c’est en substance ce que conseille aux acteurs du tourisme Julie Khaski, directrice d’investissement du Fonds Tourisme, chez M Capital, à savoir « profiter de cette saison qui s’annonce calamiteuse pour entreprendre les travaux de rénovation ou de montée en gamme projetés depuis longtemps pour être fin prêt en 2021 ». Pour les financer, des dispositifs de prêt ont été mis en place par la Région à travers ce Fonds Tourisme. Créé en novembre 2019 par la Région et la Banque européenne d’investissement ainsi que les cinq caisses régionales de Crédit Agricole de la région, il est doté de 101 M€ pour un effet de levier de 400 M€. Il a vocation à financer des projets touristiques, qu’il s’agisse d’une création, d’une rénovation ou d’une reprise d’activité, portés par des acteurs privés ou publics. « Les banques sont relativement frileuses pour financer des projets touristiques et dans le contexte de la crise du Covid-19, elles le seront encore plus, explique Julie Khaski. Or depuis le début du confinement, après une période de flottement, les porteurs de projet recommencent à prendre contact avec nous. Ils n’ont pas l’intention d’abandonner, tout au plus ils diffèrent leur projet d’un ou deux mois. » Un premier dossier vient d’être admis au bénéfice du Fonds Tourisme, le projet EcoZonia, un parc animalier situé dans les Pyrénées-Orientales dont l’ouverture est prévue en fin d’année. Mais Julie Khaski a d’autres projets dans les cartons, dont certains, situés en Ariège, dans les Hautes-Pyrénées et dans les Pyrénées-Orientales, sont à la signature. « Notre objectif d’ici 2023 est de financer de l’ordre de 120 dossiers dans les 13 départements de la région. »

La Région, à travers le comité régional du tourisme, prévoit d’autres dispositifs spécifiques pour aider la filière avec notamment la mise en place d’un plan de communication destiné à valoriser la destination Occitanie Sud de France, doté d’une enveloppe de 3 M€. Les acteurs du secteur pourront aussi bénéficier dès le mois prochain, comme les commerces et l’artisanat, d’un nouveau dispositif, le fonds d’urgence L’Occal dont l’ambition est de mobiliser 70 à 80 M€. Un montant abondé par la Région, la Banque des Territoires, une centaine d’intercommunalités et 12 conseils départementaux. À travers ce fonds, seront attribuées jusqu’au 31 décembre, des avances remboursables et des subventions d’investissement, en particulier pour réaliser les aménagements d’urgence liés aux consignes sanitaires.