Avec Steve Moune, elle a repris il y a trois ans l’espace Paul Éluard à Cugnaux pour en faire le Théâtre des Grands Enfants, une structure privée dont la programmation s’adresse aux adultes comme au jeune public. Quatre de ses spectacles seront présentés au festival Off à Avignon cet été. Une consécration !
« La vie n’est qu’un théâtre et chacun y joue son rôle » – W. Shakespeare
« Le théâtre, c’est la vie ; ses moments d’ennui en moins » – A. Hitchcock
Directrice de théâtre, metteur en scène, directrice artistique, professeur, coach de comédiens, mais aussi auteur, Laure Valentin sait à peu près tout faire dans un théâtre… À 37 ans, la jeune femme qui a déjà derrière elle une riche carrière qui l’a conduit de la banlieue de Toulouse à Paris et… retour, est à la tête d’un drôle de paquebot. Le Théâtre des Grands Enfants qu’elle a ouvert à Cugnaux en 2017, à l’emplacement de l’espace Éluard, est plus qu’une scène culturelle, un véritable lieu de vie où l’on peut déjeuner, prendre un verre, apprendre la couture, s’initier à la cosmétique naturelle ou au scrapbooking, esquisser des pas de danse ou prendre des cours de théâtre (160 élèves se sont inscrits en deux ans), et accessoirement voir des pièces dans une salle très confortable de 180 places équipée de matériels professionnels.
Ce melting-pot, c’était le projet de Laure Valentin et de son complice et mari Steve Moune. « Nous sommes partis d’une liste de ce que nous n’aimions pas et de ce que nous aimerions trouver dans un tel espace », résume-t-elle. Le théâtre est devenu depuis un véritable projet de vie, puisque le couple passe ses jours et presque ses nuits à animer ce bel édifice toujours très fréquenté. En deux ans, la petite équipe – le théâtre à lui seul emploie une huitaine de salariés – qui ne perçoit aucun financement public, a accueilli et monté 161 spectacles, donné 1233 représentations et réussi la prouesse d’atteindre l’équilibre. Pour y arriver, Laure Valentin, qui a été lauréate du Réseau Entreprendre Occitanie Garonne, ne compte pas ses heures, passe d’un étage à l’autre, de bureaux en ateliers pour s’assurer que tout roule comme elle l’entend. Et de fait, elle s’y entend très bien.
La jeune femme n’a pas atterri à Cugnaux par hasard, fraîchement débarqué de la capitale. C’est le contraire. Issue d’un milieu d’entrepreneurs, cette Cugnalaise se rêvait comédienne. Elle a débuté sur les planches à huit ans, dans les locaux – amusant signe du destin – qu’elle occupe aujourd’hui. Dix ans plus tard, là voilà à Paris, mais la précarité du statut d’intermittent du spectacle, très peu pour elle. Très vite, elle met en scène et produit des spectacles. « J’ai toujours construit de manière très pragmatique mon travail, explique-t-elle. À 23 ans, j’avais déjà trois pièces que je faisais tourner ». De quoi rassurer papa et maman. À l’époque, à l’occasion d’une tournée, là revoilà à Cugnaux où elle rencontre son futur mari, régisseur de l’espace Paul Éluard…
De retour à Paris, la jeune femme monte également une école de théâtre et développe sa propre méthodologie pour permettre aux enfants âgés de trois à cinq ans, qui n’ont pas le système de lecture, de s’initier à la scène. Elle coache des comédiens, travaillant notamment avec Gaspard Proust, Yacine Belhousse et Sacha Judaszko… Elle a tout juste 29 ans quand la société de production Juste Pour Rire, lui propose de prendre la direction du Théâtre de Dix Heures, une salle mythique en plein cœur de Pigalle, où sont passés Franck Dubosc, Stéphane Guillon, Juliette ou encore Nicole Croisille.
« À l’époque, avec Steve, nous avions déjà décidé d’avoir notre lieu à nous, avec notre propre éthique », se souvient Laure Valentin. Cette expérience de trois ans à la tête du théâtre parisien ancre surtout en elle la certitude qu’elle est « faite pour ça ». De son côté, Steve Moune, qui est aussi compositeur, créateur de lumières, a pris la direction technique de l’Européen, une salle de concerts dans le XVIIe. Le couple, plus que jamais complémentaire, travaille souvent ensemble.
La perspective de l’arrivée d’un deuxième enfant conduit Laure et Steve Moune à redescendre dans le sud, au moment où, justement, la mairie de Cugnaux cherche à vendre l’espace Éluard.
L’occasion est trop belle pour la laisser passer. Le couple monte son projet d’entreprise culturelle privée multi-activités, « un beau Power-Point » qui sera « applaudi par le conseil municipal, du jamais vu ». Après avoir essuyé quelques difficultés pour trouver les financements – « de quoi écrire une pièce », assure la jeune femme en souriant –, le couple se lance dans un vaste chantier. « On n’en a pris pour 20 ans », s’amuse Laure Valentin. Sans un sou de subvention, « il a fallu faire des sacrifices. C’est du sept jours sur sept avec une semaine de vacances par an. Bref, un vrai choix de vie, mais on est libre ! »
300 K€ de travaux plus tard, le 22 mars 2017, le Théâtre des Grands Enfants ouvre enfin ses portes aux scolaires et aux adultes, aux entreprises comme aux seniors… Un lieu tout public, intergénérationnel, que Laure Valentin veut garder résolument accessible : « l’idée est vraiment d’amener au théâtre des gens qui n’y vont jamais et d’inviter ceux qui le fréquentent, à venir se poser ». Pour ça, l’équipe se déplace dans les écoles, signe des partenariats avec les commerçants, etc. À l’arrivée, le lien protéiforme déborde de vie, à l’image de sa directrice. Laquelle s’est mise aussi à l’écriture, et est devenue auteur, même si la jeune femme, qui a souffert de phobie scolaire, ne veut pas se l’avouer. Quatre de ses spectacles seront d’ailleurs donnés cet été à Avignon dans le cadre du festival Off, dont la comédie tout public Splendiiide !, un vrai carton de théâtre.
Au moment de clore l’entretien, Steve Moune passe la tête par la porte, les yeux rougis et annonce que le couple vient de remporter un contentieux qui lui pèse sur les épaules depuis des mois. Une deuxième bonne raison d’ouvrir cette bouteille de champagne qui attend au frais la signature définitive de l’acte d’achat des locaux du théâtre. Une bouffée d’air bienvenue qui déclenche les larmes de Laure Valentin. « On pleure beaucoup ici ! », articule-t-elle, submergée par l’émotion. On rit aussi beaucoup, on vous rassure !
