Sébastien BournacLe théâtre, c’est l’art du présent

Le théâtre c'est l'art du présent

Sébastien Bournac directeur du théâtre Le Sorano ©François Passerini

Culture. Alors que la pandémie a fermé les portes des théâtres, des salles de spectacles et des lieux de culture, comment les artistes vivent-ils ce temps suspendu ? La Gazette du Midi a posé la question à Sébastien Bournac, à la tête du Sorano. Rencontre.

Directeur du Théâtre Sorano depuis quatre ans et metteur en scène, Sébastien Bournac décrit le théâtre comme un art du présent et comme le fruit d’un art de la relation entre le spectateur et les équipes artistiques. En parallèle, ce quadragénaire, formé au cours d’art dramatique de Marianne Valéry dans le Lot-et-Garonne, développe au sein de la compagnie Tabula Rasa qu’il a fondée en 2003 au cœur de la Ville rose, des projets de création théâtrale à partir des écritures contemporaines et souvent en lien étroit avec des auteurs vivants (Koffi Kwahulé, Daniel Keene, Ahmed Ghazali, Jean-Marie Piemme, Annick Lefebvre, etc.). Il nous livre les grandes lignes de la programmation du premier semestre 2020 et les inspirations qui le nourrissent au fil de sa carrière et pendant cette période de confinement.

Quelle est votre feuille de route culturelle pour cette première saison 2020 ?

Nous apportons une attention particulière aux formes théâtrales qu’il s’agisse d’œuvres du répertoire renouvelées ou des écritures contemporaines, tout en mettant l’accent sur l’hybridation des formes pour proposer un autre regard aux spectateurs et innover. Je viens d’une culture où l’on croit que le théâtre est un art de la parole. Je défends cette idée, mais en même temps, il est essentiel de mettre en lumière la diversité des matériaux de l’art théâtral (danse, musique, lumière etc.). Aussi, dans notre programmation, nous faisons la part belle aux jeunes créateurs et à la jeune génération, en les accompagnant et en les mettant au-devant de la scène. À ce titre, notre festival Supernova rencontre un fort succès et permet de recueillir la pulsation de notre époque. Le théâtre est, en effet, un art poétique traversé par la vibration du réel et des préoccupations sociétales. Par exemple, la question d’identité est une problématique majeure qui ressort à travers nos créations. Plus de 50% des spectacles programmés sont écrits ou mis en scène par des femmes qui apportent une autre vision avec beaucoup de talent. Enfin, si l’on reprend des classiques, les créateurs bousculent la tradition. Nous travaillons pour que le public soit concerné par le théâtre. Faire du théâtre, c’est travailler un art de la relation entre les artistes et le spectateur.

Quelle est la part des créations ?

Nous proposons 14 spectacles en ce premier semestre dont la moitié de créations. L’objectif est aussi de participer à l’aventure de la création d’autres artistes.

Quel genre d’événements ou d’artistes aimez-vous accueillir ?

J’aime les grands écarts. Par exemple proposer aux spectateurs Brigitte Jacques qui met en scène Phèdre de Racine ou accueillir Kery James, une grande figure de la culture urbaine, ou encore dévoiler des spectacles francophones, comme le dernier en date, une pièce belge Des caravelles et des batailles, un spectacle empli de fantaisie où l’on découvre une communauté qui réinvente un art de vivre. On accueille également d’autres événements comme le Marathon des mots, etc. Le Théâtre Sorano a, sous l’égide de l’association Théâtre Populaire d’Aujourd’hui, à cœur d’être traversé par des publics très différents. Le théâtre, c’est l’art du présent.

Comment décrivez-vous ce printemps ?

Ce printemps est le printemps du carnage car nous sommes privés des représentations, notre moteur. Mais nous pouvons transformer ce temps mort en une période profitable et même réinventer les rapports avec nos spectateurs. J’y réfléchis. Puis, il faut continuer de se nourrir, de dévorer la culture.

Que préparez-vous actuellement ?

Nous continuons à préparer des événements à venir, com­me un temps fort prévu fin mai en collaboration avec plusieurs partenaires (Quai des Savoirs, L’Usine centre national des arts de la rue, Arto Saison et Festival de rue de Ramonville et Toulouse à Table ! etc.), qui sera une grande fête populaire. Nous concoctons cet événement afin de nous retrouver. De mon côté, je prépare un spectacle à la fois théâtral et musical pour le mois de décembre, en coécriture, mais je n’en dévoilerai pas plus. Aussi, nous planchons sur la prochaine saison.

Quel est votre conseil lecture ?

Love me tender de Constance Debré. C’est une écriture forte qui raconte une relation compliquée entre une mère et son fils, loin des clichés d’amour éternel. Elle est rejetée par son enfant dans un con­texte familial difficile et pour ses choix. C’est un roman choc que je lis actuellement et qui est, sans aucun doute, une piste pour le Marathon des mots.

Quelle musique écoutez-vous ?

The Blaze, un groupe de musique électronique français, avec des notes envoûtantes qui m’apaisent. J’apprécie aussi beaucoup la chanson française tel que Bertrand Belin, Fishbach, etc.

Le film qui vous inspire le plus et que vous aimez revoir ?

Gerry de Gus Van Sant, un film expérimental qui met en avant deux jeunes hommes qui partent en randonnée dans le désert californien et qui s’éprouvent, se perdent, se détruisent. Étant donné que je suis un amoureux de la marche et de la relation à l’autre, ce film résonne en moi. C’est un chef-d’œuvre.

Quelle pièce de théâtre vous a le plus marqué ?

Des œuvres de Bernard-Marie Koltès tel que Roberto Zucco ou Dans la solitude des champs de coton. Ce sont des chefs-d’œuvre absolus. Koltès est l’un des plus grands auteurs contemporains que la France a connus, avec une écriture puissante qui parle du monde dans lequel on évolue avec une dimension presque mythologique. D’ailleurs, c’est un auteur qui m’a conforté dans l’idée de faire du théâtre. J’ai débuté comme metteur en scène dans un théâtre universitaire avec Sallinger.

Si vous étiez un personnage, lequel seriez-vous ?

Hamlet, pour toutes les questions existentielles qu’il se pose. Je considère comme lui que le monde est assez corrompu, je sens donc une fraternité avec ce personnage.

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