L’embauche directe tend à se raréfier dans les vignes champenoises. Les viticulteurs lui préfèrent de plus en plus le recours aux sociétés de prestations de services.
Ces dernières années, le profil du vendangeur s’est fortement modifié. Là où dans les vignes, des générations d’une même famille vendangeaient le domaine viticole à proximité de leur ville ou village, de nouveaux travailleurs sont venus renforcer les rangs de ceux que nomme Sébastien Rigobert, à la tête de la société de prestation viticole G2V, « les courageux ». Aujourd’hui, on compte moins de salariés saisonniers en provenance du bassin d’emploi local et des régions limitrophes, comme traditionnellement les Hauts-de-France, mais plus de personnes arrivant principalement des pays de l’Est, Pologne, Roumanie, Bulgarie.
À cela, plusieurs explications : en premier lieu, le manque de « main d’œuvre » locale. « Chaque année, nous publions des offres sur le bassin d’Epernay pour les vendanges qui ne sont pas pourvues », explique ainsi le responsable de l’agence Pôle Emploi, Freddy Boudesocque. « Cette année, 1 242 postes ont été publiés. Sur ce chiffre, environ 920 ont été pourvus, il nous reste encore des personnes à rappeler, pour faire le bilan, mais quoi qu’il en soit, tous n’ont pas trouvé preneurs. » Même son de cloche sur les réseaux sociaux, où la veille des vendanges, des viticulteurs cherchaient encore des cueilleurs. Si les étudiants sont encore présents dans les vignes, les familles qui venaient des régions limitrophes, elles, se déplacent bien moins qu’avant.
UN MANQUE D’HÉBERGEMENT SUR PLACE
En cause, les hébergements que ne mettent plus à disposition les vignerons. « La vraie difficulté, elle est là », soutient Freddy Boudesocque. « Sur toutes les offres que nous publions, aujourd’hui, seules 15% prennent en charge le gîte, parfois le repas en fin de journée. Et 15% c’est encore pas trop mal, par rapport à certaines années. Si le vendangeur n’est pas accueilli chez le viticulteur, se pose alors la question de la mobilité. A-t-il les moyens de se loger ailleurs ? Et même si c’est le cas, de venir et de repartir avec un véhicule ? Tous ces éléments mis bout à bout, font que ceux qui venaient des villes et régions limitrophes ne se déplacent plus. »
Or, si les offres sont non pourvues localement et nationalement, les besoins quant à eux restent bien réels. C’est pourquoi de plus en plus de professionnels se tournent vers les sociétés de prestations viticoles, qui se multiplient ces dernières années sur le territoire. Si Pôle emploi peine à recruter, pour Sébastien Rigobert, c’est tout l’inverse. En 2015, lorsque la société G2V a été créée, le chef d’entreprise a recruté 300 vendangeurs. Quatre ans plus tard, ce sont 1 500 vendangeurs, dont 900 issus des pays de l’Est qui sont venus travailler dans les vignes champenoises. « La champagne a toujours fait appel à des travailleurs hors région », indique Sébastien Rigobert. « L’éloignement des travailleurs s’est accentué et on a plus de plus de mal à recruter localement et en France. C’est sous cette contrainte que nos entreprises, qui ont des demandes croissantes, ont dû se tourner vers des bassins d’emploi hors frontière », explique-t-il. « C’est pour cela que nous allons recruter en Pologne, en Roumanie, en Bulgarie. C’est plus une situation subie que choisie. »
PAS DES TRAVAILLEURS DÉTACHÉS
Car les vendangeurs qui viennent de l’étranger ne sont pas des travailleurs détachés. Ils sont soumis au droit du travail français, et ainsi, au même coût qu’un salarié local. « L’intégralité de nos vendangeurs sont déclarés en France. Ils ont le même statut, qu’ils habitent Reims ou Cracovie, la même fiche de paye, de cotisations et sont soumis au même champ d’application du droit », insiste le directeur de G2V. Dans les pays d’où viennent ces nouveaux employés, les recruteurs les informent préalablement, avec un modèle de contrat de travail qui leur est transmis en amont, traduit dans leur langue natale.
DES OBLIGATIONS DE MISE À DISPOSITION DE TERRAINS
Le recours aux entreprises de prestation viticole s’explique notamment parle « package » fourni. Tout est pris en charge par la société, du recrutement de la main d’œuvre, à la rédaction des contrats de travail, en passant par l’hébergement et les repas. « Sur les 1500 salariés qui ont travaillé pendant les vendanges, 900 étaient hébergés à l’hôtel, soit l’intégralité de nos travailleurs étrangers. Les autres ce sont des personnes avec des solutions d’hébergement individuel, dont notamment 90 personnes issues de la communauté des gens du voyage. » Face aux événements qui se produisent parfois durant la période des vendanges, rapportés par les élus des communes, concernant la gestion des déchets, l’intrusion sur des terrains privés ou encore des dégradations, Sébastien Rigobert insiste lui, sur la mise à disposition par sa société, de quatre terrains équipés en eau et en électricité.
« Chaque employeur est tenu de mettre à disposition un terrain, l’évacuation des ordures, l’eau ainsi que l’électricité et des toilettes pour ses vendangeurs. C’est à dire que si chaque employeur respectait ce devoir, il n’y aurait pas de vendangeurs errants sur des terrains publics. Cette année par exemple, nous avons refusé 50 personnes, car nous n’avions pas de terrain pour les accueillir. En outre, nous faisons aussi avec les us et coutumes de nos vendangeurs et avons aussi du personnel qui surveille et dans le cas échéant, s’occupe de la gestion des déchets. »
Quant à la réglementation, elle est régulièrement pointée du doigt, qu’il s’agisse de celle concernant le droit du travail ou des conditions d’hébergements (voir encadré). « Il y a toute la réglementation sociale qui demande d’être précis dans le processus administratif et qui peut être vécue comme une contrainte. C’est pourquoi de plus en plus de viticulteurs délèguent aux sociétés de services, afin de se concentrer exclusivement sur la conduite de la récolte. » Pour autant, à ceux qui regrettent « l’esprit vendange », les professionnels du recrutement oppose
« la perte de la culture du travail saisonnier » qui ne concerne pas que le secteur de la viticulture.
UNE RÉGLEMENTATION TRÈS STRICTE
Le profil des exploitations viticoles évolue. Selon les données du SGV, en 10 ans, le nombre d’employeurs a baissé de 10%. L’ embauche directe a été délaissée au profit des prestataires de services, « un découragement face aux problématiques de recrutement et à l’excès de bureaucratie », pointe du doigt le Syndicat général des vignerons. En application des dispositions en vigueur, une pièce destinée au sommeil ne peut recevoir que six travailleurs. Sa superficie minimale doit être de 9 m2 pour le premier occupant et de 7 m2 pour chaque occupant supplémentaire. Un minimum de 44 m2 est nécessaire pour loger six personnes. Pour loger 30 vendangeurs (effectif maximal moyen dans les exploitations viticoles de type familial), il faudrait disposer de 6 pièces totalisant une surface de plus de 220 m2 pour une durée d’occupation qui tend de plus en plus à se réduire (10 jours en moyenne).