Jean-Pierre MasLe loup blanc du tourisme

Président du syndicat Entreprises du Voyage (ancien Snav) depuis 2014 et entrepreneur toulousain chevronné dans le milieu du tourisme de groupe, d’affaires et industriel, il se bat pour redresser un secteur actuellement à genoux.

S’il a foulé les terres d’une centaine de pays, le président du réseau Entreprises du Voyage, qui a été pris en otage en mer de Chine et qui a des souvenirs romanesques plein la tête, est tombé dans le secteur du tourisme, par hasard. À la tête de l’ex-Syndicat national des agences de voyages (Snav) qu’il a dépoussiéré – renommé Entreprises du Voyage en 2016 – , Jean-Pierre Mas, connu comme le loup blanc dans le monde du voyage, espère redresser la barre du navire après l’ouragan Covid-19, avant le terme de son deuxième mandat. Fort de 1674 membres actifs et regroupant 150 élus bénévoles et neuf délégations régionales, le syndicat a notamment pour mission de représenter la profession auprès des fournisseurs et salariés, et d’être l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. « Le tourisme, qui a 70 ans d’histoire, est en chute libre. Pour la première fois, le secteur est en décroissance alors qu’il a déjà connu d’autres remous. La relance va être très compliquée. Heureusement, les aides ont été nombreuses, ce à quoi je ne m’attendais pas, pour maintenir la filière sous assistance respiratoire », souligne-t-il. D’ailleurs, fin juillet, ce meneur de groupe a rencontré le secrétaire d’État au tourisme, Jean-Baptiste Lemoyne, pour essayer de limiter les dégâts. « Le débat porte sur la poursuite de l’activité partielle jusqu’à fin 2020 avec une prise en charge aux conditions actuelles. Puis sur le renouvellement de l’exonération des charges sociales patronales, déjà obtenue pour la période de février à mai. J’aimerais convaincre le gouvernement de soutenir la reprise du travail afin que nous puissions conserver les compétences de nos collaborateurs. Nous planchons également sur un autre dossier : le fonds de solidarité actuellement ouvert aux entreprises qui réalisent jusqu’à 2 M€ de CA annuel, trop bas pour nos activités. Enfin, il est nécessaire que tout le monde bénéficie des dispositifs de soutien, les TPE restant les grandes oubliées. »

De fait, selon les mots du président, le secteur doit « faire le dos rond » face aux frontières fermées hors espace Schengen et aux reconfinements localisés alors qu’il accuse une perte vertigineuse de son CA, soit plus de 70 % du volume de 2019. Une situation économique qui ébranle certains acteurs du tourisme désormais à couteaux tirés. En témoigne le parfum de scandale visant l’IATA, l’Association internationale du transport aérien qui soutient les compagnies aériennes refusant de rembourser les quelque 35 Mds $ de billets non-utilisés à l’échelle mondiale. La France, comme d’autres pays, s’est rangée derrière ses arguments en plaidant pour une adaptation de la réglementation européenne. Bruxelles refuse, elle, de léser les consommateurs. « Pour nous, les avoirs ne sont pas des garanties. Les compagnies qui conservent l’argent devront très certainement déposer le bilan, entraînant dans leur chute nombre d’agences de voyages et lésant les consommateurs », pointe-t-il. Surtout que les petites agences qui ont fleuri ces deux dernières décennies n’enregistrent que 20 % du volume du secteur.

Avant que la pandémie ne vienne clouer au sol un secteur qui tous les 20 ans voit le nombre de voyageurs doubler, le président du syndicat était optimiste. « C’est un secteur en forte progression et en constante évolution. Nous aidons d’ailleurs les entreprises à migrer vers la digitalisation. Tous les acteurs de l’économie du tourisme doivent prendre en compte les nouvelles habitudes des voyageurs pour ne pas s’étioler. Dès mon accession à la présidence, le syndicat a vite intégré les acteurs de la nouvelle économie telles les agences en ligne. L’objectif est de donner des armes pour s’adapter à l’évolution des comportements et traverser la plupart des crises », souligne Jean-Pierre Mas, qui a été président de la chambre régionale du Snav entre 1987 et 1989 et responsable des relations avec les compagnies aériennes entre 2005 et 2014. Une continuité sans faille qui traduit l’expérience de cet entrepreneur dans l’âme.

Ce natif de Toulouse, enfant frondeur habitué à faire l’école buissonnière, a découvert le voyage, quand ses parents lui ont proposé, après l’obtention de son Bac, un scooter ou un séjour à Rome. L’acceptation de la différence, la découverte d’autres cultures et l’amour de l’aventure se renforcent également lors d’une expérience de cinq ans passés à Oran en Algérie, en tant que professeur de droit au titre d’opérations culturelles, une fois son diplôme d’études spécialisées en droit public en poche. « Passer l’agrégation ou intégrer une grande école était compliqué pour moi car à l’époque j’étais déjà père de famille. Alors, j’ai opté pour cette expérience, rêvant de voir le monde. J’assurais six heures de cours tous les 15 jours, ce qui m’a laissé le temps de découvrir un pays magnifique, malgré les pénuries ».

De retour en France, il refuse d’avoir un itinéraire professionnel tracé. « Je me suis surpris à compter mes points de retraite et ça m’a fait peur ! Puis, j’étais trop indépendant pour suivre toute ma vie les pas de mes parents fonctionnaires. Je voulais que mes revenus et ma vie dépendent de mon investissement personnel ». À l’aube de la trentaine, il rachète une agence de voyages généraliste, Voyage d’Oc, regroupant six salariés, avec l’ambition de développer l’entreprise. Les voyages de groupes axés sur le bassin méditerranéen, étant déjà concurrentiels sur le marché toulousain, il oriente sa stratégie vers des séjours long-courriers. « Certaines agences de voyages ne faisaient que distribuer les voyages organisés par les tour-opérateurs. Ma passion était de les construire sur mesure. Cela m’a permis de découvrir la Chine, le Mexique, le Brésil, dans les années 80, des pays qui s’ouvraient à peine au tourisme. J’ai d’abord racheté une activité économique mais en voyageant, le fait d’être en décalage, de faire aussi ce que les autres ne font pas, est devenu essentiel. ». L’équipe portée à une douzaine de collaborateurs, l’entreprise a enregistré en 2019, un CA de 2,5M€.

À l’époque, il s’investit dans l’écosystème en devenant président régional du Snav. « J’ai rejoint ce réseau pour sortir la tête de mon entreprise, et regarder ce qui se faisait ailleurs. J’ai contribué à dynamiser la profession et à assurer les relations avec les collectivités et les pouvoirs publics locaux.» Quid du tourisme à l’époque ? « Le secteur était en plein essor même s’il a connu des crises, notamment après les chocs pétroliers, et celle de 1982 avec les carnets de change qui limitaient la dépense de devises à l’étranger, se souvient-il. La région était, par ailleurs, dominée par la présence de l’agence Fram, leader français du tourisme. C’était à la fois stimulant et oppressant. »

En 1990, il s’adjoint des compétences de Philippe Nau, dirigeant d’une agence de publicité, pour créer Manatour, une société spécialisée dans le tourisme industriel, suite à un appel d’offres d’Airbus. « Nous sommes devenus leader français du tourisme de la découverte économique, passant de 10 000 visites à 100 000 par an actuellement chez Airbus. Nous avons inventé la scénarisation des visites, chose difficile à réaliser pour les entreprises, la plupart réticentes a montrer leur savoir-faire. Nous avons développé le concept sur l’ensemble de l’Hexagone et réalisé des études sur l’aménagement touristique de sites industriels ». L’histoire entre les deux hommes a duré 30 ans, portant la société de six salariés à une centaine – Jean-Pierre Mas ayant passé la main l’an dernier au fils de son associé.

Dans les années 90, le chef d’entreprise continue son incursion dans le monde du tourisme en adhérant à Afat Voyages. Il accède à la présidence du réseau deux ans plus tard et propulse ce regroupement d’entreprises, sous forme d’une centrale d’achat, au- devant de la scène, devenu aujourd’hui le leader français d’agences de voyages indépendantes sous le nom de Selectour – après une fusion avec Afat en 2019. Là aussi, c’est le hasard qui l’amène à prendre les rênes, ou plutôt un coup d’état lors d’une assemblée générale. En 2004, il participe à l’intégration d’Afat Voyages au G4 (alliance initialement composée des réseaux de distribution Thomas Cook, Manor et American Express). « Nous devions nous rendre incontournables auprès de nos fournisseurs et ce, sans avoir le poids économique de notre concurrent de l’époque, Selectour, qui était le premier groupement volontaire dans l’histoire des professionnels du tourisme français. Ainsi, nous l’avions évincé du marché régional. Puis en 2019, nous avons fusionné les deux entités », explique-t-il.

En parallèle, l’entrepreneur s’associe en 2011 avec Françoise Péglion, fondatrice de l’agence toulousaine Salt travel, pour conquérir un marché de niche, les voyages d’affaires, en fondant JPF Travel. En 2019, le plateau d’affaires a atteint 20 M€ de CA. « Pour l’heure, les PME françaises recommencent à se déplacer timidement. Les grands groupes internationaux ne reprendront les voyages qu’en 2021».

Si les Français dépensent annuellement, 107 Mds € dans l’Hexagone et 30 Mds € à l’étranger – à contrario, les étrangers dépensent en France 66 Mds € – l’avenir à court terme du secteur reste flou. « Les bruits de fond tels que la contribution du tourisme au réchauffement climatique et la tourismophobie vont prendre un peu plus d’ampleur. On voyagera peut-être un peu moins souvent mais pour des durées plus longues, en prenant le temps. On consommera moins de voyages Kleenex. Cependant, ce que l’on qualifie péjorativement de “tourisme de masse” perdurera car l’accès aux vacances résulte d’acquis sociaux. Moi, je vis d’autres voyages mais je comprends l’envie de buller, tant que les nombreux touristes se comportent de façon intelligente et que les flux se régulent. Quant à l’avenir du secteur, les agences les moins solides vont souffrir, mais celles qui auront survécu vivront mieux à la sortie de la crise car la concurrence sera moins rude et le tourisme continuera d’augmenter », conclut le président qui espère renouveler son mandat une troisième fois.

Parcours

1948 Naissance à Toulouse
1972 Diplômé d’études spécialisées (DES) de droit public de la faculté de droit de Toulouse
1975 Devient professeur de droit public au titre de la coopération à Oran, pendant cinq ans
1981 Rachète l’agence de voyages toulousaine Voyages d’Oc
1990 S’associe avec Philippe Nau pour créer une société spécialisée dans le tourisme industriel, technique et scientifique
2011 Cofonde l’agence de voyages d’affaires JPF Travel
2014 Devient président du Snav, rebaptisé Entreprises du Voyage en 2016